C. Ris (université de la Nouvelle-Calédonie) : "Nous avons un public fragile qui arrive chez nous, faute de places dans les formations qui leur sont destinées"

Amélie Petitdemange Publié le
C. Ris (université de la Nouvelle-Calédonie) : "Nous avons un public fragile qui arrive chez nous, faute de places dans les formations qui leur sont destinées"
La présidente de l'université de Nouvelle-Calédonie répond aux questions d'EducPros. // ©  Photo fournie par l'établissement.
Les étudiants de l'université de la Nouvelle-Calédonie ont fait leur rentrée en février dernier. La présidente, Catherine Ris, revient sur les spécificités de son établissement et les besoins des étudiants en termes d'accompagnement pédagogique et social. Et constate la difficulté à faire le bilan de la mise en place du dispositif "Trajectoires réussite pour les étudiants en Calédonie".
Catherine Ris
Catherine Ris © Photo fournie par le témoin

L’université de la Nouvelle-Calédonie, qui dispose de trois campus sur le territoire, à Nouville, Baco et Wallis-et-Futuna, accueille 3.500 étudiants dans plus de 40 formations.

Son dispositif "Trajectoires réussite pour les étudiants en Calédonie" (TREC) permet de réaliser sa licence en deux ans et demi (TREC 5, pour 5 semestres) ou trois ans et demi (TREC 7, pour 7 semestres). Lauréat de l'appel à projet du Programme d’investissements d’avenir 3, ce projet, instauré pour la rentrée de février 2019, a obtenu un financement de six millions d'euros sur dix ans.

Il s'agit aussi de s'adapter aux étudiants et de mieux les accompagner, explique la présidente de l'université, Catherine Ris.

L’université de la Nouvelle-Calédonie a fait sa rentrée universitaire en février. Pourquoi cette spécificité ?

Les saisons étant inversées dans l'hémisphère Sud, les calendriers primaire et secondaire débutent en février, avec une diplomation en décembre. Nous devons donc faire débuter notre premier cycle en février, pour être en phase avec la fin du lycée.

Pour rattraper le calendrier de l'Hexagone, les étudiants sont ensuite diplômés en deux ans et demi ou trois ans et demi. Cela leur permet de postuler en master dans l'Hexagone ou chez nous.

Comment les étudiants sont-ils répartis entre ces deux modes de licence ? Choisissent-ils la durée de leur diplôme ?

Le programme en deux ans et demi est sélectif, les étudiants doivent postuler. S'ils ne sont pas pris, ils sont forcément reçus dans la licence en trois ans et demi, car nous ne remplissons pas les promotions.

Nous avons une majorité d'étudiants dans ce second dispositif. Il y a aussi des possibilités de passerelles dans les deux sens, si le niveau de l'étudiant évolue.

Ce dispositif "TREC" qui aménage la durée des licences selon vos contraintes a été validé par l'Agence nationale de la recherche l'année dernière. Comment évaluez-vous son impact sur la réussite des étudiants ?

Il est difficile d'évaluer la mise en place de cette réforme, car nous avons subi en même temps la crise sanitaire. Il y a eu trois confinements longs et souvent les étudiants ne revenaient pas entre les confinements, ce qui a engendré un fort taux d'abandon.

Il y aussi eu une forte augmentation des effectifs lors de la mise en place du TREC mais en même temps les étudiants ne pouvaient pas aller dans l'Hexagone pendant cette période...

Dans le TREC 7 (la licence en trois ans et demi), c'est plus difficile de faire rester et réussir les étudiants.

On observe que le TREC 5 [la licence en deux ans et demi, NDLR] fonctionne très bien. Dans le TREC 7, c'est plus difficile de faire rester et réussir les étudiants.

Nous avons un public fragile, avec des bacs technologiques et des séries professionnelles, qui arrive chez nous, faute de places dans les formations qui leur sont destinées, notamment les BTS. Il y a une forte disparité entre les deux groupes. C'est évident que les étudiants ont besoin d'être davantage accompagnés.

Quelles sont vos pistes d'amélioration concernant cet accompagnement ?

Depuis cette rentrée, nous faisons passer des tests de positionnement en ligne aux première année. Ensuite, nous mettons en place de la remédiation, centrée sur la difficulté de l'étudiant, par exemple s'il a du mal avec les dérivés en mathématiques.

Les étudiants signent aussi un contrat de réussite pédagogique dans lequel ils s'engagent à suivre la remédiation. Sur 1.400 étudiants de licence 1, environ un tiers ont signé un contrat, l'objectif étant d'arriver à la totalité.

