Racisme et antisémitisme : les établissements du supérieur face à l'augmentation des incidents

Oriane Raffin Publié le
Racisme et antisémitisme : les établissements du supérieur face à l'augmentation des incidents
Depuis la résurgence du conflit israélo-palestinien, de nombreux établissements du supérieur dont Sciences po Paris sont le théâtre d'actes racistes et antisémites. // ©  Romain GAILLARD/REA
Dans le sillage des attaques du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023, les actes et propos discriminants se sont multipliés ces derniers mois. L'enseignement supérieur, à l'image de la société, n'est pas épargné. Mais s'organise pour prévenir et réagir.

Blocus d'un amphithéâtre à Sciences po Paris, affiche à la gloire de Pétain sur un campus universitaire à Chambéry, agression antisémite d'étudiants sur un campus à Strasbourg ou encore tags racistes ou antisémites : depuis l'attaque du Hamas le 7 octobre dernier contre Israël, les répercussions se font sentir dans les établissements du supérieur français, déjà touchés auparavant.

"L'enseignement supérieur et la recherche font pleinement partie de la société, et en ce sens, sont aussi traversés par les mêmes mouvements – joies, tensions, doutes et troubles - que l'ensemble de la société", estime-t-on dans l’entourage de Sylvie Retailleau, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

À l'échelle de la société, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) indiquait, fin janvier, que le nombre d'actes antisémites sur les trois mois ayant suivi l'attaque du 7 octobre équivalait à celui des trois années précédentes cumulées (soit plus de 1.200) et notait un "rajeunissement des auteurs d'actes antisémites."

Des situations différentes selon le type d'établissement

Le ministère confirme un regain d'actes antisémites et du sentiment d'insécurité depuis le 7 octobre. "Il y a une vraie augmentation, mais pas une explosion, pas un embrasement généralisé", précise l’administration de Sciences po Paris. Des actes ou des propos qui émanent d'étudiants et non du personnel, dans la quasi-totalité des cas.

Et certaines filières sont davantage concernées que d'autres. "Évidemment, nos étudiants sont intéressés par le sujet, précise Sciences po Paris à EducPros. D'autant que nous comptons plus de 50% d'étudiants internationaux. En fonction de leur pays d'origine, ils auront une manière d'appréhender les choses et un regard différents". 

Les 200 écoles d'ingénieurs, par exemple, semblent plus épargnées. "Au sein de nos écoles, ces dernières semaines, un acte - un tag antisémite - a été remonté", a déclaré Emmanuel Duflos, président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI), lors d'une table ronde de la Commission des Affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, le 25 mars. Selon lui, si ce tag "intolérable" est isolé, cela est "peut-être à lier au fait que les écoles d'ingénieurs sont des lieux qui sont très peu politisés".

Des actes difficiles à quantifier

Les données chiffrées sont difficiles à établir. Pourtant, en septembre, avant le conflit entre le Hamas et Israël, un sondage de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) révélait déjà que neuf étudiants juifs sur dix disaient avoir été victimes d'antisémitisme à l'université.

"Le problème, c'est que l'essentiel se passe souvent sur les réseaux sociaux, note Michel Deneken, président de l'université de Strasbourg. De nombreux étudiants juifs font profil bas, plutôt que d'être dans l'affirmation de ce qu'ils sont. Ce qui pose évidemment problème : ce n'est pas normal de se censurer !"

Un plan, mis en place en 2015, prévoyait notamment le déploiement d'un réseau des Référents racisme-antisémitisme. Présents dans chaque établissement, ils sont chargés de faire de la prévention, mais aussi d'écouter les victimes et de les accompagner dans les signalements, en cas d'acte raciste ou antisémite.

Autre priorité, souligne-t-on au ministère : la réparation. "Voir des croix gammées ou des tags racistes ajoute un mal-être. Les établissements se sont engagés à les faire disparaître rapidement, y compris dans les endroits les plus délaissés, comme les toilettes".

Les établissements se veulent réactifs

Car, quand les actes sont connus, les universités et les écoles se veulent réactives. "Nous avons toujours été intraitables face à tout acte antisémite, raciste, toute discrimination quelle qu'elle soit", précise Sciences po Paris.

Une politique pratiquée par l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur, qui ouvrent des enquêtes administratives et transmettent les dossiers à la justice, lorsque cela est nécessaire.

"Lors des blocages ou des manifestations, on retrouve souvent des gens de l'extérieur, pas forcément des étudiants. La mobilisation ne concerne que 50 ou 60 étudiants sur presque 60.000 ici, à Strasbourg", tempère Michel Deneken.

Les universités doivent porter "les valeurs républicaines"

Outre ces réactions, les établissements tentent de favoriser le vivre ensemble et de faire de la prévention.

"Les universités se doivent de demeurer des phares de notre société, en termes de valeurs républicaines et de participer à la prévention en formant les citoyens et les citoyennes que sont nos étudiants", estime Didier Chavrier, vice-président de l'université d'Orléans, délégué "égalité, diversité, inclusion et qualité de vie au travail" et également référent racisme et antisémitisme de son établissement.

"Nous sommes l'école du pluralisme et de la libre expression et nous devons le rester, complète Sciences po Paris. Notre rôle, c'est de fixer un cadre dans lequel les débats s'expriment, dans le respect de la loi et de la République."

Signe des tensions du moment, l'Université de Lille annonçait, le 17 avril, devoir annuler la conférence de Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan au sujet de la Palestine, "considér[ant] que les conditions [n'étaient] plus réunies pour garantir la sérénité des débats".

La prévention passe notamment par des liens avec les acteurs de la vie étudiante et les syndicats. "Une telle politique doit être portée aussi par les étudiants et les associations étudiantes, pour qu'elle soit vraiment irriguée dans les réseaux étudiants et non descendante", explique ainsi Didier Chavrier.

L'université d'Orléans met en place également des partenariats, comme avec la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra). Objectif : créer un écosystème, une émulation et des ressources pour les étudiants et leur permettre de réfléchir à l'altérité et aux valeurs de la République.

Depuis peu, un partenariat avec le Mémorial de la Shoah permet une sensibilisation sur les mécanismes qui font passer des préjugés au racisme, pouvant déboucher jusqu'au génocide. Pour faire prendre du recul à des étudiants parfois encore très jeunes et pas toujours conscients de la portée et des conséquences de leurs actes ou de leurs propos.

Oriane Raffin | Publié le