Evaluation des enseignants : pourquoi ce n'est pas si simple

Propos recueillis par Sophie de Tarlé Publié le
Evaluation des enseignants : pourquoi ce n'est pas si simple
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Comment mieux évaluer les enseignants ? Le projet du gouvernement de modifier les modalités d’évaluation, en incluant notamment la progression des élèves, a soulevé la polémique. Fabrizio Butera -cf. photo-, professeur de psychologie sociale à l’université de Lausanne, est coauteur de l’ouvrage L’évaluation, une menace ? (PUF, 20 €). Selon lui, l’application à l’éducation d’un système fondé sur la réussite personnelle et la compétition augmente la probabilité d’apparition de la triche.

Que pensez-vous d’un projet où l’avancement des enseignants se ferait en partie en fonction des progrès des élèves ?

Ce serait une catastrophe. Cela me rappelle une affaire que j’ai suivie cet été à Atlanta . Un système de triche massive de la part des enseignants a été découvert après deux ans de scepticisme face à des résultats soudain mirobolants. La fraude a concerné 44 écoles et impliqué 178 professeurs et principaux. Que s’est-il passé ? Les écoles publiques recevaient des gratifications en fonction des résultats des élèves. Ce qui a poussé les enseignants et la direction à modifier les résultats.

Cet exemple montre bien que l’évaluation, lorsqu’elle comporte une gratification économique, peut avoir des effets pervers. Dès qu’on évalue les enseignants sur les progrès de leurs élèves, les enseignants se mettent naturellement à être plus tolérants dans leurs corrections, ce qui donne une illusion de performance. Les moyennes passent de 9 à 10, puis de 10 à 11, etc. Et ils peuvent même, si une partie de leur salaire en dépend, être amenés à tricher, d’autant qu’ils ont en plus l’impression de faire plaisir.

Les études que nous avons menées avec Caroline Pulfrey établissent que l’application à l’éducation d’un système fondé sur la réussite personnelle et la compétition augmente la probabilité d’apparition de la triche. Appliqué aux enseignants, cela donnerait des élèves plus ignorants.

« L’évaluation qui consiste à fournir des indications précises sur les moyens de s’améliorer, est la méthode d’évaluation la plus constructive »

Que faire si un enseignant ne parvient pas à faire progresser ses élèves ?

Il n’y a pas de solution toute faite. Mais il faut dissocier l’analyse des progrès des élèves de l’évaluation de l’enseignant dont va dépendre son avancement. Si les résultats de ses élèves sont mauvais, il ne faut pas le menacer de baisser son salaire, mais au contraire soutenir l’enseignant, l’envoyer en formation pour qu’il revoie ses méthodes par exemple. Le plus important est de donner un retour régulier aux enseignants sur leur travail.

Plusieurs études scientifiques, comme les travaux de Black et Wiliam, mettent en évidence que l’évaluation qui consiste à fournir des indications précises sur les moyens de s’améliorer, au lieu de sanctionner les difficultés par une note ou un rang, est la méthode d’évaluation la plus constructive et la plus productive. Cela peut aussi s’appliquer aux enseignants : ils se rendront compte qu’ils sont suivis et soutenus, et feront des efforts en échange de ce soutien.

« Une culture compétitive augmente les phénomènes de triche »

Mais comment valoriser ceux qui, à l’inverse, parviennent à faire progresser leurs élèves ?

En leur expliquant qu’ils peuvent contribuer à la qualité de l’enseignement en partageant leurs méthodes avec les enseignants qui ont plus de difficultés. Les travaux scientifiques sur l’apprentissage coopératif comme ceux de Johnson et Johnson indiquent que le partage des informations et des pratiques a un effet positif non seulement pour ceux qui sont en difficulté, mais également pour ceux qui transmettent leurs expériences. Car le fait d’expliquer permet de consolider ce qu’on fait et apporte aussi une grande satisfaction dans le travail, puisqu’on devient un élément utile au collectif.

Finalement, cette question met les décideurs devant un choix de justice : faut-il appliquer le principe du mérite et donner plus à ceux qui accomplissent plus, ou faut-il appliquer le principe du besoin et donner plus à ceux qui nécessitent plus d’aide ? C’est un choix politique, certes, mais qui n’a pas les mêmes conséquences : un nombre de travaux comme ceux d’Anderman soulignent que le principe du mérite à l’école crée une culture compétitive qui augmente la triche, alors qu’une plus grande attention à la coopération la réduit.

L’évaluation des enseignants : une émission spéciale de Rue des écoles
Emission sur France Culture, en partenariat avec EducPros.
Au sommaire de l'émission du 30.11.2011 - 15:00, avec Fabrizio Butera, professeur de psychologie sociale à l'université de Lausanne (suisse).

Propos recueillis par Sophie de Tarlé | Publié le