Mobilité étudiante : dans la cuisine des crédits européens

Fabienne Guimont Publié le

Les obstacles à la mobilité ne sont toujours pas surmontés et il manque un engagement politique. C'est ce que rediront les organisateurs (L'international de l'Education et l'European Student's Union) de la conférence Let's Go qui se tient à Lille 3 les 6 et 7 octobre 2008. Une occasion de faire le point sur  l'utilisation des ECTS (1). Aujourd’hui, les trois quarts des universités en Europe en délivrent contre deux sur trois en 2003. Vingt ans après leur lancement, la question n’est plus de savoir qui mais comment ces crédits sont attribués. Si les principes d’élaboration des crédits européens sont clairement énoncés, dans la pratique, chacun concocte ses propres règles. Au risque de créer des monnaies locales, sans standards partagés ?  

Impulsé par la commission européenne dans le sillage des échanges Erasmus à la fin des années 1980, le système des ECTS est en quelque sorte autorégulé par les établissements qui l’utilisent, sans autorité supérieure permettant de contrôler la façon dont ils attribuent les ECTS à leurs formations.  

A l’ancienne

Dans la plupart des cas, la pondération des ECTS entre les parties d’une formation est calquée sur les anciens coefficients affectés aux différentes matières, après négociations entre responsables de disciplines au sein de chaque UE (unité d’enseignement). Or, dans leurs principes, les ECTS doivent être attribués non pas en fonction des coefficients mais en rapport avec la charge de travail demandée à un étudiant pour acquérir telle ou telle compétences. « Dans l’esprit des enseignants, la conversion des heures de cours en charge de travail et en acquis de l’apprentissage (learning outcomes) va seulement commencer à devenir une réalité », indique Patricia Pol, responsable de l’équipe française des experts de Bologne et responsable des relations internationales de Paris 12. Selon l’enquête de l’ESU (European Student's Union), la prise en compte de la charge de travail des étudiants est l’un des principes les moins bien appliqués dans la mise en oeuvre des ECTS (2). 

A chacun son cocktail ECTS

Si des arrêtés postulent qu’une licence équivaut à 180 ECTS et un master à 300 ECTS (3), sur la base de 30 ECTS par semestre, ce sont les établissements qui définissent ensuite à combien d’ECTS correspondra telle ou telle partie de leurs cours. Souverainement. Dans le cocktail ECTS, parmi les ingrédients les plus souvent utilisés, on retrouve les cours magistraux, TP et TD. Au final, un ECTS vaudra par exemple 8 heures de cours de master dans une UE et 4 heures dans une autre. En revanche, les séminaires, stages, travail personnel de l’étudiant, préparation de projets, de mémoire sont encore souvent mal crédités.  

Taux de change variables

Ces cuisines internes, propres à chaque établissement, ne facilitent pas la reconnaissance réciproque des crédits venus d’autres horizons. Quelle valeur attribuer à 120 crédits d’une licence si les bases de calcul ne sont pas identiques ? Conséquence : si entre établissements européens, des conventions de partenariat régulent les échanges Erasmus, les poursuites d’études d’un établissement à l’autre en France exigent le plus souvent que les étudiants passent par une commission de validation des acquis. A elles de déterminer, de gré à gré, quelles sont les dispenses d’UE accordées et donc les ECTS réellement transférables dans la formation visée. Tout n’est pas rose non plus entre universités européennes. Selon une enquête de l’EUA (4), près de la moitié des établissements européens interrogés déclare que des étudiants ont eu des problèmes de reconnaissance de leurs ECTS acquis à l’étranger.  

Compensation de compétences ?

La compensation des notes entre semestres ou entre UE (unité d’enseignement) représente un autre point d’achoppement dans l’application des ECTS. Dans ce système, les ECTS attribués par UE obtenue (généralement avec une moyenne de 10 sur 20) peuvent être à leur tour compensés par d’autres. Une logique incompatible avec les principes de base des ECTS qui distinguent des compétences acquises. Or il est impossible de compenser des compétences par d’autres ! Des pratiques épinglées par la mission de l’IGAENR et qui ne sont pas l’apanage des seules universités. Les écoles d’ingénieurs par exemple font de la compensation entre modules dans des blocs d’enseignement. « Pour valider, il faudrait être bon partout, dans chaque module. Si les ECTS étaient appliqués correctement, le taux d’échec augmenterait donc les écoles regroupent leurs matières en blocs d’enseignement auxquels sont attribués une note globale, avec une compensation partielle », reconnaît Pierre Aliphat, président de la commission des formations à la conférence des grandes écoles (CGE). De quoi alimenter la méfiance vis-à-vis des diplômes venus d’ailleurs...      

(1) Système européen d’accumulation et de transfert de crédits.

(2) Bologna with Student Eyes, 2007.

(3) La Commission européenne indique que « la charge de travail d’un étudiant inscrit dans un programme d’études à plein temps en Europe étant, dans la plupart des cas, d’une durée d’environ 1500-1800 heures par an, la valeur d’un crédit représente dans ces cas environ 25 à 30 heures de travail. »

(4) Universities shaping the european higher education area, Association des universités européennes, 2007.

Fabienne Guimont | Publié le