À Nanterre, le président de l'université tente de renouer le dialogue avec les étudiants

Laura Taillandier, Auriane Duroch-Barrier Publié le
À Nanterre, le président de l'université tente de renouer le dialogue avec les étudiants
Des étudiants de l’université Paris-Nanterre ont voté jeudi 19 avril 2018 la poursuite du blocage de l'établissement. // ©  Laura Taillandier
Sur le campus de l'université Paris-Nanterre, des étudiants ont voté jeudi 19 avril 2018 la poursuite du blocage jusqu'au 2 mai. "Dans un souci d'apaisement", le président de l'université est venu s'exprimer devant l'assemblée générale. Mais sa proposition d'organiser des états généraux peine à convaincre les opposants à la réforme.

L'assemblée générale sur le campus de Nanterre a des airs de sit-in, jeudi 19 avril 2018. Sur la pelouse, devant le bâtiment F, plus d'un millier d'étudiants ont répondu présent pour débattre de la loi ORE (Orientation et réussite des étudiants) et voter pour ou contre la poursuite du blocage de l'établissement. Lunettes de soleil sur les yeux, casquette ou foulard sur la tête, ils sont tournés vers la tribune improvisée, où les interventions se succèdent au micro.

Tension entre les pro et anti-blocage

Sur l’herbe, les groupes d'étudiants ne sont pas tous convaincus par le mouvement étudiant. Comme Diane, en master 1 de sciences politiques. "La situation est scandaleuse, lâche "excédée" la jeune femme. "Cette assemblée générale n'est pas légitime. Tous les étudiants ne sont pas là, il y en a qui ne sont pas de Nanterre... On va encore être minoritaire à voter contre le blocage et les décisions prises vont être imposées à toute la fac", déplore-t-elle, "inquiète" pour ses examens et "la valeur de [son] diplôme".

À l'écart et à l'ombre, Amandine attend sur un banc que l'assemble générale se termine. "Ça fait un semestre qu'on révise. Et tout ça pour rien ? Comment on fait pour la procédure de sélection en master si on n'a pas de notes ?", interroge amère, l'étudiante en L3 de psychologie.

Mais tu crois qu'ils vont donner les partiels à tout le monde ? Tu vis dans un monde de Bisounours !

Assise quelques rangs devant, Maria, en L2 de sciences humaines et sociales, votera au contraire pour la poursuite du mouvement : "À la base, je ne me rendais pas compte de l'ampleur de la réforme. C'est le blocage qui m'a sensibilisée au sujet. Tout le monde doit pouvoir intégrer l'université", juge l'étudiante.

Le soleil cogne et certains sont venus se réfugier à l'ombre des arbres au fur et à mesure des débats. Entre les pro et anti-blocage, le ton monte. "Mais tu crois qu'ils vont donner les partiels à tout le monde ? Tu vis dans un monde deBisounours !" interpelle une étudiante, avant d'être séparée d'une autre élève par ses camarades, qui appellent au calme. Les examens terminaux débutent le 2 mai à l'université.

L'intervention des forces de l'ordre en question

D'abord timide à Nanterre, la mobilisation des étudiants s'est accélérée après l'intervention des forces de l'ordre, lundi 9 avril. "C'est un traumatisme de voir 100 géants bleus rentrer dans l'établissement", témoigne Max, en M1 SES, qui fait partie des bloqueurs. "Oui, on est pour la démission de Jean-François Balaudé, qui envoie les keufs sur les étudiants", exulte dans le même temps une jeune fille à la tribune avant de laisser le micro au président de l'université, venu s'expliquer et "renouer le dialogue" avec les étudiants.

Pas de traitement de faveur pour Jean-François Baulaudé : comme tout le monde, il a droit à deux minutes d'intervention au micro pour convaincre. "Je regrette infiniment l'intervention de la police et l'émotion qu'elle a suscitée. L'université n'engagera pas de poursuites contre les étudiants interpellés", promet-il. Le président le reconnaît : "Si c'était à refaire, je ne reprendrais pas la même décision."

Pour "apaiser la situation", il propose aux étudiants "un gentleman's agreement" : permettre, malgré la poursuite du blocage, aux élèves internationaux ou en contrat de travail de passer leurs examens. "Il faut qu'ils puissent composer", insiste-t-il, suivi par les applaudissements d'étudiants.

Je regrette infiniment l'intervention de la police et l'émotion qu'elle a suscitée. [...] Si c'était à refaire, je ne reprendrais pas la même décision.
(J.-F. Balaudé)

Des états généraux pour obtenir des moyens supplémentaires

Jean-François Balaudé est également venu plaider pour l'organisation d'états généraux "ambitieux" dans l'établissement. Objectif : "se mettre d'accord sur un certain nombre de revendications et notamment sur la question des moyens". "Nous avons augmenté de 600 places nos capacités d’accueil en L1, il faut aller plus loin et proposer ensemble quelque chose que je pourrai ensuite porter plus haut."

Jean-François Balaudé était signataire le matin même d'une tribune dans "Le Monde", dans laquelle 60 présidents d'université manifestent leur soutien à la réforme mais demandent des moyens supplémentaires pour la mettre correctement en œuvre.

Dans les rangs des opposants à la réforme, cette idée des états généraux peine à convaincre. "Nous ne sommes pas contre le dialogue avec le président de l’université mais nous ne changerons pas nos revendications. Nous souhaitons l’abrogation de la loi ORE", réagit Antoine, un étudiant. De leur côté, les personnels de l'établissement revendiquent la paternité de cette idée et organisent des "états généreux" pour discuter de leurs conditions de travail. "Il faut que ce soit à nos conditions : pas de discussions bilatérales et pas sous la pression de Parcoursup", ajoute une Ater, représentante de l'AG des personnels.

En clair : pas tant que la réforme se mettra en place dans l'établissement. Une idée irréalisable pour le président de l'université : "Si on suspend la réforme, nous n'aurons aucun étudiant à la rentrée. Je pense que nous pouvons en revanche discuter des modalités de mise en place dans notre établissement", notamment du surbooking au cas par cas selon les formations. Plusieurs départements où les formations ne sont pas en tension refusent de trier les dossiers comme en sociologie ou en géographie. Mais Jean-François Balaudé fixe les limites : "Notre université sature déjà ses espaces d'enseignement. Nous n'avons pas la place !"

L'assemblée générale se termine plus de trois heures plus tard, après un vote en faveur de la poursuite du blocage (plus de 1.000 pour et plus de 300 contre). Devant les caméras, Pierre Laurent est venu apporter son soutien au mouvement : "Cette bataille, nous l’avons menée au Parlement, il me semblait logique de venir soutenir les étudiants. Je me réjouis de l’action des étudiants de l’université de Nanterre et je les soutiens. Ils ont mille fois raison de se mobiliser." Le secrétaire national du PCF est ensuite parti rejoindre les cortèges de la manifestation interprofessionnelle, tout comme certains étudiants.

Laura Taillandier, Auriane Duroch-Barrier | Publié le