Les universitaires déçus par François Hollande

Camille Stromboni Publié le
Les universitaires déçus par François Hollande
76 % des répondants qui se sont exprimés dans le baromètre 2016 estiment que la politique menée ces quatre dernières années a eu un impact négatif dans l’enseignement supérieur et la recherche. // ©  Julien Revenu
BAROMÈTRE 2016. Pour les trois quarts des répondants au baromètre EducPros 2016, la politique menée par François Hollande a eu un impact négatif dans l’enseignement supérieur et la recherche. Les deux tiers des universitaires disent que leurs conditions de travail se sont dégradées depuis quatre ans. Un verdict d’autant plus sévère qu’il émane d’une communauté massivement acquise à la gauche.

Plus l'espoir est grand, plus la déception est violente : le jugement de la communauté universitaire sur le quinquennat de François Hollande est sans appel, d’après le baromètre EducPros 2016.

Parmi les sondés ayant donné leur point de vue sur la politique menée depuis quatre ans par la gauche, 9 sur 10 estiment qu’elle n’a pas eu d’impact (15 %) ou qu’elle a eu un impact négatif (76 %) dans le domaine de l’enseignement supérieur et la recherche. Seuls 9 % relèvent un impact positif. 30 % des 1.600 répondants ne se sont pas prononcés sur cette question.

Ce regard négatif apparaît plus fortement dans les universités et les organismes de recherche que dans les écoles (+ 10 points) ; ou encore chez les enseignants-chercheurs et chercheurs que parmi les personnels administratifs (+ 10 points). Les personnels des secteurs arts, lettres, langues, sciences humaines et sociales et sciences et technologie ont la vision la plus sévère, comparé à celle des juristes, des économistes et des universitaires du secteur de la santé.

Des conditions de travail dégradées pour 66 % des personnels

À ce désenchantement s’ajoute le sentiment que les conditions de travail se sont détériorées depuis quatre ans, d'après deux tiers des sondés. Un quart juge simplement que ces conditions n’ont pas changé, quand 7 % pointent une amélioration. Ces proportions sont similaires, quel que soit le type d’établissement (université, école, organisme) ou le domaine disciplinaire des répondants.

Un verdict qui apparaît d’autant plus critique qu’il émane d’une communauté majoritairement favorable au gouvernement élu en 2012. Parmi les personnels qui ont rendu compte de leur vote dans le baromètre EducPros – soit les trois quarts des répondants – plus de 78 % avaient déposé un bulletin pour François Hollande en 2012, contre 8 % pour Nicolas Sarkozy (13 % avaient voté blanc ou se sont abstenus).

François Hollande recevait les présidents d'université à l'Élysée lors d'un dîner le 12 décembre 2014

Les électeurs les plus satisfaits du quinquennat Hollande ont voté… Sarkozy en 2012

"Lorsqu’on observe, entre ces deux profils de répondants, lequel est le plus satisfait de la politique menée ces quatre dernières années, on obtient un résultat contre-intuitif, révèle François Sarfati, chercheur au Centre d’études de l’emploi et conseiller scientifique du baromètre EducPros. Les électeurs de Nicolas Sarkozy sont deux fois plus nombreux à trouver que la politique de François Hollande a eu un impact positif dans l’enseignement supérieur et la recherche. Ils sont aussi deux fois plus nombreux à considérer que leurs conditions de travail se sont améliorées depuis 2012. Ces électeurs de droite ont enfin, de manière générale, un meilleur moral que ceux de François Hollande. Ainsi, 46 % se disent enthousiastes pour l’avenir, contre 30 % des électeurs socialistes."

Pour le sociologue, cela montre que la politique de François Hollande a été perçue comme étant dans la continuité de celle de Nicolas Sarkozy. "En tout cas, les répondants n'ont pas ressenti de rupture forte", souligne-t-il.

Au cœur de la déception : le manque de moyens

"On pouvait espérer d’un gouvernement de gauche qui avait promis une priorité à la jeunesse, à l’enseignement supérieur et à la recherche… des moyens, réagit simplement Gilles Roussel, président de l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée. Si notre secteur a été moins frappé que d’autres par les restrictions, on observe globalement une diminution des crédits. C’est forcément décevant."

"Ce quinquennat est catastrophique, tranche Jean-Raphaël Bourges, chargé de cours à l’université Paris 8 et engagé contre la loi Travail. Le nombre d'heures des formations a été réduit, nous devons gérer des TD avec de plus en plus d’étudiants, des crédits de recherche sont coupés en cours d’année dans mon établissement… La seule chose que j’ose espérer maintenant, c’est que l’on ne nous réserve pas d’autres mauvaises surprises, comme des coupes budgétaires."

