Pour les écoles d'architecture, intégrer un EPE est-il la solution aux enjeux notamment financiers ?

Pauline Bluteau Publié le
Pour les écoles d'architecture, intégrer un EPE est-il la solution aux enjeux notamment financiers ?
L'ENSA de Clermont-Ferrand a rejoint l'EPE université Clermont-Auvergne. // ©  Ensa Clermont-Ferrand
Elles sont cinq écoles nationales supérieures d'architecture à avoir intégré un établissement public expérimental. Un bon moyen pour les ENSA de sortir de l'isolement en partageant les enjeux stratégiques d'universitarisation. Et pourquoi pas aussi l'occasion de se libérer du joug du ministère de la Culture…

La révolution est en marche dans les écoles d'architecture. À en croire l'étude de Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) publiée en avril 2023, les établissements publics expérimentaux (EPE) seraient la solution aux difficultés rencontrées par les Ecoles nationales supérieures d'architecture (ENSA).

En à peine quatre ans, cinq écoles d'architecture – Grenoble, Lille, Nantes, Paris-Est et Clermont-Ferrand - ont intégré un EPE. L'ENSA de Paris-Malaquais, déjà partenaire de l'université PSL, est en bonne voie pour devenir membre à part entière d'ici la fin de l'année 2024.

Un mouvement qui peut surprendre, alors que ces écoles sont de ferventes défenseuses de leur indépendance.

Mieux intégrer les écoles d'architecture à l'enseignement supérieur

Créé fin 2018, le statut d'établissement public expérimental est dans la continuité des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (Pres), puis des Comue. L'objectif affiché : regrouper universités et grandes écoles pour gagner en attractivité en France mais surtout, à l'étranger.

Si certaines écoles d'architecture pouvaient parfois être associées à ces regroupements universitaires, elles étaient loin d'en être membres décisionnaires. Cela a évolué grâce à la structuration moins contrainte des EPE.

Nous avons conservé notre propre personnalité morale et juridique ce qui nous permet de rester indépendants. (T. Spiegelberger, ENSA Grenoble)

"Nous avons conservé notre propre personnalité morale et juridique ce qui nous permet de rester indépendants. En même temps, notre voix compte autant que celle du président de l'université qui, à Grenoble, gère 60 fois plus d'étudiants", souligne Thomas Spiegelberger, nommé directeur de l'ENSA en janvier.

Si aujourd'hui, les directeurs d'ENSA se félicitent du travail accompli, l'intégration des écoles d'architecture aux universités n'a pas toujours été bien perçue en interne. À Nantes Université, Éric Lengereau, nommé directeur de l'ENSA en septembre 2021, a dû rassurer. "Nous travaillons avec l'université, Centrale Nantes et les Beaux-Arts mais l'identité de chacun reste : Nantes Université est un nouvel établissement complètement métamorphosé."

Mutualiser les services universitaires et enrichir la pédagogie

Selon lui, cette étape permet surtout à l'ENSA de sortir de "l'isolat". "J'ai toujours pensé que c'était une bonne idée de réconcilier grandes écoles et universités. Le plus important, c'est que les enseignants et les étudiants puissent en voir le bénéfice", explique-t-il. En ligne de mire : l'accès aux services liés à la vie étudiante. Que ce soit la santé, le sport ou le restaurant universitaire, les ENSA en sont souvent dépourvues. Mais aujourd'hui, l'école d'architecture nantaise doit accueillir prochainement le pôle santé.

À Grenoble, le service informatique est mutualisé : "L'université est très performante en matière de sécurité. Cela nous évite de passer par une entreprise extérieure très coûteuse", concède Thomas Spiegelberger. Les services de la communication et de la scolarité ainsi que la gestion administrative pourraient aussi être mieux coordonnés.

Pour les ENSA, c'est aussi l'occasion de proposer des doubles diplômes en lien avec l'ingénierie, les arts ou l'urbanisme, etc. "Nos étudiants ont des aspirations très différentes, il faut donc diversifier nos masters", insiste Pablo Lhoas, directeur de l'ENSA de Lille.

Une universitarisation quasi inévitable ?

Surtout, l'EPE peut être un tremplin en matière de recherche et d'attractivité internationale. L'ENSA de Clermont-Ferrand, qui est la seule école à avoir rejoint un EPE "en cours de route", y a tout de suite "vu un intérêt" pour assurer notamment sa visibilité à l'étranger. "Nous devons mener des actions de plus en plus fortes, en nous calquant sur le modèle universitaire. En unissant nos forces, cela accroît notre réussite", assure Maryline Doutre, en charge des relations avec l'université Clermont-Auvergne.

