Former des ingénieurs agiles : le pari des Mines de Douai

Sophie Blitman Publié le
Former des ingénieurs agiles : le pari des Mines de Douai
Étudiants des Mines de Douai lors d'un cours d'informatique mené avec une approche agile. // ©  École des mines de Douai
Développées à l'origine dans les entreprises par les informaticiens, les pratiques agiles gagnent l'enseignement supérieur. C'est le cas à l'École des mines de Douai, où des enseignants testent cette pédagogie qui permet d'impliquer plus fortement les étudiants.

Donner la priorité aux personnes et aux interactions plutôt qu'aux processus et aux outils, mettre l'accent sur la capacité à s'adapter plutôt qu'à respecter à tout prix le planning initial : voilà les grands principes sur lesquels reposent les pratiques agiles. Venue de l'univers des informaticiens, cette approche se développe de plus en plus dans les entreprises et commence à émerger dans l'enseignement supérieur, notamment à travers le projet "Alpes" (approches AgiLes pour la Pédagogie dans l’Enseignement Supérieur), mis en place en 2013 à l'École des mines de Douai.

Dans certains cours d'informatique et de mécanique, les étudiants planchent ainsi par binômes sur des projets décomposés en différentes tâches. Pour illustrer la méthode, Jannik Laval, enseignant-chercheur en informatique, donne l'exemple de la réalisation de la base de données d'un Doodle. Au lieu de concevoir l'application dans sa globalité, de la développer, de la tester puis de la valider, les étudiants avancent étape par étape, en effectuant successivement chacune des tâches de A à Z : créer une réunion, choisir une date…

"C'est une approche plus verticale qu'horizontale", précise Mathieu Vermeulen, responsable de la cellule Imagine (ingénierie multimédia et accompagnement à la génération d'innovations éducatives) de l'école. Et d'insister sur l'importance de "remettre l'humain au centre, à travers des réalisations qui ont un sens pour l'utilisateur".

Comme dans la gestion de projet classique, l'idée est de rendre les étudiants plus actifs en leur demandant de trouver eux-mêmes les informations qui leur permettent de parvenir à une réalisation concrète. Mais pour le responsable Tice (technologies de l'information et de la communication pour l'enseignement), les approches agiles vont plus loin, notamment parce que "le travail est plus cadencé et encadré".

Individualiser la formation

S'ils travaillent en autonomie, les étudiants sont en effet guidés dans leur organisation par des outils comme le "passboard". Ce tableau à trois colonnes (to do/doing/done) permet de visualiser comment avance le projet, grâce à des Post-it que l'on déplace au fur et à mesure, tandis qu'une petite case "help" signale en un coup d'œil si l'équipe a besoin d'un conseil.

"L'intérêt est que, si l'étudiant bloque sur un point, il n'est pas obligé d'attendre que l'enseignant soit disponible pour avancer : il peut passer à autre chose car chaque tâche est indépendante des autres, fait valoir Jannick Laval. D'un point de vue pédagogique, cette décomposition plus fine du travail permet de personnaliser le rythme d'apprentissage."

En outre, le cahier des charges n'étant pas défini en amont une fois pour toutes, l'enseignant peut décider d'ajouter une tâche ou de changer un binôme. Résultat, "les élèves apprennent à s'adapter, comme ils auront à le faire dans la vraie vie en entreprise", souligne Mathieu Vermeulen.

Si l'étudiant bloque sur un point, il n'est pas obligé d'attendre que l'enseignant soit disponible pour avancer. (J. Laval)

Impliquer les étudiants

Cette volonté de préparer les étudiants au monde professionnel passe aussi, dans l'approche Alpes, par l'importance accordée à la communication. Ainsi, les enseignants remplacent la classique soutenance devant un jury par des présentations de 20 slides en 20 secondes chacun. Une méthode baptisée Pechakucha, qui se veut moins scolaire et plus conviviale. "On écoute les groupes qui se succèdent sans faire de critique et en prêtant attention à la manière dont ils présentent leur projet : le storytelling fait partie de l'évaluation. Et pour l'occasion, on apporte des bonbons", glisse Mathieu Vermeulen.

Autre exemple : l'utilisation du brainstorming au début des cours de robotique, pour lequel les élèves eux-mêmes proposent et choisissent les projets à mener. "Chacun est libre d'imaginer un service qu'un robot pourrait rendre à un être humain, on ne juge personne", explique le responsable, ravi de voir fuser des idées qui vont de l'accompagnement d'une personne handicapée à l'ouverture automatique d'une bière…" Pour les élèves qui sortent de prépa, c'est un choc de culture !", indique-t-il en souriant.

Le storytelling fait partie de l'évaluation. (M. Vermeulen)

Il en va de même lorsque, suivant la méthode Pomodoro, l'enseignant change le rythme du cours, proposant une pause toutes les vingt-cinq minutes, au lieu d'enchaîner deux heures comme l'indiquent les créneaux officiels. "Pendant cinq minutes, les étudiants sont totalement libres de faire ce qu'ils veulent : boire un café, téléphoner…, détaille Jannick Laval. En revanche, on est beaucoup plus exigeants pendant les vingt-cinq minutes de cours, qui correspondent à une durée de concentration optimale."

Autant de techniques qui permettent d'impliquer davantage les étudiants dans les projets. "Les retours sont pour l'instant très positifs", souligne Mathieu Vermeulen, qui a aussi constaté, en 2013-2014, une hausse de trois points de la moyenne des élèves en cours de bases de données par rapport à l'année précédente. De quoi encourager la diffusion de cette approche.

Aujourd'hui, une petite dizaine d'enseignants l'utilisent aux Mines de Douai. D'autres écoles se montrent intéressées. "Nous travaillons avec l'Isen Brest et préparons un séminaire pour les écoles de l'IMT [Institut Mines-Télécom]", indique Mathieu Vermeulen. L'approche Alpes devrait aussi être présentée lors du colloque QPES (Questions de pédagogie dans l'enseignement supérieur) qui se déroulera à Brest en juin 2015.

Pour en savoir plus
- Le site dédié à l'approche Alpes mise en œuvre à l'École des mines de Douai.
- Le site de Jannik Laval.

Sophie Blitman | Publié le