N. Dufourcq (Bpifrance) : "Nous n’avons pas encore réussi à créer le grand groupe français de services éducatifs de rang mondial."

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N. Dufourcq (Bpifrance) :  "Nous n’avons pas encore réussi à créer le grand groupe français de services éducatifs de rang mondial."
Bpifrance soutient les étudiants entrepreneurs, et notamment via le financement du programme PEPITE dans les universités et le monde de l’éducation. // ©  Pascal SITTLER/REA
Soutien à la création de start-up par les jeunes docteurs, investissement dans l'enseignement supérieur privé, gestion du dispositif du volontariat territorial en entreprise pour attirer jeunes ingénieurs et managers dans les PME des territoires... Nicolas Dufourcq, directeur de Bpifrance revient pour Educpros sur les actions de la banque publique d'investissement en faveur de l'enseignement supérieur.

Le 19 juin dernier, vous avez annoncé, avec le MESRI, le financement d'un concours pour soutenir la création de start-up "deep tech" par de jeunes docteurs. Quels sont les objectifs et les enjeux de ce dispositif et combien d’argent allez-vous mobiliser ?

Le plan "deep tech" a pour objectif, d’ici 2023, d’engendrer 2.000 start-up créées par des scientifiques issus des laboratoires de la recherche française, et ce, dans tous les champs de la science française : intelligence artificielle, cloud, matériaux, micro-fluides, cybersécurité, space-tech… Pour cela, nous mobiliserons à peu près 2 milliards d’euros de fonds propres, et 800 millions d’euros seront injectés dans de nouvelles start-up via des subventions, avances remboursables, prêts, etc.

Nicolas Dufourcq
Nicolas Dufourcq © bpifrance

Au début de la chaine, et afin de favoriser l’émergence de start-up "deep tech", 80 millions d'euros par an seront mobilisés en faveur de la maturation technologique via les SATT (Société d'accélération du transfert de technologies), et 150 millions d'euros sur 5 ans pour booster l’incubation de projets "deep tech". Nous nous sommes fixé comme objectif de faire de la France le leader de la tech européenne.

Pour y parvenir, nous avons besoin de tout un écosystème de start-up digitales, biotech, med-tech, qui généreront de futures licornes (les "licornes“ sont ces start-up françaises valorisées plus d’un milliard d'euros, NDLR). Mais il nous faut aussi arriver à projeter le monde académique et scientifique - le monde des laboratoires et de la recherche - dans l’univers de la valorisation et des start-up.

Y a-t-il trop peu de chercheurs qui créent leurs entreprises en France ?

Aujourd’hui, la transformation de la science française en économie, c’est-à-dire en entreprise, est en effet beaucoup trop faible comparée à d’autres pays européens ou encore à Israël et aux États-Unis. Dans toutes les universités, nous souhaitons que se créent collectivement une molécule à trois atomes : la SATT, un start-up studio, qui aide le chercheur à créer sa boîte - souvent en le mettant en relation avec un manager -, et un fonds de capital-amorçage permettant de mettre des capitaux propres dans la start-up en question.

Si ce tripode est installé dans les principaux centres scientifico-universitaires français, on pourra alors déclencher dans ce monde-là le même effet boule de neige que celui déclenché dans le monde des écoles d’ingénieurs et des écoles de commerce en 2012-2013.

Vous organisez cet été une tournée des plages pour valoriser l’industrie du futur, le French Fab Tour. Pourquoi ? L’industrie attire-t-elle encore trop peu les jeunes et leurs familles ?

L’objectif est de rassembler les Français autour de leur industrie, leur redonner conscience des chances que nous avons en France de réinventer l’industrie du futur qui sera très fortement digitalisée et verte. C’est possible ! On est déjà en train de le faire. C’est une histoire très peu racontée, alors nous la racontons. Nous partons sur les routes du 15 juillet au 14 août 2019, où nous organisons dans 17 villes étapes des débats, suivis d'un concert.

La tournée a en réalité commencé le 15 janvier dernier à Laval pour irriguer les villes françaises, y compris les petites comme Pithiviers, Bourg-en-Bresse ou Châlons-en-Champagne, Sochaux… et s’achèvera le 10 octobre prochain à Paris avec la 5e édition de notre événement, le Bpifrance Inno generation (BIG) : 45.000 entrepreneurs sont attendus pour fêter les valeurs de l’entrepreneur (optimisme, d’action, de proximité et de volonté).

