Portrait d’université. Reims sort de sa coquille

Delphine Dauvergne Publié le
Portrait d’université. Reims sort de sa coquille
Les "corolles" ou "coquilles", symboles de l'université de Reims Champagne-Ardenne // ©  Delphine Dauvergne
Attention travaux ! L'université de Reims Champagne-Ardenne construit un nouveau campus pour regrouper ses sept sites rémois. L'établissement en profite pour repenser sa pédagogie et mieux s'inscrire dans un environnement, également en pleine recomposition avec l'avènement de la Comue Université de Champagne. Un chantier colossal en ces temps de disette budgétaire.

En arrivant sur le campus Croix-Rouge, dédié aux sciences humaines et sociales, le visiteur est immédiatement intrigué par les "corolles" ou "coquilles". Dans ce bâtiment à l'architecture particulière, construit dans les années 1970, chaque pétale correspond à un amphithéâtre. Intervenue il y a deux ans, la réhabilitation des six amphis a marqué la première étape de la construction d'un nouveau campus sur ce site.

En contrebas des amphis, on aperçoit la bibliothèque, verte, qui s'étend de tout son long, comme un paquebot arrimé à la pelouse. Le campus ne manque pas d'espace avec ses 250.000 m2. À gauche de la bibliothèque, les ouvriers s'affairent sur un bâtiment en construction. Bruits de perceuses, ordres criés, élévateur en mouvement... le chantier ne perturbe pas les étudiants qui vont et viennent, pressés par le froid de ce mois de janvier.

Un déménagement nécessaire

"Un premier bâtiment d'enseignement mutualisé, pour les formations en lettres, droit, sciences et économie, est en train de se construire. À terme le campus Croix-Rouge devrait rassembler 17.000 étudiants", annonce Thierry Duvaut, vice-président moyens, patrimoine et Grand Campus de l'université. Ce Grand Campus a pour objectif de regrouper sept sites universitaires, parmi lesquels l'IUT, l'Espé, l'école d ingénieurs ESI Reims, les services centraux mais surtout le deuxième campus, Moulin de la Housse, qui rassemble les disciplines scientifiques, et l'UFR de Staps.

"Le campus scientifique Moulin de la Housse date des années 1970. Le projet était à l'origine destiné à une université saharienne, il n'est donc pas du tout adapté. Les locaux se sont dégradés plus vite que prévu, ils sont tellement vétustes qu'ils ne pourront plus continuer à servir en 2020", explique Thierry Duvaut.

L'université avait deux choix : tout rénover ou reconstruire ailleurs. "Le projet du Grand Campus nous permettait d'obtenir des financements, contrairement à une réhabilitation coûteuse", justifie Thierry Duvaut.

Si les premiers bâtiments seront achevés dans deux ans, l'ensemble du projet ne pourra pas être terminé avant 2021 au mieux. (G. Baillat)

Un campus greffé sur le quartier

Le conseil d'administration de l'Urca a donc voté dès 2010 le déménagement de l'université vers le campus Croix-Rouge, situé à l'autre bout de la ville.

"Nous souhaitons réussir la greffe entre l'université et le quartier en créant un campus très ouvert, pas destiné seulement aux études", affirme Anne Gallois, directrice du projet Grand Campus. Cette ancienne responsable de l'urbanisme à la ville de Reims connaît bien ce quartier de 22.000 habitants réputé difficile. "Un important plan de rénovation urbaine est également en cours", souligne-t-elle. Le projet du Grand Campus a pour ambition d'"intensifier la vie urbaine du quartier, avec des interfaces comme la mutualisation d'équipements sportifs ou le développement de la restauration marchande".

Les étudiants du campus Moulin de la Housse ne partagent pas la vision "utopique" de la direction de l'université. "Ce sera trop concentré sur le campus Croix-Rouge, alors qu'ici nous bénéficions de plein d'espaces verts, et ils n'ont pas choisi le meilleur quartier...", critique Samuel, 22 ans, en L1 SVT.

Sa camarade de classe, Garance, est du même avis : "J'ai déjà fait l'expérience du réseau de tram lorsque j'étais en première année de médecine. Il fallait souvent attendre longtemps avant de pouvoir monter dans un tram, je ne vois pas comment ils vont faire pour véhiculer autant d'étudiants."

Anne Gallois a cependant déjà anticipé cette difficulté : "Il va falloir voir si on peut intensifier la ligne de tram et instaurer des horaires de cours décalés."

