Face aux "fake news", l’université au défi de la vulgarisation

Aurélie Djavadi Publié le
Face aux "fake news", l’université au défi de la vulgarisation
Pour lutter contre les fakes news, il y a nécessité de "repenser l’éducation populaire et la place de l’expert". // ©  Michel GAILLARDI/REA
Alors que la question du renforcement de la législation pour contrer les "fake news" fait débat, des enseignants-chercheurs, réunis en colloque par la CPU le 15 février 2018, ont insisté sur la nécessité de "repenser l’éducation populaire et la place de l’expert". Si les scientifiques sont prêts à réinventer leur façon de communiquer, la question des moyens dont ils disposent reste entière.

Partager les résultats de leurs travaux en économie et en droit pour aider le grand public à prendre du recul sur les débats de société, voilà le leitmotiv de deux enseignants-chercheurs de l’université de Strasbourg.

Partant du constat que les scientifiques "n’ont jamais produit autant de connaissances" mais que "celles-ci restent encore trop souvent confinées et ésotériques pour la majorité des citoyens", depuis septembre 2017, Philippe Gillig et Fleur Laronze organisent des conférences dans des salles municipales, des lycées ou encore des centres socioculturels sur des sujets d’actualité, comme la loi Travail ou l’immigration.

À l’heure où les réseaux sociaux accélèrent la circulation de l’information, offrant une audience à certaines thèses fantaisistes et noyant la parole des scientifiques dans un flux d’opinions diverses et variées, la CPU (Conférence des présidents d’université) voudrait multiplier les initiatives de ce genre. Le 15 février, la conférence organisait à l'université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle un colloque autour de "l’université comme rempart aux 'fake news'".

Et, à l’instar de Fabienne Blaise, vice-présidente de la CPU, prenant en exemple dans son discours d’introduction l’exemple strasbourgeois, les intervenants ont tour à tour souligné la nécessité de "repenser l’éducation populaire et la place de l’expert", afin d’amplifier la portée de la recherche hors des laboratoires.

Explorer de nouveaux formats

"L’heure est grave, car les 'fake news' entendent saper la démocratie avec les outils mêmes de la démocratie, créant un doute généralisé. Il ne faut pas laisser s’installer cette défiance vis-à-vis des ‘sachants’", insiste Arnaud Mercier, professeur en sciences de l’information à Paris 2-Panthéon-Assas. Mais pour toucher les internautes qui peuvent être réceptifs aux intox du web, "les chercheurs doivent accepter de descendre de leur piédestal et explorer de nouveaux terrains", juge-t-il.

"Le travail de vulgarisation prend une importance croissante, confirme Agathe Cagé, docteure en science politique à Paris 1-Panthéon-Sorbonne, ex-directrice adjointe de cabinet au ministère de l’Éducation nationale jusqu’en mai 2017. Il faut adapter les outils de diffusion pour ménager de nouveaux points d’accès au savoir scientifique." Bref, s’approprier les formats même de leurs adversaires.

Les 'fake news' entendent saper la démocratie avec les outils mêmes de la démocratie.
(A. Mercier)

"Plutôt que d’écrire un long article, pourquoi ne pas opter pour une vidéo, avance Arnaud Mercier. Peut-être faut-il aller aussi sur les sites controversés pour déposer des commentaires, ce qui montrera aux futurs visiteurs que ces positions sont contestées."

Si le professeur à l’IFP (Institut français de la presse) de Paris 2 invite à ne pas se faire d’illusions sur les dispositifs de fact-checking face à un public déjà acquis à une "fake news", il note que cela peut aider à "trouver des alliés" et à fournir des arguments pour relayer le combat contre la désinformation.

Contribuer à l’éducation aux médias

Au-delà d’articles relevant les failles de certains discours, la vérification des faits peut aussi s’incarner dans des dispositifs de recommandations renseignant l’internaute sur la nature et le sérieux des sites visités. Dans ce domaine, les enseignants-chercheurs peuvent aider à "faire émerger ces formes d’intelligence collective", juge François Taddei, directeur du CRI (Centre de recherches interdisciplinaires).

"Il faut lancer des recherches autour des processus de certification. On pourrait imaginer des outils web pour indiquer qu’une information a été validée par telle ou telle université", poursuit le chercheur qui s’investit aussi dans le développement de nouvelles pédagogies afin d’éveiller l’esprit critique dès le plus jeune âge, notamment à travers le programme "Les Savanturiers".

On pourrait imaginer des outils web pour indiquer qu’une information a été validée par telle ou telle université.
(F. Taddei)

Car en dehors de la diffusion même des résultats scientifiques, les enseignants-chercheurs ont un rôle à jouer dans l’éducation aux médias, ont rappelé les participants. Pour procurer des outils d’analyse à leurs propres étudiants, bien sûr, ainsi que pour réorienter, grâce aux conclusions de leurs travaux, le contenu des enseignements autour de l’information.

"Au-delà de l’autonomie intellectuelle, il y a désormais un bagage technique à donner aux jeunes pour qu’ils puissent vérifier par eux-mêmes l’information", pointe Arnaud Mercier. "Il s’agit par exemple de comprendre comment fonctionnent les algorithmes qui nous proposent l’information sur les réseaux et d’avoir conscience de 'l’économie du clic' dans laquelle ils s’inscrivent", détaille Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l’information à l'université de Cergy-Pontoise.

Devant ces différents chantiers, Agathe Cagé soulève la question des moyens mis à disposition des établissements : "Si l’on veut que les enseignants-chercheurs s’engagent dans ce travail de vulgarisation, il faut non seulement leur donner des appuis et des équipements, mais aussi augmenter leurs effectifs." Et la chercheuse de considérer que les politiques "ont une responsabilité dans la considération des enseignants-chercheurs". À bon entendeur…

Aurélie Djavadi | Publié le