Geoffrey Crossick (président de l’University of London) : «Le gouvernement veut créer un marché de l’enseignement supérieur dans lequel l’étudiant serait un consommateur»

Propos recueillis à Londres par Virginie Bertereau Publié le
Geoffrey Crossick (président de l’University of London) : «Le gouvernement veut créer un marché de l’enseignement supérieur dans lequel l’étudiant serait un consommateur»
Geoffrey Crossick // © 
À la rentrée 2012, les universités anglaises seront libres d’augmenter leurs frais de scolarité (jusqu’à 6.880 €, voire 10.320 € par an) en cycle undergraduate. Geoffrey Crossick, président de l’University of London, ne voit pas d’alternative… ce qui ne veut pas dire qu’il adhère à la réforme. Le professeur d’histoire contemporaine, qui a enseigné un an à Lyon 2, revient dans une interview accordée à EducPros sur le financement de l’enseignement supérieur en Angleterre et les classements internationaux.

Que pensez-vous de la réforme des universités en Angleterre ?
Le gouvernement anglais, qui a décidé de réaliser des coupes substantielles dans les dépenses publiques pour réduire le déficit du pays, n’avait pas d’autre alternative que d’augmenter les frais de scolarité pour assurer des fonds suffisants aux universités. En outre, la réforme est nécessaire si on veut se doter d’un enseignement supérieur fort. Selon moi, il n’existe pas de système d’enseignement supérieur de masse de haute qualité financé seulement avec des subventions de l’État. Il faut à la fois des subventions et des frais de scolarité. Donc aurais-je choisi le même système que le gouvernement ? Non. Je crois que l’enseignement supérieur contribue au développement de la société et de l’individu, et que tous doivent contribuer. Je préférerais moins d’inégalité entre ces deux contributions.

Y a-t-il un désengagement de l’État ?
Non, ce n’est pas un désengagement de l’État. C’est un changement de caractère de l’engagement de l’État. Tout d’abord, celui-ci contribuera substantiellement au coût de l’éducation des étudiants à travers les prêts contractés pour payer les frais d’inscription et de pension, à travers les bourses accordées aux jeunes de milieux défavorisés, etc. Deuxièmement, le gouvernement veut créer un marché de l’enseignement supérieur dans lequel l’étudiant serait un consommateur. Personnellement, cela ne me rend pas enthousiaste. Mais si, derrière cela, on entend « qualité du service », je deviens plus partagé. En Angleterre, on est peut-être plus réaliste qu’en France. L’augmentation des frais de scolarité va permettre d’améliorer la qualité des bibliothèques, des laboratoires informatiques, de sciences, d’arts… Troisièmement, l’État continuera de financer largement la recherche – et la recherche en Angleterre a majoritairement lieu dans les universités. Enfin, il est engagé dans la qualité du second degré et les aspirations des élèves, ce qui est essentiel pour les facultés.

Attendez-vous de meilleures places dans les classements internationaux ?
Les universités anglaises ont déjà un excellent niveau dans ces classements ! Mais la mondialisation de l’enseignement supérieur induit une concurrence aiguë entre les établissements, et les universités anglaises auront réussi si elles ne perdent pas leur position actuelle.

Que pensez-vous d’un classement des universités européen ?
Je ne suis pas un grand amateur des classements internationaux des universités. Ils existent, mais je ne voudrais pas en inventer un de plus !

Comment l’University of London est-elle financée ?
L’University of London est un établissement particulier. Il s’agit d’une fédération constituée de 19 collèges indépendants. Cela varie donc de l’un à l’autre. De manière plus générale, les universités anglaises reçoivent de 20 à 70% de leurs ressources de l’État. Pour le reste, le financement vient en grande partie des étudiants non européens, de master et de doctorat, et de la recherche financée par des fonds publics et privés. Certaines universités britanniques reçoivent beaucoup d’argent des entreprises. C’est le cas, par exemple, de Cranfield University et de l’Imperial College, des établissements spécialisés dans la recherche pour l’industrie, les technologies, le médical. Cela dit, ce n’est pas un problème, contrairement à ce que pensent souvent les Français : cela crée un engagement mutuel bénéfique et augmente les budgets pour la recherche. L’essentiel est que les chercheurs restent indépendants des contrôles des entreprises privées, mais aussi des contrôles de l’État.

L'University of London en bref

L'University of London a été créée en 1836. Son principe fondamental : fournir un enseignement à tous, sans distinction d’origine, de croyance et d’opinions politiques.

19 collèges composent cette université, dont le King’s College London , la London School of Economics and Political Science et l’UCL .

Le réseau mondial « University of London International Programmes » réunit 52.000 étudiants dans plus de 190 pays et propose une centaine de formations. Il se prévaut de faire de l’enseignement à distance depuis 1858.
Parmi les anciens étudiants de l’université, on recense 7 prix Nobel, parmi lesquels Nelson Mandela.

Propos recueillis à Londres par Virginie Bertereau | Publié le