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Thierry Duvant, vice-président moyens, patrimoine et Grand Campus de l'université, souligne l'ambition du projet : construire une petite ville.

Thierry Duvaut imagine, lui, un campus "avec des services au rez-de-chaussée des bâtiments, comme une librairie, un atelier de réparation de vélos ou encore une crèche". Il admet que le projet est ambitieux : il s'agit de "construire une petite ville".

Les étudiants d'aujourd'hui ont toutefois peu de chances de profiter du Grand Campus... "Si les premiers bâtiments seront achevés dans deux ans, l'ensemble du projet ne pourra pas être terminé avant 2021 au mieux", estime Gilles Baillat, le président de l'université.

Des espaces de travail repensés

Pour la présidence de l'université, la construction de ce nouveau campus est une aubaine. "Nous allons profiter de ce regroupement pour repenser les liens entre formation et recherche, ainsi que l'organisation des composantes", explique Gilles Baillat. La plupart des salles des bâtiments seront ainsi standardisées et mutualisées entre toutes les UFR afin de permettre une meilleure gestion de leur occupation. Les laboratoires seront aussi rapprochés, pour pouvoir mieux travailler ensemble.

Les salles de cours seront modulables dans le but de favoriser l'innovation pédagogique. "Il est nécessaire de disposer d'un matériel adapté pour insuffler une pédagogie innovante. Nous allons donc commander du matériel facile à déplacer, des tables et des chaises plus adaptées au travail en groupe", annonce Olivier Perlot, vice-président en charge du numérique. Les chaises choisies ne seront pas seulement dotées de roulettes et de tablettes, elles seront également de couleurs différentes. Cela facilitera la constitution des groupes de travail. Ce mobilier sera testé dans trois salles de cours au printemps 2015.

Des espaces de travail destinés aux étudiants qui travaillent à plusieurs sur un projet seront disséminés sur tout le campus : les étudiants pourront les réserver à partir d'une appli sur leur smartphone.


Nous allons profiter de ce regroupement pour repenser les liens entre formation et recherche. (G. Baillat)

Vers un écocampus responsable

"On constate que de plus en plus de personnes utilisent leurs appareils personnels sur le campus, il faut donc qu'on dispose d'un réseau wifi efficace. Quant à multiplier les prises électriques, on se pose encore la question. On ne veut pas devenir un distributeur d'énergie, mais un campus responsable", argumente Olivier Perlot.

"Nous avons fait un bilan carbone et établi un schéma directeur de développement durable. Nous avons également embauché un économètre-énergéticien il y a un an pour qu'il nous aide à faire des économies d'énergie et qu'il sensibilise les personnels et les étudiants sur leurs usages", décrit Thierry Duvaut.

Expérimentation d'une nouvelle isolation thermique, distributeurs de boissons écoresponsables, zone maraîchère fournissant la restauration sur le campus, espaces de biodiversité entretenus par les étudiants, écomusée... Les idées ne manquent pas pour créer un campus écologique. "Le campus sera construit autour d'une coulée verte, qui s'étend des "corolles" jusqu'au parc Saint-John-Perse. Le site restera aéré, avec des patios verts à l'intérieur des bâtiments", prévoit Thierry Duvaut.

Un coût à la hauteur des ambitions

Pour l'instant chiffré à 222 millions d'euros, le budget de l'opération est en cours de bouclage. "Le CPER [contrat de plan État-Région] doit nous apporter 75 millions d'euros. S'y ajouteront plusieurs dizaines de millions d'euros provenant de collectivités, comme l'agglo de Reims", déclare Gilles Baillat. Le président espère aussi que le Fonds européen accordera 9 millions d'euros. Et une fondation, en cours de création, devrait récolter quelques fonds privés.

L'Urca compte également sur la valorisation du campus Moulin de la Housse. "Cela pourrait nous rapporter entre 30 et 40 millions d'euros, selon le pourcentage que s'octroiera France Domaine sur la vente", évalue Thierry Duvaut.

Mais cela ne sera pas suffisant. "Nous allons soit devoir emprunter – le ministère a donné son accord de principe –, soit réserver chaque année une somme dédiée dans notre budget. Cela pourrait représenter 3 millions d'euros par an sur dix ans", estime Gilles Baillat. S'engager dans l'avenir a un prix...

Delphine Dauvergne | Publié le