Il y a aussi un rendez-vous pédagogique avec chacun des étudiants, c'est d'ailleurs lors de ce rendez-vous qu'ils signent le contrat. Malheureusement, beaucoup d'étudiants ne s'y présentent pas, car ils peuvent signer en ligne.

Nous allons aussi mettre en place une approche par compétences. Cela va prendre du temps car c'est un changement de paradigme pour les enseignants. Les enseignants et les étudiants sont formés par une universitaire canadienne qui accompagne nos équipes dans ce changement.

L'idée, c'est de mettre l'étudiant en situation d'activité, avec plus d'interaction. Cette approche sera développée dans toutes les licences, puis progressivement dans toutes les formations d'ici cinq ans.

Nous avons clairement un problème de motivation et d'investissement, avec certains étudiants qui pensent que venir en cours est suffisant.

Nous avons clairement un problème de motivation et d'investissement, avec certains étudiants qui pensent que venir en cours est suffisant. La professionnalisation dès la licence est aussi vectrice de motivation.

Il y a donc un stage obligatoire de minimum deux mois en licence. Nous avons aussi développé l'alternance dans certaines filières. Par exemple, la troisième année de LEA (langues étrangères appliquées) se fait obligatoirement en alternance.

La Nouvelle-Calédonie ne dispose pas de Crous. Comment y pallier, pour assurer le logement des étudiants et lutter contre la précarité ?

La Nouvelle Calédonie a créé une Maison de l'étudiant, qui assure une partie des missions d'un Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous). Elle gère notamment la restauration, avec un restaurant universitaire et des cafétérias. Les prix sont les mêmes que dans les Crous, et le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous) rembourse l'écart de prix pour la Maison de l'étudiant.

L'université s'occupe, quant à elle, de la vie étudiante, notamment l'animation culturelle et sportive. Nous finançons aussi une cellule d'écoute, dans les locaux de la Maison de l'étudiant. Nous avons également un hébergement d'urgence pour les personnes victimes de violences : c'est un appartement avec trois chambres sur le campus, malheureusement très utilisé.

Enfin, nous avons mis en place le dispositif Petit Campus qui est une salle de parentalité, pour que les étudiants parents puissent y passer du temps avec leurs enfants. Nous prêtons aussi des kits de naissance avec siège auto, poussette, biberon vêtements... Car dans la majorité des cas, l'arrivée d'un enfant mène à l'arrêt des études.

Certains étudiants font 1h30 de bus pour arriver à l'université. Cela ne favorise pas la persévérance et la réussite.

Concernant le logement étudiant, la Maison de l'étudiant gère 650 chambres, pour lesquelles les boursiers sont prioritaires. Le loyer est d'environ 300 euros mais les boursiers reçoivent une aide. Ils sont majoritaires, car nous manquons de logements.

De nombreux étudiants se logent donc dans le privé ou chez leurs parents. C'est un problème, car les transports publics ne sont pas efficients et sont coûteux. Certains étudiants font 1h30 de bus pour arriver à l'université. Cela ne favorise pas la persévérance et la réussite.

Vous avez annoncé votre volonté de créer un "programme de mobilité étudiante" à l’échelle régionale, en prenant exemple sur Erasmus. Où en est ce projet ?

J'échange sur le sujet avec le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. L'idée, c'est d'abord de vérifier l'intérêt des pays de la région, et leur capacité à participer à ce programme. On travaille dans un premier temps sur la mise en place de programmes expérimentaux.

C'est un formidable outil de rayonnement de l'Enseignement supérieur et la recherche dans la région et d'intégration régionale. Mais ce n'est pas quelque chose de simple à mettre en place, la distance la plus courte entre deux universités dans le Pacifique, c'est 3.000 kilomètres !

Nous ne savons pas encore quels pays seront concernés, mais a priori ce seront les pays de la région. A voir si nous prenons en compte tout le Grand pacifique qui inclut la Nouvelle-Zélande, l'Australie, l'Asie, l'Amérique avec Hawaï… Le périmètre n'est pas encore clair, ni défini. En tout cas, nous sommes volontaires pour expérimenter et être force de proposition sur ce sujet.

La limite, c'est que nous sommes dans un environnement anglophone. Pour une université française, avec aucun diplôme entièrement en anglais, il est difficile d'accueillir des étudiants sur un diplôme complet. Nos masters sont déjà à 50% en anglais, mais cela ne suffit pas pour des anglophones. Il faudra créer des programmes qui ne sont pas basés sur la langue française.

Amélie Petitdemange | Publié le