P. Picault (Fnadir) : "L'enjeu est de parvenir à un taux de rupture de contrat d’apprentissage de 5% d’ici à 2027"

Etienne Gless Publié le
P. Picault (Fnadir) : "L'enjeu est de parvenir à un taux de rupture de contrat d’apprentissage de 5% d’ici à 2027"
Carole Grandjean, ministre en charge de l'Enseignement et de la Formation professionnels, en visite au CFA autour des valeurs du sport. // ©  Fred MARVAUX/REA
La fédération des 600 directeurs de CFA (Fnadir) a remis à Carole Grandjean, ministre en charge de l'Enseignement et de la Formation professionnels, 14 propositions pour améliorer la qualité de l'apprentissage. Réduire le taux de rupture des contrats, améliorer la qualité de la formation en entreprise, reconnaître mieux la pédagogie de l'alternance... Pascal Picault, président de la Fnadir, aborde pour EducPros les enjeux de cette voie de formation hybride en plein essor.

Quel jugement portez-vous sur la réforme de l'apprentissage cinq ans après son entrée en vigueur ?

L'impact est positif avec un développement quantitatif de la filière - 837.000 contrats signés en 2022 - et sur l'amélioration de son image. Globalement l'apprentissage est perçu comme une voie de réussite dans laquelle on peut suivre des études supérieures, avoir une insertion rapide et durable dans l’emploi (NDLR 60% des diplômés en emploi 6 mois après la fin de leurs études). On ne le perçoit plus comme une voie de garage ou par défaut même si cela peut parfois encore persister.

Pascal Pinault
Pascal Pinault © Fnadir

Enfin depuis la réforme, les entreprises ont recruté des apprentis dans des fonctions ou des secteurs où elles n'en avaient pas l'habitude. Des PME-PMI par exemple se paient un futur diplômé de master en contrôle de gestion, en ressources humaines ou en communication, ce qu’elles ne faisaient pas auparavant.

L'enseignement supérieur a tiré le développement de l'apprentissage. Ne faut-il pas aussi développer l'apprentissage au niveau bac et infra-bac ?

Oui. Pour atteindre l'objectif du gouvernement d'un million de nouveaux apprentis par an d’ici 2027, il faut développer l'apprentissage à ces niveaux de formation. Mais aujourd’hui nous constatons des taux de rupture de contrats d'apprentissage de l'ordre de 20-25% voire plus pour les niveaux infra-bac. Au niveau post-bac, même si les ruptures de contrats existent, les jeunes arrivent plus facilement à retrouver et signer un nouveau contrat.

Le sujet dans les quatre ans à venir est de savoir comment réduire le taux de rupture de contrats.

Le sujet dans les quatre ans à venir est de savoir comment réduire le taux de rupture de contrats. C'est pourquoi à la Fnadir nous avons posé comme enjeu de parvenir à 5% maximum de taux de rupture net à la fin du quinquennat en 2027. Cela représenterait 50.000 contrats sur un million, sans doute un taux incompressible et acceptable.

Que proposez-vous pour limiter ce taux de rupture de contrats à 5% ?

Après le développement quantitatif de l'apprentissage, il faut enclencher le sujet de l'amélioration de la qualité côté entreprises. Même si côté CFA nous pouvons toujours nous améliorer, c'est du côté des entreprises que les choses peuvent progresser, que le levier de cette baisse se trouve. Cela passe par la contrainte, mais en accompagnant les entreprises.

Nous proposons ainsi d’inscrire la qualité du suivi de l’apprenti dans la performance sociale de l’entreprise. L'indicateur figurerait officiellement dans le bilan social de l’entreprise. La Fnadir travaille à la rédaction d'une charte qualité d’accueil et de suivi des apprentis en entreprise.

Cette charte qualité serait donc incitative et non contraignante ?

Dans un premier temps cette charte serait incitative, un engagement volontaire de la part des entreprises. Mais pourquoi pas par la suite faire de son respect un des critères de versement des aides aux entreprises ? Au début il était normal pour lancer le mouvement et soutenir le développement de l’apprentissage de distribuer sans condition les aides à l'embauche d'apprentis. Maintenant le moment est venu de réfléchir aux contreparties.

Avant d'être une simple aide à l'embauche, l’idée même des aides à l’apprentissage est de soutenir l’effort de formation des entreprises.

