Comment la baisse du niveau en français des collégiens et lycéens est devenue structurelle

Catherine Piraud-Rouet Publié le
Comment la baisse du niveau en français des collégiens et lycéens est devenue structurelle
REA BAISSE du niveau de français // ©  Denis ALLARD/REA
Niveau d’orthographe, de syntaxe et de culture générale en chute libre, difficultés à articuler des idées, à comprendre et à synthétiser des textes… Les enseignants sont unanimes : les 15-25 ans font globalement montre de compétences en français de plus en plus faibles. La baisse du niveau en français trouve ses racines dans une pluralité de facteurs, tant sociologiques que conjoncturels, structurels et politiques. Décryptage.

Dans tous les établissements du secondaire, les enseignants tirent la sonnette d’alarme : la baisse du niveau en français s'accentue. Elle atteint même des proportions souvent alarmantes dans les zones d’éducation prioritaire. Quelles sont les causes de cette baisse désormais installée du niveau de maîtrise de la langue française ? Elle est liée à des facteurs multiples et aggravée par les inégalités socio-économiques et territoriales, alors même que le nombre d'heures d'enseignement du français n'a cessé de se réduire ces dernières décennies.

Un tiers seulement des élèves à l'aise avec la langue française

"Les phrases qu’ils écrivent n’ont aucun sens, avec un usage très aléatoire de la ponctuation. Un élève de seconde ne sait pas reconnaître un sujet d’un verbe ! S’ajoute à ce tableau un manque de vocabulaire abyssal", se désole Fanny Capel, enseignante en français au lycée Paul Eluard de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), de la seconde au BTS, et membre du collectif Sauver les lettres.

Le constat n’est guère meilleur dans les zones scolaires sans difficultés sociologiques particulières. "En première technologique, l’hétérogénéité est énorme : un tiers d’élèves à l’aise avec la langue (contre deux tiers en première générale), un tiers de niveau moyen et un tiers en grande difficulté", recense Claire Grafion, professeure de français au lycée Paul-Emile Victor à Champagnole (Franche-Comté).

Le système éducatif n'arrive pas à enrayer les inégalités liées au facteur social

Des observations de terrain confirmées par les évaluations nationales. Selon le ministère de l’Education nationale, en 2021, 55,7% des élèves avaient une maîtrise satisfaisante des compétences exigibles en fin de troisième, contre 58% en 2015. Mais ces observations nationales sont légèrement tempérées par les évaluations internationales. Dans le palmarès PISA 2018, le score moyen des élèves en France est de 493 points en compréhension de l’écrit, ce qui place l’Hexagone légèrement au-dessus de la moyenne de l'OCDE (487 points).

La France est en effet l'un des pays de l'OCDE où le lien entre le statut socio-économique et la performance dans PISA est le plus fort.

Comment expliquer ce constat ? Beaucoup avancent un éclairage sociologique : l’isolement croissant des adolescents devant les écrans, sans compensation par une incitation à la lecture et aux sorties culturelles. "A la clé, un niveau de culture générale, mais aussi des capacités d’attention et de concentration réduits comme peau de chagrin", déplore Claire Grafion.

Des freins d’autant plus présents dans les milieux défavorisés, parmi beaucoup d’autres. La France est en effet l'un des pays de l'OCDE où le lien entre le statut socio-économique et la performance dans PISA est le plus fort. "Des inégalités que notre système éducatif ne parvient pas à enrayer, voire accentue", pointe Dominique Bruneau, Secrétaire fédéral coordonnateur du secteur politique éducative au Sgen-CFDT.

Une baisse de 522 heures de français

Cet échec peut être éclairé par certaines explications d’ordre conjoncturel (mais au long cours). A commencer par la baisse, aussi conséquente que continue, du nombre d’heures de français dans les programmes depuis une cinquantaine d’années. "En 2022, les élèves ont perdu, primaire et collège additionnés, 522 heures de français par rapport aux horaires de 1968, soit deux années de formation. Un manque encore accentué par la suppression des travaux en classes dédoublées, qui permettaient un accompagnement plus qualitatif et individualisé", expose Fanny Capel.

A la clé, l’impossibilité d’installer les bases et automatismes nécessaires. Autre facteur : une inclusion scolaire des élèves en situation de handicap insuffisamment efficace et pénalisante pour tous les élèves, faute de moyens avec un manque d’AESH notamment. "Dans une classe, certains collègues ont à gérer trois à cinq élèves avec des problématiques particulières (Dys, handicaps psycho-sensoriels…). Ce qui rogne d’autant le temps à consacrer au reste des élèves", note Fanny Capel.

Un système éducatif globalement à la peine

Des problématiques encore aggravées par des éléments structurels, intrinsèques aux dysfonctionnements de l’institution. Ce sont 15 millions d'heures d'enseignement qui seraient aujourd'hui perdues en raison de "l'incapacité du système éducatif à remplacer les professeurs absents, qu'ils soient malades ou mobilisés par la formation ou les corrections d'examens", selon le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye.

D’autres évoquent une formation insuffisante et inadaptée des enseignants. Tant initiale, avec un temps de stage désormais réduit à un an, que continue. Dans l’évaluation PIRLS 2016, 38% des enseignants de français ont confié n’avoir participé à aucune formation professionnelle en lecture-compréhension au cours des deux dernières années, contre 22% en moyenne pour les autres pays européens.

Par ailleurs, en réduisant le nombre de candidats aux concours, la crise des vocations due aux conditions d’exercice de plus en plus ingrates du métier a fait plonger le niveau d’exigence. "Avec des admis aux concours du primaire et du secondaire ayant parfois, dans certaines académies, obtenu une note largement en-dessous de la moyenne", évoque Dominique Bruneau.

Des choix politiques hasardeux et un empilement de réformes

Certains choix politiques sont également dénoncés. La raréfaction du redoublement, d’abord. "Depuis 1989, on laisse passer des élèves "limites" en classe supérieure, d’où l’accumulation de lacunes", regrette Claire Grafion.

On a éliminé des programmes tout ce qui passe pour ennuyeux [...] L'enseignement est devenu incohérent et encore plus inégalitaire. (F. Capel, professeure de français)

L’empilement de réformes manquant trop souvent de continuité, de vision et de préparation, ensuite. "On a éliminé des programmes tout ce qui passe pour ennuyeux : hier l'apprentissage syllabique de la lecture au profit de 'devinettes', aujourd'hui l'analyse logique de la phrase au profit de la grammaire par 'manipulations'. L'enseignement est devenu incohérent... et encore plus inégalitaire", estime Fanny Capel.

Véronique Baslé, professeure de français au collège à Pleumeur-Bodou (Côtes-d’Armor) veut, elle, insister sur une note plus positive. "Il faudrait éviter d’évoquer un hypothétique 'âge d’or', en gardant en mémoire que le niveau global de la population face à l’écrit est plus élevé que celui de la génération née aux alentours de la seconde guerre mondiale", pointe-t-elle.

Bref, ce n’était pas forcément "mieux avant" … Même si de nombreuses pistes d’amélioration sont souhaitables.

Catherine Piraud-Rouet | Publié le