"Nous raclons les fonds de tiroir pour nous en sortir" (J-M Ogier, université de La Rochelle)

Dahvia Ouadia Publié le
"Nous raclons les fonds de tiroir pour nous en sortir" (J-M Ogier, université de La Rochelle)
L'université de La Rochelle affiche une hausse de 20% du nombre d'étudiants // ©  Gilles Delacuvellerie/La Rochelle Université
La CPU dénonce une nouvelle fois le sous-financement des universités. Elle réagit à un rapport Igaenr, rendu public en février 2020, qui considère que les universités sont mal gérées. Educpros donne la parole à Jean-Marc Ogier, président de l'université de La Rochelle et candidat à un second mandat, pour faire le point sur la situation financière de son établissement.

La CPU (Conférence des présidents d'université) a récemment dénoncé la sous-dotation des universités en réaction à un rapport Igaenr (inspection générale de l'administration de l'Education nationale et de la recherche) d’avril 2019. Souscrivez-vous à cette réaction de la conférence ?

Je souscris à la position de la CPU qui a une posture raisonnable en matière de responsabilité des établissements. Toutes les universités souffrent d’une sous-dotation globale qui est plus ou moins criante selon l’établissement et notamment selon que l’université a des fonds Idex, I-site ou non.

Jean-Marc Ogier
Jean-Marc Ogier © Mélanie Chaigneau/La Rochelle Université

L’Université de La Rochelle fait partie des établissements créés dans la vague des années 90, qui sont globalement moins bien dotés que les autres.

Pourquoi votre université est-elle moins bien dotée ?

D’un point de vue structurel, si je compare notre subvention pour charge de service public avec des universités qui nous ressemblent, c’est-à-dire, des universités créées dans les années 1990, qui n’ont pas d’UFR de sport ou de santé, comme l’UVSQ (Université de Versailles Saint-Quentin), l’université d’Evry ou Bretagne-Sud, La Rochelle se situe toujours en dernier.

Quelle que soit l’option que l’on prenne, notre dotation par étudiant varie de 250 euros, avec l’université de Cergy, à 2.000 euros, avec l’UVSQ. Le manque à gagner est au minimum de 2,5 millions d'euros par an. Nous raclons aujourd’hui les fonds de tiroir pour nous en sortir.

Vous tirez la sonnette d’alarme…

Nous n'avons jamais été dans le rouge et nous ne souhaitons pas l’être. Notre budget 2020 s’élève à 90 millions d'euros et nous sommes très vigilants quant à notre équilibre. Nous avons notamment mis en place une cellule d’aide au pilotage. Mais, nous sommes dans une situation compliquée liée à une bonne performance de notre université.

En effet, nous avons une hausse de 20% du nombre d’étudiants, ce qui nous place largement au-dessus des autres universités sur ce plan. Par ailleurs, nous sommes en 2e ou 3e position pour faire réussir nos étudiants en licence et master, ce qui fait que nos effectifs se maintiennent année après année. Enfin, nous sommes très bons en matière de gestion de carrière avec de nombreux enseignants-chercheurs promis au CNU (Centre national des universités). Les coûts de masses salariales sont donc plus élevés.

Malgré cette performance, la dotation n’augmente pas, à tel point que l'on s’interroge sur le fait de réduire notre activité. Cette année cela s’est traduit par une baisse de 10% de nos capacités d’accueil et même une baisse de 30% dans notre IAE, ce qui pose un réel problème sur notre territoire. L’université de La Rochelle a été créée pour être un ascenseur social local et nous avons vraiment été moteurs de ce point de vue là.

Avez-vous mis en place d’autres actions pour maintenir votre équilibre budgétaire ?

Nous avons rationalisé les structures d’emploi. Nous avons dû geler jusqu’à 100% des emplois ces dernières années. Parfois, nous avons préféré passer par des emplois contractuels dont les charges patronales s’élèvent à 40% alors qu’elles se montent à 92% pour un salarié permanent.

Malgré nos performances, la dotation n'augmente pas, à tel point que l'on s'interroge sur le fait de réduire notre activité.

Par ailleurs, nous travaillons sur différentes manières de former nos étudiants pour qu’ils développent leur savoir-être, leur savoir-vivre. Aujourd’hui 20% de l’emploi du temps des étudiants est sous forme de mises en situation sur des cas concrets. Mais tout ceci ne se met pas en place sans difficultés et remises en cause de la part des salariés.

Avez-vous aussi comme projet de développer la formation continue, qui peut constituer une manne financière conséquente ?

La formation continue fait partie des objectifs que nous nous étions fixés sur ce mandat mais face à d’autres objectifs, nous n’avons pas eu le temps d’avancer sur ce volet. Nous avons notamment dissous les objets disciplinaires pour mettre en place des majeures et des mineures.