Celles-ci ne doivent pas être trop contraignantes pour ne pas courir le risque de faire baisser le niveau de recrutement. La manière dont ces aides à l'apprentissage sont versées doit être revue. Avant d'être une simple aide à l'embauche, l’idée même de ces aides à l’apprentissage est d'abord de soutenir l’effort de formation des entreprises.

Ces aides très généreuses à l'apprentissage mises en place en juillet 2020 n'ont-elles pas justement créé des effets d'aubaine ?

Nous avions alerté très tôt sur ce risque d'effets d’aubaine qui seraient une catastrophe pour l’apprentissage et complètement contre-productifs. Nous avons été très attentifs à ce que les entreprises ne se séparent pas d’un apprenti à la fin de la première année d’une formation de deux ans pour reprendre un apprenti de première année et retoucher l’aide. Dans l’ensemble il y a peu d’effet d’aubaine. Les entreprises sont responsables mais nous restons très vigilants.

L’aide à l’embauche d’apprentis a été rabotée de 2.000 euros pour les niveaux de qualification du supérieur. Les niveaux de prise en charge (NPEC) des contrats d’apprentissage dans les CFA ont été révisés une première fois à la baisse de 5% en 2022. Ils vont l’être à nouveau en 2023. Cela vous inquiète-t-il ?

Je n’ai pas une remontée d’entreprise qui m’ait annoncé qu’elle allait moins faire d’apprentissage parce qu’elle touchait 2.000 euros de moins. S'agissant de la nouvelle baisse des niveaux de prise en charge, elle a été repoussée d’avril à juillet. Il faut saluer le travail de prévention du ministère de l’Enseignement et de la Formation professionnels auprès de Bercy et les arbitrages de Matignon, voire de l’Elysée.

En juillet dernier, la première baisse de 5% en moyenne s’est traduite par 15 à 20% en moins dans certains secteurs. Et 2023 n’est pas du tout la bonne année pour lancer une deuxième baisse des niveaux de prise en charge ! Nous réalisons une enquête flash auprès de nos adhérents sur les effets de l’inflation afin d'objectiver les choses. Nous rendrons publique notre position à l'occasion de notre assemblée générale le 6 juin.

Nous allons recommander d’être très prudent en cette année particulière de forte inflation et de hausse des salaires suite aux négociations annuelles obligatoires (NAO).

Vous proposez également d'affirmer pleinement la dimension pédagogique de l'alternance. N'est-elle pas assez reconnue ?

Il faut davantage prendre en compte une partie de l’expérience vécue par le jeune en entreprise. Nous proposons de reconnaître l’action de formation en situation de travail (AFEST) comme une composante de la pédagogie de l’alternance. La dimension académique dans laquelle l’apprentissage est regardé aujourd’hui ne permet pas de faire une place aux apprentissages en situation de travail.

La dimension académique dans laquelle l’apprentissage est regardé aujourd’hui ne permet pas de faire une place aux apprentissages en situation de travail.

La pédagogie de l’alternance ne peut pas complètement se déployer du fait des contraintes académiques et pédagogiques. Un exemple : un BTS en apprentissage dans un CFA doit afficher un nombre d’heures de formation de 1.350 heures sur deux ans. C’est quasiment impossible à tenir alors que le jeune passe dans le même temps près de 50% de son temps en entreprise où il apprend.

J’ai moi-même dans mon CFA reçu une menace du rectorat : "Si vos jeunes ne font pas 1.350 heures de formation académique on ne les inscrira pas à l’examen". Tant qu'on sera dans ce carcan on ne pourra pas faire évoluer les pratiques.

Vous préconisez également de confier la totalité de la formation professionnelle initiale à un ministère de plein exercice ?

Le ministère délégué à l'Enseignement et la Formation professionnels a été recréé en 2022. Il n'y en avait pas eu depuis 2002. Il faut aller plus loin. Actuellement le ministère de Carole Grandjean fait le trait d’union entre le ministère de l’Education et celui du Travail.

Il doit prendre toute sa dimension, toute son autonomie et porter toute la formation professionnelle initiale et continue : les lycées professionnels, l’apprentissage, la formation continue, la validation des acquis de l'expérience (VAE) etc. Il doit être un véritable ministère.

Etienne Gless | Publié le