Enseignement supérieur privé : vers une régulation des établissements à but lucratif ?

Agnès Millet Publié le
Enseignement supérieur privé : vers une régulation des établissements à but lucratif ?
abus de l'enseignement supérieur privé // ©  DEEPOL by plainpicture
Alors que l'anxiété des lycéens ne cesse de s'accroître au sujet de leur orientation, plusieurs acteurs tirent la sonnette d'alarme. Dans le viseur : des acteurs de l'enseignement privé lucratif entretiendraient le flou sur la reconnaissance par l'État de la qualité de leur programme. Un chantier est lancé pour clarifier l'offre.

Des établissements aux "pratiques commerciales trompeuses". Le diagnostic est sans équivoque. L'enseignement supérieur privé doit "revoir sa copie sur plusieurs points en matière de protection du consommateur", juge la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) en décembre 2022, après l'examen de près de 80 établissements.

Si la DGCCRF ne communique pas précisément sur les écoles en cause, le MESR (ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche) précise que celles "ayant fait l’objet de sanctions ne sont pas en lien avec le MESR" et que "l'enquête se poursuit".

L'annonce, en tout cas, fait l'effet d'un coup de pied dans la fourmilière. Car l'enseignement supérieur privé, en plein développement, regroupe des établissements très hétérogènes par leur taille, leur statut ou le type et la qualité des formations délivrées.

Flou entre "bonnes" et "mauvaises" écoles privées

En février, France Universités demande ainsi des "clarifications et de la transparence au sujet de l’enseignement supérieur privé lucratif" ainsi que la mise en place d’un "code de déontologie obligatoire" pour ces établissements.

Fustigeant, au passage, des "droits d’inscription prohibitifs", les universités exigent des "garanties de qualité de ces établissements". De quoi faire penser qu'aucune école privée ne respecte les règles.

La quarantaine d'écoles de commerce réagissent. Lors d'une conférence de presse, le 9 mars, Alice Guilhon, présidente de la Cdfem (Conférence des directeurs d'écoles françaises du management) se défend. "Attention aux amalgames ! Dans le domaine du management, les écoles membres de notre conférence doivent remplir des critères très stricts. Nous sommes très exigeants."

Le sujet est davantage dans la qualité des formations que dans le statut de l'école. (A. de Navailles, Fesic)

C'est aussi le combat de la Fesic (Fédération des établissements d’enseignement supérieur d’intérêt collectif) qui rappelle régulièrement que toutes les écoles privées ne sont pas à mettre dans le même panier. "Pour moi, le sujet est davantage dans la qualité des formations que dans le statut de l'école", pose Alexandre de Navailles, membre du bureau de la Fesic.

Ce flou entre "bonnes" et "mauvaises" écoles privées n'est pas une question récente. "Si le label Eespig a été créé il y a près de dix ans, c'est pour une bonne raison", indique Alexandre de Navailles. En l'occurrence, ce label distingue les "établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général", c'est-à-dire les établissements non lucratifs, qui participent aux missions de service public et sont évalués sur différents critères par le MESR. En mars 2022, 64 établissements détenaient cette qualification. De quoi y voir plus clair. Alors pourquoi le sujet resurgit ?

L'apprentissage, une manne pour des écoles privées lucratives

En 2019, la création de France compétences rebat les cartes pour les formations en apprentissage, avec un nouveau système de financement. Depuis, "l'activité des acteurs du lucratif privé s'intensifie", observe Alexandre de Navailles.

Les poids lourds du secteur, bien installés, se développent. Mais ils sont plutôt épargnés par les critiques. "Certains groupes lucratifs font du bon boulot et il faut les encourager", glisse la présidente de la Cdfem.

En revanche, les mots sont moins tendres pour les nombreuses écoles qui se créent dans les territoires peu dotés en formations du supérieur. "Ces petites écoles ont un modèle économique basé sur l'alternance et se montent partout", décrit Alexandre de Navailles.