Nous souhaitons aussi modulariser les formations dans une logique de formation continue et cela fera partie de ma feuille de route pour un éventuel second mandat, si je suis réélu.

Dans le cadre de la loi ORE (Loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants), avez-vous obtenu des fonds du ministère pour augmenter vos capacités d’accueil ou mettre en place des dispositifs "Oui, si" ?

Nous avons bénéficié de certains fonds de manière marginale pour la simple raison que nous n’avons pas de filière en tension comme les Staps. Cependant nous avons eu des moyens conséquents pour le lancement de dispositifs "Oui, si". Nous avons aussi été lauréats d’un projet NCU (Nouveaux cursus universitaires) sur la diversification des publics, lors de la première vague.

Nous sommes évidemment satisfaits de ces succès mais nous restons vigilants car comme nous ne sommes pas lauréats d’un Idex, Labex, ni même d’un EUR, notre volet recherche n’est pas reconnu et nous sommes en train de devenir une université de formation, ce qui ne nous satisfait pas.

Rester une université de recherche est essentiel pour vous ?

Dès mon arrivée, j’avais comme vision de travailler sur un positionnement distinctif pour sauver l’université qui me semblait menacée. Nous avons défini un angle scientifique fort pour avoir une chance d’exister sur le long terme. Sur le plan quantitatif, nous savons que nous ne pouvons pas rivaliser face à des universités plus grandes.

C’est pourquoi nous avons déterminé un grand défi, celui du développement durable en zone littoral, pour nous différencier. Ce défi fait appel à tous les champs disciplinaires de l’université, que ce soit la gestion, la biodiversité, etc.

Nous avons décidé de passer d’une dizaine d’UMR et spécialités à la création d’un institut autour du défi.

Vous disiez ne pas être lauréat du PIA (programme investissement d'avenir) sur le volet recherche. Quelles sont les raisons qui vous ont été opposées ?

Nous avons notamment postulé aux deux vagues d’EUR (écoles universitaires de recherche), mais nos projets ont été retoqués par deux fois. Lors de la première vague, nous avions reçu une évaluation positive sur le fond et avons pris en compte les remarques dans le projet remis lors de la deuxième vague. Or, nous n’avons pas été retenus et nous avons noté des contradictions dans les rapports entre la première et la seconde évaluation.

Nous remettons en cause la légitimité du processus global d'évaluation du SGPI (secrétariat général pour l'investissement).

Par ailleurs, pour le dépôt de ces projets, nous avons été accompagnés par une société privée qui a épaulé d’autres projets et, même là, la société a noté des contradictions entre notre évaluation et celle d’autres établissements qui ont été récompensés.

Nous remettons donc en cause la légitimité du processus global d’évaluation du SGPI (Secrétariat général pour l'investissement).

Sur quels points avez-vous noté des contradictions ?

Il nous a été reproché de ne pas avoir assez creusé le plan scientifique dans notre projet, alors que notre projet était mieux construit sur ce niveau que d’autres projets, en discutant avec la société accompagnatrice.

Le jury a aussi estimé que notre projet était trop local alors que dans le même temps, nous sommes lauréats de l’appel à projet université européenne sur le même sujet. Aujourd’hui, je fonde plus d’espoir sur l’Europe que sur la France. J’ai l’impression qu’il existe des algorithmes pour soutenir les établissements Idex et I-site mais que rien n’est conçu pour accompagner les autres universités alors que l’Europe regarde nos universités avec intérêt. Notre place est peut-être à cette échelle.

La ministre met en place un dialogue de gestion avec les établissements. Est-ce que cela va dans le bon sens ?

L’esprit du dialogue de gestion redonne du sens à la relation entre l’Etat et les opérateurs. Cependant, nous regrettons l’absence de volonté de revisiter les systèmes d’allocation des moyens. Nous estimons aussi qu’il y a un problème de trajectoire historique pour notre université qui devrait être corrigé, c’est une injustice que l’on vit mal, et nos équipes sont en souffrance.

Votre université faisait partie des établissements expérimentateurs de ce dialogue de gestion lancé en 2018. Où en est la généralisation ?

En effet, nous avons fait partie de la vague d’expérimentation et nous avons bénéficié de moyens conséquents pour travailler à la transformation de l’établissement. Aujourd’hui, la vague de généralisation se fait en deux temps. La partie RH et gestion dans laquelle les universités mettent en avant leurs problématiques liées au GVT (glissement vieillesse technicité), notamment. La deuxième vague portera sur les projets stratégiques et la mise en œuvre de ces stratégies.

Dahvia Ouadia | Publié le