C. Beck-Dudley (AACSB) : "Les écoles de commerce doivent continuer à innover pour rester compétitives"

Agnès Millet Publié le
C. Beck-Dudley (AACSB) : "Les écoles de commerce doivent continuer à innover pour rester compétitives"
plain picture aacsb // ©  DEEPOL by plainpicture/Phil Boorman
Cours à distance, bouleversement du monde du travail, place de la France dans la compétition internationale : après un an et demi de crise sanitaire, Caryn Beck-Dudley, présidente de l’Association to advance collegiate schools of business (AACSB) fait le point sur les évolutions dans les écoles de commerce. Une chose est sûre, selon l’agence américaine d’accréditation : le modèle doit évoluer.

Quelles ont été les conséquences de la pandémie dans le fonctionnement d’AACSB ?

Parmi les écoles engagées dans une démarche d’accréditation, aucune n’a abandonné. Certaines ont souhaité un audit en présentiel : nous avons reporté l’évaluation. Pour des établissements déjà labellisés affichant des indicateurs très fragilisés par la crise, notamment financiers, nous avons prolongé leurs accréditations d’un an, le temps de stabiliser la situation.

Caryn  Beck Dudley (AACSB)
Caryn Beck Dudley (AACSB) © Photo fournie par le témoin

Car nous avons demandé aux établissements de décrire l’impact de la crise sur leur fonctionnement. Nous avons ainsi constaté que les conséquences ont été différentes selon les pays et au sein des pays. Ainsi, aux États-Unis, les écoles des grandes métropoles ont dû passer en 100% virtuel, tandis que des écoles de zones moins denses ont continué en présentiel.

Cette situation va-t-elle mener à une évolution de vos critères d’évaluation ?

D’habitude, nous révisons nos critères tous les dix ans. Mais il y a presque trois ans, nous avons vu qu’une rupture était en cours : celle de la technologie, de l'intelligence artificielle et de l’enseignement à distance. Les écoles devaient évoluer.

Au moment de la crise, les nouveaux critères, moins rigides qu’auparavant, étaient en place. Nous demandons à chaque école d’identifier sa mission et les moyens qu’elle déploie pour l'accomplir.

Nos nouveaux critères permettent d'être plus flexibles.

Vous pouvez avoir une école d’envergure mondiale pour qui il est très important d’avoir une excellente réputation internationale. Mais vous avez aussi de très bonnes écoles qui ont un rôle régional, en préparant des apprenants locaux à un marché du travail local ou national. Cette approche nous permet d'être plus flexibles.

Comment voyez-vous les évolutions dans l’enseignement supérieur liées à la pandémie ?

Nous connaissons l'impact à court terme : la bascule vers le 100% à distance, sans préavis et l’impossibilité pour les étudiants de voyager.

Aujourd’hui, certains directeurs d’école me disent vouloir revenir à du présentiel – surtout là où les taux de vaccination sont élevés. D’autres souhaitent garder un fonctionnement hybride. Nous ne savons pas quel sera le véritable impact sur le long terme.

Mais l’on observe une chose : de nouveaux apprenants arrivent dans les universités. Ce sont d’anciens étudiants de 2020 ou d'avant qui n’ont validé qu’une partie de leur formation. Aujourd’hui, les établissements américains innovent en leur proposant de compléter leur cursus via des programmes très courts. Ils peuvent cumuler des crédits pour aboutir à un diplôme. Cela est rendu possible car nous voyons que les apprenants sont à l’aise avec le distanciel.

La formation continue va donc connaître un boom ?

Oui, mais je pense surtout que l’enseignement supérieur traditionnel va évoluer. Le modèle est basé sur des étudiants de 17 à 19 ans, diplômés à 22 ou 23 ans, qui ne reviennent plus étudier par la suite. Ou seulement une fois, après trois ou quatre ans d’expérience, comme pour les MBA d’écoles de commerce.

Je pense que, désormais, les diplômés retourneront se former plus vite et plusieurs fois dans leur carrière. Un mouvement d’ampleur s’annonce. Désormais, beaucoup de chercheurs pensent qu'il faut mettre à niveau ses compétences tous les un à deux ans, contre cinq ans à dix ans auparavant !

Je pense que, désormais, les diplômés retourneront se former plus vite et plusieurs fois dans leur carrière.

S'ils veulent être compétitifs, les établissements d’enseignement supérieur ne doivent pas rester bloqués dans l’ancien modèle. Ils doivent s'adresser à une plus large gamme d’âge et proposer une offre à tous ceux qui veulent monter en compétences. Sans quoi, les entreprises à but lucratif prendront le relais.

Je constate que certains établissements n’évoluent pas. Je ne pense pas que ce soit un choix réaliste. Ils sous-estiment l’ampleur du changement en cours, dans un écosystème très concurrentiel.

Quelles seront les évolutions pédagogiques dans les écoles de management ?

Nous assistons à tout un tas d'expérimentations. De ce point de vue, la période est stimulante parce que nous ne savons pas ce qui va se passer. Les plus vieilles universités ont près de 600 ans et, finalement, l’enseignement supérieur n’avait pas beaucoup évolué depuis. Mais en un an, il a presque complètement changé !

