Gouvernance académique : ouverture d'un chantier explosif

Laura Taillandier Publié le
Gouvernance académique : ouverture d'un chantier explosif
Le ministre de l'Éducation nationale rouvre le délicat chantier de la gouvernance académique. // ©  Denis ALLARD/REA
Une petite révolution est en marche. La mission sur l’organisation territoriale a rendu ses conclusions en mars 2018 : il faut fusionner les rectorats pour se caler sur le découpage des 13 régions. La Rue de Grenelle, qui rendra ses arbitrages en juin, assure que "rien n'est encore tranché" mais prévient : "le statu quo n'est pas envisageable".

C'est un sujet d'apparence technique mais à la portée éminemment politique. Depuis 2015, les services déconcentrés du ministère de l'Éducation nationale font partie des exceptions dans le paysage des administrations. Lorsque la nouvelle carte des 13 régions s'est dessinée, la rue de Grenelle a en effet décidé de déroger à la règle en conservant le périmètre de ses rectorats et d'y superposer des régions académiques.

Une solution "hybride" et "intermédiaire" pour Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Éducation nationale, qui a affiché dès sa prise de poste sa volonté de donner un coup de pied dans la fourmilière et aboutir "à de véritables régions académiques". Première étape pour le ministre, en novembre 2017, la nomination d'un recteur à la tête des deux académies, en Normandie. Cinq mois après le lancement de cette expérimentation, le rapport de la mission sur l'organisation territoriale signe donc une nouvelle étape en détaillant concrètement les scénarios possibles pour la suite.

Un système à bout de souffle

Le verdict de François Weil, conseiller d’État, Olivier Dugrip, recteur de la région académique Nouvelle-Aquitaine, et des deux IGAENR, Marie-Pierre Luigi et Alain Perritaz est clair : il convient aujourd'hui d'aligner l’organisation territoriale des services déconcentrés des deux ministères sur les nouvelles régions. Cette "nouvelle étape" devra permettre "un fonctionnement plus lisible, plus opérationnel, et plus rationnel", et, en particulier, de rétablir une fluidité de relations avec les collectivités régionales et les autres services déconcentrés de l’État.

Une évolution d'autant plus nécessaire selon les rapporteurs que la mise en place des 17 régions académiques a déjà montré ses faiblesses. Le fonctionnement est "chronophage", et se fait "au prix d’une forte déperdition d’énergie, en particulier du haut encadrement des services déconcentrés". Principale faille : une "limitation très forte du pouvoir accordé aux recteurs de région académique, qui ne disposent pas en pratique de la capacité de mettre en œuvre les politiques décidées au niveau de la région académique".

La fusion des académies dans un calendrier serré

Face à ce constat, les rapporteurs appellent donc les recteurs de région d'académie à construire un projet de fusion qui devra être effectif au plus tard pour la rentrée 2021. Et demandent une mesure immédiate : le transfert du pouvoir hiérarchique au recteur de région ainsi que des compétences relatives à l’enseignement supérieur dès la rentrée 2018 pour permettre la mise en place de la loi ORE.

Trois types de scénarios sont proposés au regard de la diversité des contextes des régions académiques.

Pour la première catégorie d'académies (Bourgogne‐Franche‐Comté, Hauts‐de‐France, Normandie et Provence‐Alpes‐Côte d’Azur), les rapporteurs recommandent un projet de fusion à remettre à la fin de l’année 2018.

Pour les académies présentant les superficies et les populations scolaire et étudiante les plus importantes (Auvergne‐Rhône‐Alpes, Grand-Est, Nouvelle‐Aquitaine et Occitanie), cela implique la conception de nouveaux modes de gouvernance. Ces projets de fusion, plus complexes, pourraient être rendus au début de l’année 2019. Comme le territoire est plus vaste, pour l'enseignement supérieur, un vice-chancelier des universités pourrait être nommé auprès du recteur, de même qu'un adjoint en charge de l'enseignement scolaire.

