Prépas - universités : le mariage aura-t-il vraiment lieu ?

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Prépas - universités : le mariage aura-t-il vraiment lieu ?
Lycée Louis-le-Grand (Paris) // ©  Lycée Louis-le-Grand
Il reste moins d'un an aux universités et aux classes prépas pour devenir partenaires. Les conventions entre les facs et les lycées, instituées par la loi sur l’enseignement supérieur, devront être prêtes en 2015. Pourtant, plusieurs inconnues de taille persistent à la rentrée 2014, dont l’épineuse question des droits d’inscription que devront payer désormais les élèves de prépa.

Où en est "la" mesure de la loi sur l’enseignement supérieur visant à rapprocher universités et classes prépas ? L’obligation faite aux lycées disposant d’une CPGE (classe préparatoire aux grandes écoles) de conventionner avec un EPSCP (Établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel) doit être effective d'ici à la rentrée 2015. Tout élève de prépa devra alors être inscrit également à l’université, a indiqué la Dgesip (Direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle) lors d’une réunion de cadrage à la mi-octobre 2014.

Pourtant, à moins d'un an de l'échéance, le chantier demeure entier. "Le calendrier était un peu tendu", admet Gilles Roussel, président de l’Upem (université Paris-Est-Marne-la-Vallée), à la tête de la commission de la formation et insertion professionnelle de la CPU (Conférence des présidents d’université). Difficile, en un an, de choisir l’établissement partenaire et de se mettre d’accord sur les termes de la collaboration, mais, surtout, d’écrire une convention respectant un cadre juridique… en cours de définition !

Certaines vieilles rivalités demeurent, quelques jalousies aussi, ce qui rend parfois difficiles les rapprochements (M. Bouchaud)

Pour l'heure, il a été décidé que chaque établissement devra annoncer, au plus tard en décembre 2014, le partenaire avec lequel il compte conventionner. Cela sera en effet inscrit sur APB (Admission-postbac) dès la session 2015, qui débute en janvier. "Ensuite, ils rendront une déclinaison plus fine de leur convention en cours d'année prochaine", indique Gilles Roussel.

Lycée Louis-le-Grand (Paris) // © Lycée Louis-le-Grand

les rivalités parisiennes

Le choix du partenaire n'est pas partout évident. Dans les académies où il n'y a qu'une seule Comue (Communauté d'universités et d'établissements) ou université, les choses sont assez simples ; en Île-de-France, elles le sont déjà nettement moins.

"Certaines vieilles rivalités demeurent, quelques jalousies aussi, ce qui rend parfois difficiles les rapprochements", reconnaît Michel Bouchaud, proviseur du lycée Louis-le-Grand (Paris) et président de l'APLCPGE (Association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux grandes écoles). "Sans compter que les difficultés budgétaires ne facilitent pas l'instauration d'un climat de confiance."

Les recteurs, garants de l'égalité entre lycées

Concurrence oblige, certaines universités pourraient être tentées de proposer des avantages particuliers aux élèves des lycées très convoités. "Les lycées très prestigieux ne doivent pas avoir des conditions plus avantageuses pour leurs élèves que les lycées moins réputés", défend Sylvie Bonnet, présidente de l’UPS (Union des professeurs de classes préparatoires scientifiques). Charge aux recteurs de piloter les cadres des conventions. "Ils ont la consigne de faire respecter une homogénéité localement", souligne-t-elle. Et d'ajouter : "Le ministère veillera à ce qu'au sein d'une même région, les conventions aient un préambule commun."

Des avancements différents selon les disciplines

Selon la discipline aussi, l'avancement des discussions est très différent. Pour une grande partie des lycées proposant des prépas littéraires, les partenariats avec l'université existent depuis longtemps. Il s'agira alors de renégocier les conventions en cours pour les mettre en conformité avec l'article 18 de la loi sur l’enseignement supérieur. Mais ce n’est pas le cas pour un grand nombre de lycées proposant des voies commerciales ou scientifiques.

"Pour les classes scientifiques, c'est plus hétérogène, car beaucoup d'élèves intègrent des écoles d'ingénieurs à l'issue de leur prépa, donc il y a moins de conventions avec des universités, souligne Sylvie Bonnet. Et même depuis le vote de la loi instituant cette obligation il y a un an, "les choses ont très peu avancé dans les établissements où il n’y avait rien", reconnaît l’enseignante.

mieux reconnaitre la formation des CPGE

Malgré ces difficultés de mise en oeuvre, chacune des parties souligne l’intérêt de ces rapprochements. Pour Philippe Heudron, président de l'APHEC (l'association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales), la reconnaissance des parcours de formation des prépas est fondamentale, les conventions devant permettre de fluidifier la poursuite d’études des étudiants de CPGE à l’université, comme l’ont déjà fait de nombreuses classes littéraires.

