Domenico Lenarduzzi (fondateur d'Erasmus) : “L’Europe ne pouvait se réaliser qu’en mobilisant sa jeunesse”

Danièle Licata Publié le
De 85 millions d'écus en 1987-1989 lors de sa création, le budget du programme Erasmus, désormais rebaptisé Erasmus+, atteint près de 15 milliards d'euros pour la période 2014-2020. Cette année, la France va recevoir une dotation de 120 millions d'euros qui devrait bénéficier à 30.000 jeunes. Mais cette popularité ne doit pas faire oublier qu'à l'origine, il s'agissait d'un véritable challenge, comme le rappelle le fondateur d'Erasmus, Domenico Lenarduzzi.

Vous êtes le père-fondateur d'Erasmus. En vingt-sept ans, 3 millions d'étudiants ont pu participer, grâce à ce programme, à des échanges universitaires. Aviez-vous anticipé un tel succès ?

J'ai toujours été convaincu que l'Europe ne pourrait se réaliser qu'en mobilisant sa jeunesse. Sa construction n'a pas été un long fleuve tranquille, mais d'un point de vue économique et politique, elle était à ce moment-là plutôt une belle réussite. Mais ces victoires ne suffisaient pas à créer cet esprit d'appartenance indispensable à la création d'une Europe forte et solidaire. Or, dans les années 1980, les citoyens français, belges, espagnols ou italiens ne se sentaient pas concernés par ce chantier monumental. Reste que nous étions persuadés que sans mouvement citoyen, il ne pouvait pas y avoir d'Europe. Le défi a été de mobiliser ces jeunes de l'Europe tout entière.

Comment avez-vous réussi à construire ce programme ambitieux ?

Très vite, le poids de la jeunesse a été plus fort que celui des États membres qui y étaient particulièrement hostiles. Tout comme les universités d'ailleurs. C'était à qui vantait la valeur de ses diplômes, en signifiant au passage que les équivalences étaient impossibles. Vous imaginez qu'il a fallu tout un travail de persuasion pour pouvoir lentement faire démarrer cette initiative. Mais petit à petit, surtout au niveau des États, il y a eu une prise de conscience : au-delà de la possibilité d'apprendre, de pratiquer une autre langue et d'appréhender une autre culture, le programme permettait de réunir les peuples. Il nous a fallu trois ans pour créer Erasmus, seulement trois ans finalement.

Plus concrètement, il a fallu adapter la législation dans tous les pays pour faciliter la reconnaissance des diplômes et convaincre les universités de coopérer. Un chantier titanesque, parce qu'il n'y a pas plus conservateur que le corps enseignant. En œuvrant de pays en pays, d'université en université et de politique en politique, en 1987, 2.500 étudiants des 9 pays membres à l'époque ont bénéficié du programme. La révolution était en marche. En 1990, déjà 10.000 jeunes avaient voyagé et bon nombre d'enseignants traversaient l'Europe pour enseigner. C'est comme ça que la Commission européenne est devenue le plus grand organisme matrimonial du monde !

Au départ, chaque université vantait la valeur de ses diplômes, en signifiant au passage que les équivalences étaient impossibles

Si le programme Erasmus n'avait pas été créé, pensez-vous que les échanges entre universités auraient été si faciles ?

Pas vraiment. Mais encore une fois, la machine est en marche et on ne peut plus reculer. Même si la Commission cessait d'attribuer des bourses, les jeunes trouveraient d'autres moyens financiers pour partir. Et n'oublions pas que, désormais, la réputation d'une université repose aussi sur sa capacité à envoyer ses élèves découvrir d'autres horizons.

Pensez-vous que l'agenda "Europe 2020" va contribuer à donner des bases juridiques suffisantes pour réaliser une Europe de l'éducation ?

Il est urgent de reconnaître les différences. Établir un programme unique d'éducation en Europe n'aurait aucun sens. Chaque pays a son histoire, sa civilisation, ses modes d'éducation.

Et celle-ci a aujourd'hui un rôle bien plus important qu'il y a trente ans. Nous ne sommes plus dans une société industrielle mais une société de la connaissance. Et la connaissance passe par l'éducation.

Quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui hésitent encore ?

Un seul : partez sans vous poser de questions.

Danièle Licata | Publié le