Pour l'Île-de-France, dans le contexte du Grand Paris, la mission considère que la première étape à franchir est le regroupement sous l’autorité du recteur de l’académie de Paris de l’ensemble des compétences actuellement exercées par les trois recteurs en matière d’enseignement supérieur. En revanche, l’organisation de la gouvernance avec les évolutions de la structure administrative pourrait attendre le début de l’année 2021.

Des annonces la première quinzaine de juin

Sans conteste, cette réforme de la gouvernance aurait de multiples conséquences, notamment une révision de la carte des circonscriptions. Et, à l'image de la question de la déconcentration de la gestion des ressources humaines, les sujets connexes sont légion. "Ce rapport est explosif car il va poser, dans un second temps, une multitude de questions : quelles conséquences sur l'affectation des enseignants ? Le concours des professeurs des écoles ? Les dispositifs de péréquation ?, etc.", énumère Catherine Nave-Bekhti, à la tête du Sgen-CFDT.

Reste au gouvernement à arbitrer. Suivra-t-il l'intégralité des conclusions de même que le calendrier serré ? La réponse devrait arriver très vite puisque les annonces sont prévues pour la première quinzaine de juin. Le ministère de l'Éducation nationale a déjà prévenu : "le statu quo n'est pas envisageable", même si à ce stade "le rapport n'engage que ses auteurs". La rue de Grenelle l'assure : toutes les évolutions sont sur la table, du renforcement du rôle du recteur de région académique à la fusion des académies. Et de donner des gages. Si c'est cette dernière option qui est retenue, elle sera accompagnée d'un discours "clair" : "pas de mobilité géographique contrainte, pas de cadres sans solution, pas d'impact avant 2022 sur les périmètres de gestion des personnels".

Négociations tendues en vue

"Si le ministre décide de suivre le rapport, enfin le mammouth bougera !", se réjouit Bernard Toulemonde, ancien recteur et directeur général de l'enseignement scolaire. Mais l'expert tempère : "Par le passé, nous avons déjà eu des rapports du même acabit jamais suivis des faits..." L'Éducation nationale est-elle aujourd'hui prête à la mue ? "C'est un mouvement inévitable. On va vers une régionalisation du système éducatif. Les académies ancien style ne sont pas l'avenir."

Ce n'est pas le point de vue des syndicats avec qui le ministère ouvre une courte phase de concertation cette semaine. Pour le Snalc, c'est simple, la rue de Grenelle doit refermer "immédiatement" ce dossier. Même du côté des organisations plus ouvertes à une évolution, la fusion, c'est non. "Nous n'avons jamais cru au système actuel mais si l'on confie le pouvoir hiérarchique au recteur de région il n'est pas nécessaire d'aller jusqu'à la fusion", défend Jean-Marc Bœuf, secrétaire général d'Administration & Intendance-Unsa.

Quant à Catherine Nave-Bekhti du Sgen-CFDT, elle rejette une vision "pyramidale". "Ce rapport se centre sur de la mécanique administrative et reste très léger sur le sens du modèle. On a besoin de relais de proximité pour les usagers mais aussi pour les établissements scolaires. On peut conserver la situation actuelle en travaillant cette notion de proximité et en améliorant la synergie entre les acteurs", estime-t-elle.

Sur le terrain, les recteurs, eux, attendent les arbitrages de pied ferme. "Il y a une vraie demande en Normandie. Les personnels veulent y voir plus clair sur les scénarios possibles", confirme Denis Rolland, le premier recteur à la tête des deux académies de la région. Et si le scénario fusion est choisi, ce ne sera qu'au prix "d'un dialogue social très important avec les personnels". "Il ne faut pas non plus commencer par ce qui bloque mais voir ce que cela peut apporter en termes de plus-value", recommande le recteur. "Le domaine sensible c'est l'identité d'origine. Il faut faire en sorte qu'on la respecte." Verdict dans moins d'un mois.

Laura Taillandier | Publié le