Au prix de quelques ajustements. "Les enseignements suivis en prépa ne sont pas toujours exactement les mêmes. Il faudra que les universités prévoient des parcours adaptés afin qu’ils entrent directement en L2 ou en L3", préconise le professeur de mathématiques.

Le président d'université Gilles Roussel, quant à lui, y voit le moyen de toucher un autre public de lycéens. "Cela nous permettra de faire connaître la richesse des formations que l’université propose sur un territoire", explique-t-il. L’aspect financier, avec les nouveaux droits d’inscription à venir de la part des élèves de prépa, n’est que secondaire, juge l’enseignant-chercheur, les montants en jeu étant faibles au vu des budgets des universités.

UNIVERSITE MARNE-LA-VALLEE - Bois de l'étang

Université Paris-Est-Marne-la-Vallée - Bois de l'Étang. // ©UPEM

L’épineuse question des droits d’inscription en suspens

Pourtant, cette dimension financière n'a toujours pas trouvé de consensus. Si la loi prévoit que tout étudiant de prépa devra être inscrit à l'université et payer des droits d'inscription, rien n'est encore décidé sur la mise en œuvre de ce principe. Qui percevra ces droits : l’université ou le lycée ? Se dirige-t-on vers une règle nationale, ou du cas par cas selon les conventions ?

Seule certitude : ce sont les proviseurs qui devront s'assurer de la double inscription de leurs élèves de prépa dans l'établissement partenaire avant le 15 janvier de l'année scolaire en cours, a précisé la Dgesip.

Pour Gilles Roussel (Conférence des présidents d’université), il serait plus confortable pour les jeunes préparationnaires de régler cette somme directement à l'agent comptable de leur lycée. Lequel lycée reverserait ensuite la somme à l'EPSCP partenaire, en lui facturant au passage cette prestation.

Une rétrocession aux lycées ?

Reste à savoir si ce fonctionnement est envisageable juridiquement ; ce qu’étudie actuellement le ministère. Pour le président de l’APHEC, Philippe Heudron, cela ne tient pas : "Les lycées ne peuvent percevoir de frais d'inscription car les enseignements dispensés – qu'ils relèvent du secondaire ou du supérieur comme en CPGE ou en STS – sont gratuits".

Il propose la solution inverse, c'est-à-dire le versement des droits à l'université, à condition qu'une partie soit reversée au lycée. "Il est en effet hors de question que ces droits soient une manne pour les universités alors que les étudiants ne feraient pas partie de leurs effectifs réels", met-il en garde. "Le plus vraisemblable serait d'inscrire dans chaque convention la manière dont l’université, qui percevra ces droits, va en rétrocéder une partie aux lycées."

Il faudra un cadre souple, laissant émerger les bonnes pratiques, et surtout ne pas lister en amont l'ensemble des choses qu'on doit faire absolument (P.Heudron)

Quid des rapprochements pédagogiques ?

La question des "rapprochements pédagogiques" à venir entre prépas et universités semble, elle, plus consensuelle. En ces temps de contraintes budgétaires, ce sont principalement des mutualisations qui se profilent, avec des échanges de professeurs et d’étudiants. "Le système généralisé de conventionnement doit se faire à moyens constants", a prévenu (en avril 2014) Jean-Michel Jolion, alors responsable du service de la stratégie de l'enseignement supérieur à la Dgesip.

Mais cela risque d’être plus compliqué chez les scientifiques, prévient Sylvie Bonnet (UPS). "Dans certaines disciplines, comme l’informatique, les prépas manquent d’enseignants, tout comme l’université", confie-t-elle. Les filières scientifiques pourraient néanmoins trouver un terrain d’échange fertile dans les laboratoires universitaires. Au lycée Victor-Hugo à Besançon, où Sylvie Bonnet enseigne les mathématiques, des professeurs d'université assistent déjà aux jurys des oraux de TIPE (travaux d'initiative personnelle encadrés) et aux conseils de classe de fin d'année pour valider les candidatures des élèves de prépa souhaitant rejoindre la fac.

Quoi qu’il en soit, pour Philippe Heudron (APHEC), "il faudra un cadre souple, laissant émerger les bonnes pratiques, et surtout ne pas lister en amont l'ensemble des choses qu'on doit faire absolument".

C’est donc d’un doigté bien particulier dont devra faire preuve le ministère pour unir lycées et universités, tout en veillant à échapper au risque des coquilles vides.

Aller plus loin
- Les biographies de Gilles Roussel, Sylvie Bonnet, Jean-Michel Jolion.

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