Nous devons mener des actions de plus en plus fortes, en nous calquant sur le modèle universitaire. En unissant nos forces, cela accroît notre réussite. (M. Doutre, Université Clermont-Auvergne)

Depuis quelques années, les réformes de l'enseignement supérieur convergent en effet vers plus d'universitarisation et les écoles d'architecture ne font pas exception.

En 2013, les ENSA sont placées sous la double tutelle des ministères de la Culture et de l'Enseignement supérieur. En 2018, les études d'architecture sont réformées avec plusieurs objectifs : favoriser l'insertion des ENSA dans les regroupements d'établissements, revoir le statut des enseignants-chercheurs sur le modèle universitaire et développer la recherche.

Rien d'étonnant donc dans le fait qu'un quart des écoles d'architecture fassent le pari de l'EPE. "Le côté universitaire n'est pas une tradition pour les écoles d'architecture mais il y a une sorte de mouvement qui nous pousse à nous rapprocher. Mon avis n'est pas partagé par tous - et j'entends les réticences - mais à terme, il faudra y réfléchir", estime le directeur de l'ENSA de Grenoble.

Des expérimentations sans moyens financiers supplémentaires

Car d'après le Hcéres, les "faiblesses" des écoles d'architecture sont à la fois liées à leur "taille critique" et aux "difficultés de gestion" du ministère de la Culture. Problème : les expérimentations, souhaitées par le ministère de la Culture, sont loin d'être encouragées financièrement. "Le déficit des ENSA ? Ce ne sont pas les EPE qui vont le compenser d'un coup de baguette magique", tonne Eric Lengereau.

Un constat partagé à Lille. "On nous laisse mener une expérimentation sans nous donner les moyens pour qu'elle se passe bien. On nous incite à jouer le jeu, sans prendre la mesure de ce que cela implique. Pas de chance, l'ENSA de Lille est plutôt mal dotée, comme l'université : nous sommes une école pauvre qui a rejoint une université pauvre", appuie Pablo Lhoas.

Le déficit des ENSA ? Ce ne sont pas les EPE qui vont le compenser d'un coup de baguette magique. (E. Lengereau., ENSA Nantes)

Dans son établissement, pas de nouveaux postes, "rien de la part du ministère de la Culture" pour les accompagner. "Je dirais que nous n'avons pas de perte à intégrer un EPE, mais pas de gain significatif non plus", résume-t-il.

Comme les écoles d'art publiques territoriales, les écoles d'architecture, bien que nationales, misent sur les collectivités locales. À Lille, c'est la "triple peine" puisque la région n'intervient pas non plus. À Nantes, en revanche, le directeur a pu se rapprocher de la métropole pour développer des projets, obtenir des financements sur la recherche notamment. "Le facteur local joue pour beaucoup, confirme Thomas Spiegelberger à Grenoble. Et c'est d'ailleurs pour cette raison que toutes les ENSA n'ont pas intégré un EPE."

Une dynamique à deux vitesses au sein des ENSA

Si certains peuvent voir, à travers ce nouveau modèle, un désengagement progressif du ministère de la Culture, difficile néanmoins de miser entièrement sur celui de l'Enseignement supérieur.

"Le ministère de la Culture a ses avantages et ses inconvénients mais le changement de tutelle ne semble pas à l'ordre du jour. C'est un sujet politique qui nous dépasse et qui ne résoudra pas tout", avance Éric Lengereau. Selon Pablo Lhoas, à Lille, il s'agit d'une question de priorité. "Être faible dans un ministère faible, ça ne sert à rien. Il faut reconsidérer les enjeux. Toutes les écoles savent qu'elles doivent s'universitariser. La question, c'est de savoir comment ?"

Réfléchir à une autre vision, le directeur de l'ENSA de Grenoble y est, lui aussi, favorable. Car le risque, à terme, est de se retrouver avec un système à deux vitesses, entre "les écoles qui sont dans un EPE et les autres. Et ça ne marchera pas".

"Faut-il que toutes les ENSA rejoignent les universités ou est-ce que les ENSA doivent plutôt se constituer en réseau et former leur propre 'université' ?", interroge Pablo Lhoas. Le sujet est épineux.

Le directeur lillois évoque la compétition entre les ENSA, qui rend difficile la mise en place d'un travail commun. "Il faudrait tout mettre à plat. Aujourd'hui, il n'y a pas de règles sur la répartition des moyens financiers, alors que nous ne sommes que 20 écoles. Mais les mieux dotées n'ont pas envie de cela…"

Dommage que les baguettes magiques n'existent que dans les contes de fée.

Pauline Bluteau | Publié le