Ces établissements utilisent la manne de l'apprentissage et, en quelque sorte, volent les familles. (A. Guilhon, Cdfem)

Une proximité territoriale qui rassure. "Un lycéen peut renoncer à tenter une grande école qu'il juge coûteuse, éloignée et réservée à une élite et préférer celle qui est près de chez lui, alors qu'elle peut être bien plus chère et moins solide", avance Romain Vismara, président du BNEM (Bureau national des étudiants en école de management).

"Ces établissements utilisent la manne de l'apprentissage et, en quelque sorte, volent les familles", tranche Alice Guilhon, qui dénonce ceux qui "vendent des non-diplômes avec des pseudo-reconnaissances."

Le flou sur les deux types de reconnaissance par l'État

Pseudo-reconnaissance ? Les familles, en quête de repères, se réfèrent aux labels délivrés par l'État. C'est là que le bât blesse, car deux ministères délivrent des labels. Le ministère de l'enseignement supérieur avec son visa et son grade (niveau licence ou master), garantit la qualité académique d'un diplôme (s'appuyant sur des activités de recherche) – toutes les écoles de commerce membres de la Cdfem le détiennent.

Alors que le ministère du travail valide des compétences sanctionnées par un titre, via l'enregistrement au RNCP (répertoire national des certifications professionnelles). Qui peut d'ailleurs être "loué" à une autre formation… Or, beaucoup des nouvelles formations en apprentissage affichent ce sésame.

Il existe donc une ambivalence. "Les lycéens et leurs parents sont loin de comprendre la distinction entre les deux ministères. Elles pensent déjà que les termes "programme grande école" (PGE) prouvent une reconnaissance de l'État alors que ce n'est pas le cas", précise Romain Vismara, président du BNEM.

Cette différence est pourtant cruciale. Car si la qualité académique n'est pas contrôlée par le MESR, le niveau d'études n'est pas validé. "Le problème se pose lorsque les choses se passent mal en bachelor ou si l'école ferme. Après trois ans d'études, l'élève risque alors de retomber au niveau bac, en ayant perdu son temps et son argent", prévient Romain Vismara.

Dans ces cas-là, les réorientations et les poursuites d'études ne sont pas garanties. "Avec un titre RNCP, on ne peut pas toujours tenter les concours d'admissions sur titre pour intégrer un PGE grade de master. Le jeune se trompe s'il pense que c'est automatique. Cela dépend de la délivrance ou non d'ECTS (European credits transfer system)", rappelle Alexandre de Navailles.

Renforcer la lisibilité du secteur privé

Pour faire le ménage, le MESR a lancé un groupe de travail, mené par la Dgesip (direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle) et l’Igésr (Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche) pour "renforcer la lisibilité du secteur privé et clarifier les relations de l’enseignement privé avec l’État, notamment sur les questions de diplomations", nous précise le MESR.

Plusieurs sujets sont sur la table dont la régulation des établissements à l’ouverture et au cours de leur existence et la régulation des diplômes (notamment l'articulation avec l’inscription au RNCP). Le groupe de travail doit faire des propositions avant l’été au cabinet de la ministre, et des annonces pourraient être faites à ce moment. La tâche s'annonce difficile.

La Cdfem se réjouit de la mise en place du groupe de travail mais reste vigilante pour son secteur. "Nous voulons une régulation par l'État afin qu'on ne puisse plus créer un établissement du supérieur privé lucratif sans avoir le visa de l'État que ce soit en bachelor ou à bac+5", expose Alice Guilhon, lors de la conférence de presse de la Cdfem.

De grands efforts de communication doivent être faits, selon le BNEM. "Le MESR applique ses macarons sur les formations qu'ils contrôlent mais il faudrait qu'il y en ait qu'un seul, très identifiable par les lycéens. Il faut une simplification", plaide Romain Vismara.

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