Donata Marra, ancienne présidente du CNA : "La prise en compte de la qualité de vie concerne tous les étudiants"

Pauline Bluteau Publié le
Donata Marra, ancienne présidente du CNA : "La prise en compte de la qualité de vie concerne tous les étudiants"
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En 2018, Donata Marra, psychiatre et présidente du Bureau interface professeurs étudiants à Sorbonne Université, rendait son rapport sur la qualité de vie des étudiants en santé au gouvernement. Ce rapport comportait plusieurs recommandations dont l'ouverture d'un centre national d'appui à la qualité de vie des étudiants en santé. De 2019 à 2021, elle en devient la présidente avec un seul but : accélérer la prise en compte de cette qualité de vie. Pour EducPros, elle revient sur les missions qu'elle a menées.

La mise en œuvre du centre national d'appui à la qualité de vie des étudiants en santé (CNA) a fait partie des recommandations qui ont été retenues par le gouvernement en 2018. En quoi était-ce nécessaire de le créer ?

La création du CNA a fait suite au rapport demandé par Agnès Buzyn (alors ministre de la Santé) et Frédérique Vidal (ministre de l'Enseignement supérieur). Le centre national d'appui devait accélérer la prise en compte, sur le territoire, de la qualité de vie des étudiants en santé.

Donata Marra
Donata Marra © Pierre Sivisay / Sorbonne université

Il répondait à la volonté de diffusion des connaissances sur cette qualité de vie, spécifiquement pour les étudiants en santé mais aussi pour tous les autres. Car l'objectif était bien de prendre en compte tous les aspects systémiques du mal-être, que ce soit sur l'organisation des formations, des stages ou les aspects personnels… C'était une nécessité car les causes sont multiples.

La mission devait durer deux ans, jusqu'en mai 2021. Comment le CNA fonctionnait-il ?

Il y avait cet aspect pluridisciplinaire où les secteurs médical et paramédical étaient représentés et un comité de direction tripartite avec des étudiants, des enseignants et des membres ès-qualité. Tout le monde était à un même niveau de participation et chacun avait une vision, donnait son avis. Nous construisions et décidions tous ensemble, c'était vivant !

Nous voulions trouver des solutions en fonction des territoires et des formations.

La deuxième année, nous avons mis en place des groupes de projet avec des étudiants représentants d'associations ou non et des enseignants, notamment les référents locaux qui recevaient les informations du CNA. Il y avait beaucoup de demandes pour participer à ces groupes, faire évoluer les thématiques et aller plus loin au niveau local. C'était aussi très intéressant d'avoir ce contact direct avec le terrain pour savoir ce qui était mis en place, et de pouvoir échanger. Le CNA avait cette mission de diffusion de l'information et de mise en réseau sur le territoire.

Le CNA a-t-il permis des avancées pour améliorer la qualité de vie des étudiants en santé ?

L'objectif n'était pas de réinventer la roue ou d'imposer des bonnes pratiques. Mais plutôt de trouver des solutions en fonction des territoires et des formations. Nous voulions aboutir à des recommandations qui aient du sens pour tout le monde. Nous nous sommes rendu compte que beaucoup de choses nous réunissaient, nous avions des réussites communes mais parfois, il y avait aussi des spécificités propres aux étudiants en santé, qui nécessitaient de contextualiser les interventions.

En plus des deux enquêtes que nous avons menées (CNA-CORE 1 et 2), nous avons mis en place des séminaires, des formations pour les enseignants. Il y avait une vraie demande.

La crise sanitaire a mis en exergue les difficultés des étudiants et donc la nécessité de leur venir en aide. Comment l'avez-vous ressenti au sein du CNA ?

Nous avons vécu cette crise sanitaire en direct au CNA. Nous devions participer à une première enquête et la crise l'a accélérée. Nous avons décidé de centrer les évaluations sur les conséquences de la crise sanitaire, ce qui n'était pas prévu.

Nous avons vu que certaines difficultés se sont aggravées. D'autres sont arrivées pendant la crise, accentuant le mal-être.

