Enseignement supérieur : comment recruter les meilleurs intervenants professionnels ?

Catherine Piraud-Rouet Publié le
Enseignement supérieur : comment recruter les meilleurs intervenants professionnels ?
Les professionnels intervenants, une valeur ajoutée pour les établissements d'enseignement supérieur. // ©  DEEPOL by plainpicture
Dans tous les types d’établissements d’enseignement supérieur, et notamment dans les écoles privées, l'intervention de professionnels en exercice constitue une plus-value majeure pour la qualité des enseignements. Comment les démarcher, les choisir, les intégrer et les fidéliser ? Enquête.

Pour préparer les étudiants aux réalités du monde du travail, rien ne remplace les interactions avec des professionnels en exercice. Des impératifs bien compris dans les écoles spécialisées, comme l'Iscom. "Seuls 2% de notre corps enseignant est constitué d’enseignants académiques, témoigne Jimmy Mirande, directeur des programmes. Nous faisons massivement appel à des professionnels vacataires : directeurs de la communication ou artistiques, motion designers, créatifs en agence de publicité...".

Ils sont aussi légions dans les écoles de commerce. "Environ 40% de nos enseignants vacataires sont des professionnels en exercice", évoque Dima Tawil, cheffe du département finance-comptabilité à Rennes SB. L'université, pourtant longtemps parent pauvre de cette professionnalisation des enseignements, s'y met aussi, notamment dans des spécialisations pointues de master. "Dans les trois diplômes que je dirige, on trouve 80% d'intervenants professionnels", pointe Laurent Grosclaude, directeur de trois masters juridiques à l'université Toulouse Capitole.

Trouver des professionnels avec un bagage académique solide

Mais sur des métiers souvent en tension, recruter des collaborateurs qui cochent toutes les cases - l'expertise, la disponibilité et la fibre pédagogique - est un vrai challenge. Première étape : définir les critères de choix. "En sus d'une valeur ajoutée dans un domaine professionnel, nous sommes souvent tenus par les organismes de certification au respect de critères académiques, par exemple la possession d’un master ou d'un doctorat", note Thierry Delécolle, directeur du développement du pôle Léonard de Vinci (La Défense), qui comprend notamment l'école d’ingénieurs ESILV.

Deuxième étape : démarcher ces "moutons à cinq pattes". Un process qui débute entre six mois et un an à l’avance. Si les annonces sont parfois utilisées, l'approche directe, par réseau, est privilégiée. "Nous nous appuyons sur nos entreprises déjà partenaires pour des formations ou des stages, explique Laurent Grosclaude. Par exemple, en droit de l'aviation, je me rapproche de collaborateurs des départements juridiques de Thalès ou de Safran."

L'approche par entreprise est d’autant plus porteuse que s’y ajoute une dimension "marque employeur", résolument gagnante-gagnante. "L'organisation y trouve un vivier de recrutement et les étudiants vont à la rencontre de vrais projets et d'entreprises", pointe Thierry Delécolle. Autre source souvent fructueuse pour les établissements : leur réseau d'alumni.

Une rémunération calculée sur plusieurs critères

Troisième phase : sélectionner les meilleurs profils. À l'Iscom après un premier tri sur CV, le candidat est convié pour une présentation de son expertise et de ses réalisations, puis il doit délivrer une masterclass à une sélection de collaborateurs de l’école. "L'idée est de tester sa capacité à créer une synergie au sein d’un groupe hétérogène, son agilité à manier les outils et sa capacité d’innovation", décrypte Jimmy Mirande. À l'inverse, d’autres structures ne pratiquent aucun écrémage particulier. "C'est nous qui nous sentons plutôt redevables", estime Laurent Grosclaude.

La problématique est d’autant plus grande que la motivation principale de ces experts n’est généralement pas le niveau de rémunération proposée. "Une heure de vacation à l’université est rémunérée entre 60 et 100 euros, soit deux à trois fois moins que ce que gagne un avocat doté d’une certaine cote", relève Laurent Grosclaude. Les établissements disposent de grilles, prenant en compte un certain nombre de critères (niveau académique, expérience pédagogique, activités de recherche, année d'étude concernée, technicité de l’enseignement, type d'interventions dispensées : cours magistral, TD, conférence…).

Toutefois, la question de la paie - que ce soit son montant ou la rapidité du versement de celle-ci - peut créer des tensions, comme l'atteste l'appel d'un collectif d'enseignants vacataires qui menace de "retenir les notes" des partiels, et demande un doublement de salaire.

Soigner le processus d’intégration

Selon les établissements et les profils des intervenants, deux formules de contrats sont pratiquées : CDD ou honoraires. Les missions, allant de l'intervention ponctuelle de quelques heures à la prise en charge d’un module pédagogique à l’année, peuvent comprendre ou non des charges pédagogiques annexes (organisations d’examens, correction de copies, encadrement de mémoires, coaching…). "Tous les frais éventuels de déplacement et d'hébergement – notamment pour les intervenants internationaux - sont à intégrer dans le package", pointe Dima Tawil.

Le professionnel est ensuite soumis à un processus de formation et d’intégration plus ou moins poussé. "L'intervenant doit connaitre l’école, son plan de développement stratégique, son année d’études, la spécialisation dans laquelle il intervient, puis l'enseignement en lui-même", énumère Jimmy Mirande.

À l'ESILV, les nouvelles recrues reçoivent une formation à l'espace numérique de travail (ENT), puis sont conviées à des réunions en début d’année avec tous les intervenants du programme, pour leur rappeler objectifs pédagogiques et séquençage des séances. À Rennes SB, chaque intervenant est relié à un coordonnateur de cours. Encore une fois, l'université se démarque, avec des processus d’intégration nettement plus restreints.

Fidéliser les intervenants professionnels, un casse-tête

Dernier écueil : fidéliser des collaborateurs très demandés et dont l'évolution des missions rend les plannings fluctuants d’année en année. Le turn-over est un phénomène surtout prégnant à l’université. En cause en particulier, la lourdeur des dossiers administratifs et les délais de paiement des vacations.

Les écoles privées, plus souples et réactives, sont moins touchées par ces aléas. "Sur 250 professionnels, nous devons en recruter de nouveau une quinzaine chaque année", avance Jimmy Mirande. Pas question d’exiger la signature d’une clause d’exclusivité. "Difficile de la contrôler, commente Thierry Delécolle. Et commencer une relation par une exigence unilatérale, c'est compliqué."

Ce qui convaincra le mieux un professionnel de haut vol d’intégrer un établissement d’enseignement et d’y rester, c'est l'envie de transmettre, la carte de visite, ainsi que le vivier de recrutement potentiel. À charge pour les structures de cultiver ces trois dimensions.

Catherine Piraud-Rouet | Publié le