500.000 apprentis en 2017 : mission impossible ?

Danièle Licata Publié le
500.000 apprentis en 2017 : mission impossible ?
Etudiante en apprentissage © Lisa F. Young - Fotolia // ©  Fotolia
Le gouvernement est décidé à développer l'apprentissage pour endiguer l’explosion du chômage des jeunes. Mais selon les entreprises, le gouvernement, comme beaucoup avant lui, ne parviendra pas à stopper la chute du nombre de contrats. Les blocages sont trop puissants. Retours du terrain.

Le gouvernement n'en finit pas de plébisciter l'apprentissage. Le Premier ministre Manuel Valls s'est dit prêt, lors de la troisième conférence sociale les 7 et 8 juillet 2014, à déployer les grands moyens pour développer ce système de formation. Ses nouvelles cartouches ? 200 millions d'euros supplémentaires dégagés et votés dès mi-juillet et une aide de 1.000 euros par jeune dans les secteurs professionnels où un accord de branche aura été conclu.

Est-ce suffisant, alors que le nombre d'alternants ne cesse de chuter depuis deux ans ? “8% d'apprentis en moins depuis que François Hollande est président de la République”, comptabilise Denis Jacquet, président de Parrainer la croissance et fondateur d'Edufactory et de Yatedo. Et, selon les derniers chiffres de la Dares (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques), la tendance à la baisse de 2013 se confirme au premier trimestre 2014, tant pour les contrats d'apprentissage que pour les contrats de professionnalisation. Les premiers enregistrent une baisse de 20% par rapport à l'année précédente (17.855 contrats signés en janvier 2013 contre 14.178 en janvier 2014), et les seconds de 32% (11.148 contrats signés en janvier 2013 contre 7.522 en janvier 2014).

Malgré tout, le gouvernement s'est fixé l'objectif de créer 500.000 postes en alternance d'ici à 2017, soit le double d'aujourd'hui. De Gérard Larcher à Jean-Louis Borloo en passant par Xavier Bertrand, beaucoup d'anciens ministres du Travail ont relevé le défi. Sans succès. L'actuel ministre François Rebsamen est prévenu. Le chantier s'annonce difficile. Et de l'avis des patrons, il semble irréalisable.

L'alternance, un dispositif trop cher

“L'alternance souffre, avant tout, du ralentissement de l'activité des PME et du manque de visibilité. Quels que soient les outils que le gouvernement sortira de sa boîte, il ne parviendra pas à inverser la tendance si l'activité en France ne redémarre pas”, fait remarquer Denis Jacquet. Thibaut Bidet-Mayer, chargé d'études à la Fabrique de l'industrie, enfonce le clou : "Embaucher un alternant, c'est parier sur l'avenir en acceptant de le former et in fine de l'embaucher. Or, aujourd'hui, les PME ne prennent aucun risque.”

A l'évidence, les chefs d'entreprise manquent cruellement d'informations sur le fonctionnement du système, comme le prouve le sondage réalisé par l'Observatoire de la pédagogie et des métiers de demain, créé par l'école de commerce EM Normandie : 40% des sondés se disent insuffisamment informés. 

Rapporté au temps de travail passé dans l'entreprise, un alternant coûte quatre fois plus qu'un stagiaire qui, lui, est embauché à temps plein.

“Alors, si globalement les patrons plébiscitent le système, lorsqu'il s'agit de passer le pas, ils se montrent hésitants car pour bon nombre d'entre eux, l'alternance coûte trop cher, notamment depuis la baisse de 500 millions du budget de l'apprentissage à la rentrée 2014”, résument les auteurs du sondage réalisé en juin 2014 par l'Ifop pour l'Agefa-PME.

Le coût de l'alternance est bel et bien en cause. Philippe Deljurie, cofondateur de Meteojob, l'explique : “Les règles changent sans arrêt et les coûts, au final, varient en fonction de l'école, de la région et du secteur.” Anne Mazoyer, présidente de FairValue Corporate & Public Affairs, quant à elle, n'y va pas par quatre chemins : “Rapporté au temps de travail passé dans l'entreprise, un alternant coûte quatre fois plus qu'un stagiaire qui, lui, est embauché à temps plein." Calculette en main, Amaury Simon, président du groupe SGIV qui accueille régulièrement des alternants, a fait ses comptes : pas moins de 18.000 euros par an et par apprenti.

Un retour sur investissement insuffisant

Au-delà du coup financier, c'est l'investissement en temps qui est pointé du doigt. Il est souvent peu rentabilisé rapporté au nombre d'heures que le jeune passe dans l'entreprise. “Sans compter que, si 8 jeunes sur 10 trouvent un job à l'issue de leurs études, à peine 10% restent dans l'entreprise de formation”, fait remarquer Amaury Simon.

Autre blocage : le rythme peu ou pas adapté au monde du travail. “Il existe un décalage entre le rythme de l'alternance, souvent calqué sur l'année scolaire, et nos besoins. Du coup, il est fréquent qu'un jeune démarre une mission sans jamais pouvoir la terminer. On finit par ne lui confier que des tâches quotidiennes”, fait remarquer Anne Mazoyer, qui a définitivement jeté l'éponge après avoir signé plusieurs contrats en alternance. “C'est pourquoi, il est impératif de réformer le système d'éducation lié à l'alternance. L'enseignement à distance serait plus adapté”, préconise Denis Jacquet. “Et à tous ces freins, s'ajoutent les contraintes qui pèsent sur les tuteurs (compétences, disponibilités...). Le système exige un engagement sur le long terme”, fait remarquer Gontran Lejeune, à la tête du cabinet Bienfait & Associés.

Il existe un décalage entre le rythme de l'alternance, souvent calqué sur l'année scolaire, et nos besoins. Du coup, il est fréquent qu'un jeune démarre une mission sans jamais pouvoir la terminer.

“Pourtant l'enjeu est de taille : 22,9% des jeunes actifs sont aujourd'hui au chômage, l'un des plus hauts taux d'Europe. Et l'alternance est bel et bien une réponse au chômage des jeunes”, certifie Thierry Weil, délégué général de la Fabrique de l'industrie. Amaury Simon abonde : “Le gouvernement a déjà durci l'accès des jeunes au monde de l'entreprise, en encadrant les stages, l'alternance mérite un vrai coup d'accélérateur.”

Danièle Licata | Publié le