Nous avons aussi vu que certaines difficultés se sont aggravées, D'autres sont arrivées pendant la crise, accentuant le mal-être, ce qui a été transmis aux ministères. Elles concernaient par exemple l'enseignement distancié, ou le secret médical lorsque la santé des étudiants et des internes était concernée. Il fallait trouver des solutions comme le renforcement du secret médical.

Aujourd'hui, le CNA a disparu au profit d'une structure plus vaste dont le but est d'accompagner tous les étudiants et pas seulement ceux en santé. C'est aussi ce que vous faites désormais en tant que professeure-associée à l'université Paris-Est Créteil (UPEC). Pourquoi ce choix ?

Sans commenter la fin du CNA, le rapport de 2018 est toujours valable et depuis le début, nous souhaitions étendre ce qui pouvait l’être, à tous les étudiants, pas seulement ceux en santé. Finalement, tout le monde est dans le même bateau face à la pandémie, même si des spécificités existent pour les étudiants en santé.

Les problèmes de mal-être des étudiants sont fréquents et concernent la majorité des formations. Aujourd'hui, à l'UPEC, je participe à ouvrir ce constat à l'ensemble des étudiants. Par exemple, des entretiens d'aide à la réussite de la licence 2 au master sont proposés. En première année de licence, nous organisons les interventions avec le tutorat, par groupe. Les enseignants sont également impliqués et des formations sont proposées.

Il reste donc encore beaucoup de chemin à faire…

Oui. Certains pays se sont saisis de cette question de la qualité de vie il y a plusieurs dizaines d'années et malgré tout n'ont pas trouvé "la" solution miracle. Mais il y a des raisons d'espérer en ayant une approche globale, systémique, d’interventions sur l'ensemble des causes. Il y aura alors des chances que cela aille mieux.

L'important, c'est le travail pluridisciplinaire, sur toutes les causes qui aboutissent au mal-être et à l’échec.

Ce qui est déjà en place devrait être complété et développé, car il y a eu des efforts de fait. Mais pour que cela fonctionne, il faut qu'il y ait une réelle envie de la part de tous les acteurs. Qu'ils sachent qu'il y a des difficultés et d'où elles viennent. L'important, c'est ce travail pluridisciplinaire, sur toutes les causes qui aboutissent au mal-être et à l’échec, avec également une place pour le soutien par les pairs. C'est comme un jeu de cartes : il est à disposition de l'étudiant mais parfois, il a du mal à savoir quelles cartes piocher, à savoir à qui s'adresser. Un guichet d'accueil unique, centré sur l’étudiant, devrait lui permettre de savoir quelles cartes seraient les plus adaptées à sa situation. Tout en laissant par ailleurs un accès direct à tous les soutiens proposés.

C'est donc important que nous continuions à communiquer sur ce qui est déjà mis en place. Il faut répéter les propositions, à plusieurs moments de l'année. Bien choisir les mots : parler d'aide à la réussite souhaitée par l’étudiant peut être mieux accepté que de parler uniquement de mal-être par exemple. Tout cela a son importance.

La principale difficulté pour les étudiants est en effet de reconnaître leur mal-être et de parvenir à demander de l'aide. Êtes-vous optimiste ?

Nous savons que certains étudiants sont encore en difficulté. La pandémie n'est pas terminée, il y aura encore des impacts dans les années à venir. Les conséquences de la pandémie sur les difficultés de l’hôpital public et sur les professionnels en santé, ont également des répercussions sur les étudiants en santé.

Il y a aussi cette idée qu'un étudiant qui réussit va bien, et qu'il faut interroger. À l'inverse, tous les étudiants ne sont pas en difficulté non plus.

Pour tous les étudiants, des dispositifs continueront d'être développés. C'est un sujet qui est pris au sérieux, le problème du mal-être étudiant et de l’accompagnement vers sa réussite personnelle est pris en compte. Ce n'est plus un sujet inconnu. La crise a aussi amené une réflexion. Tout le monde a cherché à développer des idées novatrices. Pour l'instant, le jeu de carte n'est pas encore complet mais il se développe et s’étoffe.

Pauline Bluteau | Publié le