Face aux difficultés financières des universités autonomes, la dotation de "1.000 emplois" supplémentaires, attribuée aux facs chaque année, n’a pas non plus suffi. "Nous avons dû geler les postes plutôt que de les créer, rappelle Bernard Mathias, président de l’université Blaise-Pascal (Clermont-Ferrand). Chez nous, en deux ans, nous avons supprimé 100 emplois, alors que nous avons accueilli 1.500 étudiants en plus."

Il y a eu des mesures positives, mais, à chaque fois, le gouvernement n’est pas allé au bout des réformes.
(F. Loureiro)

Regroupements et excellence : quelle est la ligne ?

Pour Franck Loureiro, secrétaire général du Sgen-CFDT en charge des questions d’enseignement supérieur, c’est l’absence de ligne claire du gouvernement qui explique aussi la désillusion.

"C’est dommage, il y a eu des mesures positives, mais, à chaque fois, le gouvernement n’est pas allé au bout des réformes. Résultat : les personnels ont le sentiment que rien n’a bougé ou que la situation se dégrade", résume-t-il. Et d’évoquer la politique des investissements d’avenir et des Idex (Initiatives d’excellence).

"Il aurait fallu faire un choix entre la poursuite de la course à l’excellence à tout prix, avec le seul vecteur des fusions et des gros pôles – soit le programme de la droite – et celui de mettre en œuvre une politique scientifique ambitieuse pour l’ensemble du territoire. Or, le débat n’a jamais été tranché. Pire : entre Matignon, le ministère et l’Élysée, le discours n’est pas le même. D’où l’impression qu’il n’y a pas de pilote", déplore le syndicaliste.

Haro sur les fusions

Seul 1 répondant sur 10 a choisi, parmi les options proposées dans le baromètre EducPros, de mettre en évidence l’aspect bénéfique de la recomposition du paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche de ces dernières années. En revanche, 40 % pensent qu’elle est "génératrice de stress" et une proportion égale pointe les "difficultés concrètes" qu’elle engendre dans le travail.

"On veut nous imposer un mouvement de fusion à tout prix alors que nous n'en voulons pas, appuie Bruno Sire, ancien président de Toulouse 1-Capitole. Dans la continuité du précédent quinquennat, la compétition des Idex [dont le site toulousain vient d’être écarté] est utilisée comme un chantage aux moyens. On nous dit : si vous voulez la manne de l'Initiative d'excellence, il faut fusionner. Mais en quoi créer un supertanker de 80.000 étudiants améliorerait la situation de quiconque – des personnels comme des étudiants ?"

"Toutes choses égales par ailleurs, le moral des personnels est meilleur là où il n’y a pas de fusion", décrit François Sarfati, qui a comparé les réponses des universitaires concernés par une fusion (55 % des répondants appartiennent à un établissement issu d’une fusion, qui a prévu une fusion ou encore qui a connu un projet de fusion avorté), et celles des autres.

Après quatre ans de déception, l'inversion de la courbe risque d'être difficile à réaliser.

Quelle priorité pour le prochain quinquennat ?
Qu’attend la communauté universitaire du prochain président de la République ? Parmi les différentes propositions formulées dans le baromètre EducPros 2016, les moyens pour l’enseignement supérieur arrivent en tête des préoccupations des 1.600 répondants (70 % ont coché cette priorité), talonnée de près par la nécessité d’un "meilleur salaire pour les personnels" (66 %).

Viennent ensuite "davantage de moyens financiers pour les fonds récurrents de la recherche" (36 %), "la possibilité de sélectionner à l'université" (35 %) et la "hausse du niveau des bourses étudiantes" (27 %).

Sans oublier un item un peu particulier : la "pause dans les réformes", qui recueille le soutien de 33 % des sondés. Le renforcement de l’autonomie des établissements et l’augmentation des droits de scolarité ne sont, eux, crédités chacun que de 15 % des suffrages.

La structuration des priorités n’est pas la même selon le vote des répondants en 2012, décrit François Sarfati. "Les électeurs de François Hollande sont proportionnellement plus nombreux à souligner la nécessité d’augmenter les salaires des personnels et les bourses étudiantes, quand ceux de Nicolas Sarkozy mettent en avant la nécessité de sélectionner à l’université et de renforcer l’autonomie des établissements", relate-t-il.
Méthodologie1.600 personnels de l'enseignement supérieur et de la recherche ont répondu, entre le 15 avril et le 17 mai 2016, à un questionnaire en ligne. Ce questionnaire comprenait une vingtaine de questions sur leur moral, leurs conditions de travail et leur vision de la politique menée sous le mandat du président François Hollande, dans le secteur.

Il a été réalisé avec la collaboration de Romain Pierronnet, chercheur en Gestion des ressources humaines et François Sarfati, chercheur au Centre d’études de l’emploi.

Aller plus loin sur le baromètre EducPros 2016- Les résultats en diaporama
- Le profil des répondants en infographie

Lire aussi- Les résultats du baromètre EducPros 2015

Camille Stromboni | Publié le