Le MESRI vous a confié le dispositif de garantie des prêts étudiants. Quel bilan dressez-vous de cette activité ?

Nous ne demandons pas mieux que d’augmenter cette activité, mais pour cela, il nous faut des dotations publiques que nous n’avons pas. Chaque année, nous exerçons cette activité jusqu’au mois de septembre et après nous n’avons plus d’argent. Il suffirait pourtant de peu d’argent supplémentaire pour universaliser cette prestation qui répond à un vrai besoin.

Une de vos missions est aussi de soutenir l’entrepreneuriat. Avez-vous des dispositifs spécialement consacrés aux étudiants ou aux jeunes diplômés ?

Nous finançons principalement le programme PEPITE d’accompagnement à la création d’entreprise dans les universités et le monde de l’éducation. Sinon nous accompagnons beaucoup la création d’entreprise en général. Parmi nos actions, on peut souligner la garantie apportée aux banques françaises pour les prêts à la création, les accélérateurs de création dans les quartiers de la politique de la ville, l'aide massive des réseaux associatifs de soutien à la création d'entreprises, France active, Initiative France, BGE, Réseau entreprendre, ADIE, etc.

Quatre ans après le lancement de votre plateforme de e-learning BPI-Université, quel est le bilan ?

À la création de Bpifrance, nous nous sommes demandé s’il fallait créer un Mooc pour les entrepreneurs. Très vite, nous nous sommes aperçus que ces derniers n’avaient pas le temps. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en ligne sur notre plateforme de e-learning des pastilles vidéo de 2 ou 3 minutes, simples d'utilisation dans lesquelles nous traitons quantité de sujets : gestion du cash, premiers pas à l'export… C’est gratuit, c’est facile et cela plait énormément à nos clients qui les visionnent entre deux rendez-vous. Un format idéal, contrairement au Mooc, qui impose sa propre rythmique et ses exigences.

En fin d'année 2018, vous avez signé un partenariat avec l’EM Lyon pour promouvoir les carrières dans les PME et ETI auprès des étudiants. Pensez-vous que les jeunes diplômés sont-ils encore trop formatés grandes entreprises ?

Ce partenariat est conçu pour changer l’état d’esprit de nos jeunes à l’égard de la PME dès le début et pas seulement à la fin de leurs études. Il prend la forme d’un module d’initiation à la PME en début de scolarité. J’ai récemment écrit une lettre à 20.000 étudiants et jeunes diplômés d'écoles comme Polytechnique, HEC, EM Lyon, Audencia, Kedge ou encore IMT, dans laquelle je leur vante l’intérêt d’effectuer un VTE (Volontariat territorial en entreprise) sur le modèle du VIE (Volontariat international en entreprise) à l’export.

Nous nous sommes fixé comme objectif de faire de la France le leader de la tech européenne.

Les patrons de PME ont beaucoup de mal à se faire connaitre des futurs jeunes diplômés de l'enseignement supérieur. Le nom d’une PME leur est souvent inconnu, et les jeunes diplômés redoutent qu’il n’apporte rien sur un CV. La vie en province peut également apparaître moins agréable, comparé à celle d'une métropole ou d'un pays étranger. Il s’agit en grande partie de clichés non fondés. Une expérience, même courte, dans une PME des territoires est formatrice pour la vie. Et des DRH de grands groupes français me disent tous être intéressés pour recruter des jeunes qui se seront confrontés au monde d'une entreprise de taille moyenne.

Bpifrance a récemment investi dans Inseec U et dans d'autres établissements. Quelle place occupez-vous sur le marché de l’enseignement supérieur et quelles sont vos ambitions ?

Nous investissons en effet au capital des groupes privés de l’éducation : l’Inseec U, Galileo-Studialis, les écoles de Condé, Ipesup, Nacé ou encore l’EM Lyon. Et nous sommes prêts à continuer car c’est fondamental. Si on arrivait à créer un grand groupe privé français d’éducation à projection mondiale, on créerait une entreprise extraordinaire.

Ce serait à la fois une très belle source de création de valeur et en même temps un outil de "soft power" formidable au niveau mondial pour la France et sa vision de l’éducation. Mais, pour l'heure, nous n’avons pas encore réussi à créer le grand groupe privé français de services éducatifs de rang mondial.

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