Master : ces universités qui sélectionnent déjà en M1

Aurore Abdoul-Maninroudine Publié le
Master : ces universités qui sélectionnent déjà en M1
L'université Paris-Descartes a mis en place une procédure de contingentement pour l'accès à ses masters. // ©  université Paris Descartes-Paris 5 Huguette & Prosper
Si universitaires et présidents demandent au ministère une sélection à l'entrée du M1, elle existe déjà, sous des formes plus ou moins édulcorées, dans de nombreuses universités. Elles ne prononcent pas le mot tabou de "sélection" mais parlent plutôt de "procédures de recrutement" ou de "contingentement". Tour d'horizon des pratiques les plus courantes.

"Nous n'utilisons pas le mot ‘sélection’", précise d'emblée Mireille Bastien-Toniazzo, responsable du master psychologie d'Aix-Marseille Université. Depuis 2008, pourtant, les étudiants admis dans ce master le sont à l'issue d'"une procédure de recrutement". Première étape : un jury examine les dossiers des étudiants, puis les candidats retenus sont convoqués pour un entretien. "La pression démographique n'est pas forte", précise Mireille Bastien-Toniazzo : 75% des étudiants ayant validé leur L3 obtiennent une place dans le master de psychologie de l'université.

Au moment où les présidents d'université demandent au ministère "la mise en place d'une orientation renforcée et d'une possibilité de sélection" dès l'entrée en M1, force est de constater qu'elle existe déjà dans certaines universités.

Selon l'arrêté du 22 avril 2002 relatif au master, les étudiants peuvent pourtant s'inscrire dans un master s'ils ont validé une licence "dans un domaine compatible" avec celui du master. À titre d'exemple, une université doit normalement accepter en master 1 d'économie tous les étudiants ayant validé une licence d'économie, quelles que soient leurs notes et quelle que soit l'université où ils l'ont obtenue. Au niveau juridique, les capacités d'accueil de l'université ne peuvent légitimer une sélection sur dossier.

dossier, lettre de motivation, entretien...

Dans les faits, les méthodes de "sélection" en M1 sont variées. La plus fréquente est l'examen du dossier de l'étudiant, souvent suivi d'un entretien. Le dossier comprend les notes en licence mais aussi, selon les cas, une lettre de motivation, un CV, voire des lettres de recommandation du responsable de la licence ou d'un responsable de stage. Pour certains masters spécifiques préparant au métier de guide conférencier ou à la communication internationale, par exemple, un niveau minimum en langues est souvent requis. L'ampleur de la sélection en M1 est difficilement quantifiable tant les situations diffèrent d'une université à l'autre.

À l'université de Strasbourg, une sélection sur dossier existe à l'entrée de tous les masters de la faculté des sciences économiques et de gestion. Une situation justifiée par son doyen, Thierry Burger-Helmchen : "Nous avons 250 places, tous M1 confondus, pour près de 5.500 demandes. Même en tenant compte du fait que les étudiants postulent dans plusieurs spécialités et dans plusieurs universités, nous sommes obligés de sélectionner. C'est du bon sens." En contrepartie, les étudiants admis en M1 ont la certitude d'obtenir une place en M2, dans la même mention.

Même constat au sein de l'UFR d'informatique de l'université Toulouse 1 Capitole. "Nos masters sont sélectifs de manière modérée. Nous prenons environ un candidat sur deux et vérifions surtout que l'étudiant possède une licence lui permettant de suivre nos masters", décrit Gilles Zurfluh, directeur de l'UFR. Il estime à 20% les candidatures farfelues d'étudiants "n'ayant pas le niveau en informatique" ou ayant obtenu de manière "très limite" leur licence.

"une orientation constructive, un peu coercitive"

L'université Paris-Descartes va plus loin. Elle a instauré pour tous ses masters "une procédure de contingentement". "Il ne s'agit pas de sélection mais d'orientation constructive, un peu coercitive", assure le président de l'université, Frédéric Dardel. "Des étudiants qui ont 6 en génétique en L3 mais qui veulent s'inscrire en master de génétique, nous en avons", assure-t-il.

L'université a donc fait le choix de ne pas sélectionner à l'entrée du M2 mais d'orienter les étudiants à la sortie de la licence. À partir de l'examen du dossier, les équipes pédagogiques donnent un avis sur l'admission de l'étudiant dans leur master. D'un point de vue purement juridique, l'étudiant a toujours la possibilité de s'inscrire dans le master convoité, souligne Frédéric Dardel, mais "peu osent contester" l'avis de l'université.

répartir les flux d'étudiants

"Nous ne sélectionnons pas en M1 par plaisir. Nous n'avons pas le choix", se défendent ainsi d'une même voix les responsables de master, doyens ou présidents d'université interrogés. "Face à des moyens contraints, nous ne pouvons pas faire autrement", plaident-ils. Ils soulignent ainsi que la qualité de la formation suppose de pouvoir travailler en petits groupes et mettent en avant la difficulté à trouver des stages en laboratoire ou en entreprise, sans lesquels le master ne pourra être validé.

En réalité, les universités ont globalement assez de places pour accueillir leurs étudiants de L3. A Paris-Descartes, par exemple, 1.700 étudiants obtiennent leur licence pour 2050 places en master 1, tous domaines confondus. L'enjeu de la sélection est donc moins d'empêcher les étudiants de s'inscrire en M1 que "de les répartir entre les différentes formations", explique Thierry Burger-Helmchen. Certains parcours et mentions sont plus attractifs que d'autres et nous ne pouvons pas prendre tous les candidats."

"Nous faisons tout pour ne laisser aucun étudiant sur le carreau, insiste de son côté Frédéric Dardel. Nous organisons des réunions de conciliation avec les étudiants non admis dans le master souhaité, et le doyen de l'UFR essaie toujours de leur proposer quelque chose."

vers une sélection dès la L3 ?

Parmi les victimes collatérales de cette sélection en M1 qui ne dit pas son nom, les étudiants souhaitant changer d'université au moment du master. "Je m'occupe en priorité des étudiants issus de mon université. Il y a donc énormément de demandes de l'extérieur que je ne peux pas honorer", admet Frédéric Dardel.

Conscients de cet état de fait, les étudiants ont d'ailleurs tendance à changer d'université dès la L3 pour maximiser leurs chances d'être admis dans le M1 convoité, selon une étude de terrain menée en 2012 par Catherine Béduwé, chercheuse à l'université Toulouse 1 Capitole. D'après cette enquête, près d'un étudiant sur deux avait été sélectionné avant le M2. Et il s'agissait le plus souvent d'une sélection... à l'entrée de la L3 !

Aucun recours en cours sur la sélection en M1
"Je n'ai connaissance d'aucun recours d'étudiant contre une université qui l'aurait sélectionné à l'entrée du M1", indique Florent Verdier, l'avocat qui défend des étudiants sélectionnés en M2.

De même, les doyens et présidents d'université interrogés affirment avoir toujours réussi à s'arranger à l'amiable avec les étudiants non admis dans une formation.

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