Écoles de commerce : des expérimentations pour plus de diversité sociale

Agnès Millet Publié le
Écoles de commerce : des expérimentations pour plus de diversité sociale
En 2016-2017, les étudiants issus de milieux très favorisés représentaient 64% des effectifs des grandes écoles. // ©  Adobe Stock/Monkey Business
Critiquées depuis de nombreuses années pour leur élitisme, les grandes écoles de commerce affichent leur volonté de s’ouvrir davantage. Points de bonification à HEC, double appel pour l’Essec et l’Edhec, frais de scolarité aménagés pour ESCP, TBS ou l'Essca : ces dernières mois, plusieurs écoles ont annoncé leurs mesures pour accélérer le mouvement.

C’est un reproche qu’entendent souvent les plus réputées des écoles d’ingénieurs, des écoles de commerce et les ENS : leurs étudiants sont recrutés dans un vivier socio-professionnel favorisé.

Et les chiffres le confirment : en 2016-2017, les étudiants issus de milieux très favorisés représentaient 64% des effectifs des grandes écoles contre 9% pour ceux issus de milieux défavorisés, révèle une étude de l’Institut des politiques publiques, publiée en janvier 2021. Malgré les efforts des établissements, la tendance à la reproduction sociale ne recule pas.

Accélération de la prise de conscience

En 2019, le politique s’empare du sujet. Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, demande à HEC, l’Essec, Polytechnique et aux ENS de dessiner des pistes pour plus de diversité – pistes prolongées par les recommandations du comité Hirsch, fin 2020.

La crise sanitaire suscite de plus vives critiques sur le coût des écoles de commerce, considérées comme inabordables par les moins aisés. Avec une moyenne de 11.635 € l’année, elles affichent des frais de scolarité plus élevés que les autres grandes écoles.

Lors du confinement de la fin 2020, des élèves demandent une réduction des frais. Les écoles choisissent une autre voie. En plus de leurs fonds de soutien financier classiques, elles sont nombreuses à débloquer des aides d’urgence pour les étudiants précarisés.

Mais cette situation accélère la prise de conscience des écoles, déjà aiguillonnées par les incitations des politiques et des accréditeurs internationaux. Plusieurs écoles font de la diversité sociale un pilier affiché de leur stratégie. emlyon annonce ainsi réactiver sa fondation pour lever des fonds et passer de 17 à 30% de boursiers.

Faire front commun pour plus d'ouverture sociale

Pour accueillir plus de diversité, chaque établissement veut utiliser les leviers adaptés à son profil. Mais il faut que l’action soit coordonnée, autant que possible.

En avril 2021, dans une lettre ouverte, le chapitre des écoles de management de la Conférence des grandes écoles (CGE), le Bureau national des étudiants en école de management (BNEM) et l’Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC) rappellent les initiatives en place et déclarent vouloir aller plus loin.

Première cible : les lycéens. Car si les grandes écoles accueillent 25% de boursiers, en moyenne, c’est aussi parce que les prépa affichent la même proportion. Elles proposent que les taux minimum de boursiers dans les CPGE sur Parcoursup soient renforcés, avec des critères plus contraignants.

Des écoles, labos d’expérimentation

Surtout, la lettre suggère plusieurs dispositifs que les écoles volontaires pourront expérimenter. Accueillant 15% de boursiers, HEC, la plus prestigieuse des écoles de management, a décidé de s’engager sur l’une des pistes de la CGE, du BNEM et de l’APHEC.

À partir de 2022, des points de bonification seront attribués à tous les étudiants passant le concours pour la première fois (a priori, 1 point dans toutes les matières). Surtout, cette bonification sera maintenue pour les boursiers qui repassent le concours une 2e fois. Car, selon l’analyse d’HEC, un boursier qui "cube" double ses chances d’intégrer l’école.

Une mesure qui ne fait clairement pas l’unanimité. Une partie des professeurs de prépa et des étudiants sont défavorables aux points de bonification pour les boursiers, qui entraveraient l’équité de traitement des concours.

Suivant une autre des propositions, HEC lance également, en 2021, le programme Prep Etoile : chaque candidat boursier sera coaché par un parrain HEC jusqu’au concours.

De son côté, l’Essec souhaite passer de 22% de boursiers à 27% d’ici trois ans. "Nous avons beaucoup progressé grâce aux admissions sur titre. Il faut aller plus loin avec le vivier PGE", précise Chantal Dardelet, directrice exécutive chargée de la démarche de transition environnementale et sociale. Le volet financier est renforcé pour atteindre 1,2M€ (+ 50%) d'aides sur critères sociaux, à la rentrée 2021.

Pour le recrutement, elle mettra en place un double appel, en 2022, après avoir observé que les boursiers étaient meilleurs à l’oral. Cette démarche est une autre piste de la lettre ouverte. "En plus de nos admissibles classiques, 40 boursiers très proches de la barre d’admissibilité seront sélectionnés pour l’oral", précise-t-elle. Pour que personne ne soit lésé, la barre d’admission sera la même pour tous et 10 à 20 places seront créées pour ces profils.

L’Edhec expérimentera également le double appel, en 2022, en sélectionnant pour l’oral les 30 ou 50 meilleurs boursiers non admissibles. Un accompagnement à la préparation des oraux sera même proposé à tous les admissibles boursiers. L’établissement renforcera aussi les aides pour les boursiers, exonérés de 25 à 75% des frais de scolarité, selon leur échelon.

Moduler les frais de scolarité dès 2021

Trois écoles n’ont pas attendu. Dès la rentrée 2021, Toulouse Business School propose aux boursiers de première année de PGE des frais modulés, avec un dégrèvement de 5 à 50%, selon l’échelon. Tandis que l’ESCP rend gratuite la scolarité pour les boursiers échelon 4 à 7 du PGE et rendra possible des réductions pour les échelons 1 à 3.

Élargissant la mesure au-dela des boursiers, l'Essca modulera les frais de scolarité en fonction des ressources de chaque famille, sur le modèle de Sciences po Paris. Pour ses trois premières années de PGE (en cinq ans), l’étudiant déboursera entre 2.980 € et 11.910 €.

Ces expérimentations, qui doivent durer de deux à trois ans, seront observées à la loupe, avant que des conclusions ne soient tirées par l’ensemble des acteurs pour "définir des bonnes pratiques en matière d’égalité sociale et territoriale".

Agnès Millet | Publié le