Dans cette crise, nous avons appris qu’il n’est pas nécessaire de mobiliser un titulaire de doctorat pour réciter un cours devant des étudiants. Aujourd’hui, on peut tout apprendre en ligne. Il faut repenser le face-à-face pédagogique - dans la salle de classe ou à distance. C’est un bon moment pour que les professeurs fassent évoluer leurs compétences et changent leurs méthodes pédagogiques.

L'AACSB encourage les écoles à analyser leur façon d’enseigner. Nous apprenons mieux lorsque nous faisons : en primaire, on apprend à lire à force de s’exercer. Mais dans le supérieur, on étudie sans pratiquer. Or, il est crucial d’entraîner les étudiants à travailler en équipe et à être un manager. Et le rôle de l’enseignant sera d’encadrer les étudiants dans cette pratique.

Dans quel sens doivent évoluer les écoles de commerce pour rester compétitives ?

L’AACSB espère que ses nouveaux critères encourageront les écoles à innover. Nous voulons que les écoles de commerce puissent élargir leur champ pour proposer des programmes adaptés à un nouveau monde.

Jusqu’à présent, l’enseignement était très axé sur leurs disciplines et les étudiants ne suivaient pas de cours en lettres, en art ou en sciences. Pour que les diplômés réussissent leur carrière, il faut qu’ils aient accès à différents types de cours.

Car le monde du travail est en train de changer de manière assez spectaculaire. Les managers de demain devront être adaptables. Par exemple, demain, la norme professionnelle sera peut-être le travail à distance.

Quelles sont ces nouvelles compétences dont les futurs diplômés auront besoin ?

L’une des compétences est l’autonomie, car désormais, on peut accéder au savoir soi-même.Il faut être capable de se perfectionner rapidement.

Un autre point est la résilience. Or, la seule façon de gagner en résilience est d'échouer puis de rebondir. Je pense que les universités aideront les étudiants à apprendre à échouer plus fréquemment et à progresser.

L’adaptabilité est l’une des clefs pour diriger en situation de crise. Elle est nécessaire aussi pour travailler avec des collaborateurs divers (origine, religion…), à une époque où, plus que jamais, un employeur peut attirer des talents du monde entier.

L'adaptabilité est l'une des clefs pour diriger en situation de crise.

Cette diversité est essentielle. La pandémie – mais aussi le changement climatique - nous montre que les problèmes sont incroyablement compliqués et qu’il faut faire dialoguer des points de vue différents pour résoudre cette complexité.

La diversité sociale est un sujet d'actualité pour les business schools françaises. Cette question est-elle au centre de vos réflexions ?

C’est l’une des valeurs d’AACSB, nous organisons d'ailleurs une conférence sur l’inclusion en décembre. Nous demandons aux écoles de se positionner sur cette question dans leur plan stratégique. Nous voulons savoir en quoi leur recherche, leur enseignement et leur engagement dans leur écosystème ont un impact sociétal positif. Il ne faut pas rester dans sa tour d’ivoire : il faut parler aux autres.

Dans les écoles de commerce, on assiste à des changements assez importants : de plus en plus, elles forment leurs étudiants à être à l’aise dans un monde diversifié.

La carte des pays attractifs académiquement va-t-elle être modifiée par ces changements et par la crise sanitaire ?

Des pays se positionnent. La Chine a lancé une initiative pour que 50 écoles supplémentaires obtiennent une reconnaissance internationale [actuellement, 41 écoles chinoises ont le label AACSB]. Et elle investit de l'argent pour cela !

En Inde aussi, on voit des écoles qui cherchent à attirer les meilleurs étudiants internationaux alors qu’historiquement, les étudiants indiens partaient étudier ailleurs, notamment aux États-Unis.

La Chine a lancé une initiative pour que 50 écoles supplémentaires obtiennent une reconnaissance internationale.

Aux États-Unis ou en Europe, il y a un défi démographique car les jeunes en âge d’étudier sont moins nombreux qu’avant. Il y a une compétition mondiale pour les attirer. Depuis plusieurs années, la France, le Canada, le Royaume-Uni ou l’Australie accueillent une forte proportion d’étudiants internationaux. Cette compétition ne va pas s’arrêter ! Au contraire, puisque de nouveaux venus entrent dans la course.

Concernant les écoles françaises, y a-t-il certains aspects qu’elles devraient collectivement améliorer ?

Je pense que plusieurs écoles de commerce en France sont parmi les meilleures au monde. Mais elles étaient très traditionnelles, avec des cours très classiques, très peu d’interdisciplinarité et presque pas de programme en ligne. Elles ont totalement changé maintenant : elles seront compétitives tant qu'elles continueront à évoluer.

Selon moi, nous vivons la meilleure période pour intégrer une formation de management. Les étudiants ont l'occasion de changer le monde. Les problèmes à résoudre sont immenses, mais ils ouvrent autant de possibilités de faire vraiment la différence. Encore faut-il que les écoles se saisissent de cette capacité à innover pour aider chaque étudiant à accomplir sa vision du monde.

La donne est aussi politique. Avec le Brexit, les étudiants internationaux seront peut-être moins attirés par le Royaume-Uni ?

C’est un risque. Aux États-Unis, la politique américaine d’immigration de ces dernières années ne facilitait pas l’installation professionnelle une fois le diplôme obtenu. Le Canada a eu l’approche inverse, attirant plus d'internationaux. Car on ne reste pas étudiant toute sa vie ! Beaucoup veulent rester pour trouver un travail intéressant.

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