Guy Chapouillié, ancien directeur de l'ESAV (École supérieure d'audiovisuel) de Toulouse : « Avec l'ESAV, j'ai créé l'école que j'aurais souhaité avoir étant jeune »

Propos recueillis par Mathieu Oui Publié le
Fondateur et ancien directeur de l'ESAV (École supérieure d'audiovisuel) de Toulouse-Le Mirail,  l'une des premières écoles de cinéma en régions, Guy Chapouillié revient sur son parcours atypique. « Hanté » dès l'adolescence par le septième art, il n'a eu de cesse de militer en faveur de sa transmission tout au long de sa carrière. Fin janvier, le professeur des universités a passé la direction à un ancien élève pour se consacrer désormais à ses activités de recherche et de mise en scène. Nouveau volet de notre série « Les entrepreneurs pédagogiques ».

Toute votre carrière universitaire est guidée par votre amour du cinéma. Pourtant, vous commencez par des études d'agronomie. Comment le lien s'est-il fait ?

J'ai un parcours atypique, c'est vrai. Venant du Lot-et-Garonne et d'origine modeste, j'ai toujours été rongé par cette envie de faire du cinéma. Je voyais cinq films par semaine et je m'occupais d'un ciné-club où j'organisais des débats. Mais, dans ma région, il n'était pas possible de se former dans ce domaine. Après des études au lycée d'Agen, je me suis donc orienté en lycée agricole où j'ai suivi une spécialité laitière. Ensuite, j'ai dirigé pendant cinq ans une coopérative laitière à Brive, comme directeur technique.

Le déclic arrive des événements de 1968. Que se passe-t-il alors ?

J'étais encore à Brive, mais j'ai alors senti que tout s'ouvrait et qu'il y avait énormément de possibilités. J'ai décidé de reprendre mes études à Paris et de m'inscrire à une année de spécialisation à l'Institut agronomique. En parallèle, j'ai suivi des cours du soir de cinéma au CLCF [Conservatoire libre du cinéma français], et j'ai commencé à avoir des petits boulots d'assistant sur des plateaux télé à l'ORTF, aux Buttes-Chaumont. Et puis un ami de Brive m'a parlé du centre expérimental du cinéma de Paris 8-Vincennes. J'ai été coopté d'abord comme assistant, puis comme enseignant. En 1973, je suis devenu chargé de cours à temps complet. Tout s'est très vite emballé.

En 1978, le conseil d'administration de l'université Toulouse-Le Mirail vous invite à présider un groupe de travail sur l'ouverture d'un enseignement en audiovisuel, qui va devenir l'ESAV. Racontez-nous la genèse de l'école.

Au bout de quelques années, j'avais envie de rentrer chez moi, Paris me pesait et je n'avais plus tellement le temps de réaliser des films. Et j'avais ce désir de mettre en place une formation en cinéma dans le Sud, un enseignement tel que j'aurais aimé le rencontrer durant ma jeunesse. Dès 1977, j'ai donc ouvert un atelier 16 mm dans le cadre du centre culturel de l'université de Toulouse-Le Mirail. J'étais alors un « prof turbo » entre Paris et Toulouse, très aimanté par le Sud. J'ai bénéficié de l'accueil très favorable du président de l'époque, Bartholomé Bennassar. Je sentais à la fois un terrain très fertile et une convergence d'intérêts entre mon projet et les responsables universitaires qui souhaitaient du changement. Cette école d'audiovisuel était par exemple l'occasion de sortir du replis disciplinaire. Le champ audiovisuel est par exemple interdisciplinaire. Le succès de l'atelier 16 nous a conduits à créer l'ESAV en 1979, en commençant avec un nombre limité d'étudiants.

Comment se sont déroulés les débuts du cursus ?

Je suis parti de rien ou presque. Au départ, j'étais un peu l'homme-orchestre, assurant à la fois les cours d'esthétique et d'optique. Il a fallu se battre, mais pas trop. Le soutien des présidents successifs nous a permis de constituer une équipe, des maîtres de conférences recrutés sur titre ou issus du métier. Le ministère nous a également accordé une aide spécifique d'innovation pédagogique, l'équivalent de 600 heures d'enseignement, ce qui n'était pas rien ! Et puis, petit à petit, nous avons formé nos propres enseignants. Le directeur actuel, Jean-Louis Dufour, qui vient de prendre ma suite, est un ancien élève qui a monté sa propre société de production.

Les collectivités locales vous ont-elles soutenu ?

Le département nous a aidés très tôt. Le conseil général nous a soutenus dans notre projet de nous ouvrir chaque année aux écoles internationales de cinéma. Depuis 1983, nous organisons des rencontres internationales de l'enseignement du cinéma afin de ne pas rester seuls dans notre coin. Une dizaine d'établissements venus de New York, de Moscou ou du Japon participent à cette « Corrida audiovisuelle ». Ces échanges, organisés dans le cadre du CILECT (1), nous permettent de rectifier le tir sur notre formation ou d'en vérifier la qualité. Quant à la région Midi-Pyrénées, elle a également joué un rôle majeur dans les années 1980. L'école était en pleine expansion et nous nous sommes retrouvés à l'étroit dans nos bâtiments. Elle nous a invités à nous installer au lycée des Arènes, puis, le dossier n'ayant pas abouti, le conseil régional a proposé un bâtiment classé dans le centre de Toulouse. En 2003, l'école a emménagé dans cet immeuble de 4.000 m2 situé non loin de la cinémathèque. Il comprend des studios, une salle de cinéma, un plateau de décors, une salle de montage. Ce relogement s'est réalisé dans le cadre du contrat État-région, lors du plan Universités 2000.

Quelles ont été les principales difficultés rencontrées ?

La constitution d'une école article 33, indépendante au sein de l'université, était nécessaire notamment pour pouvoir sélectionner nos étudiants sur concours. Mais ce statut a suscité des jalousies, il nous a été reproché d'être trop riches ou de dépenser trop d'argent. Aujourd'hui, le danger qui nous guette est la trop forte expansion de l'école. Le lieu est prévu pour accueillir 160 étudiants, alors que l'école en compte 250, ce qui n'est pas possible. On risque d'y perdre en qualité d'enseignement.  Peut-être faut-il envisager de se recentrer sur le cursus audiovisuel pour gagner en visibilité, et transférer certaines filières qui relèvent plus de la communication ou des arts du spectacle vers ces départements ?

Comment définiriez-vous la pédagogie de l'école ?

La grande idée, découverte lors de mes années à Paris 8-Vincennes, est que penser le cinéma, c'est d'abord en faire. Il me semble que construire un film, c'est se construire soi-même, en bricolant, en tâtonnant, en expérimentant. C'est pourquoi à l'ESAV, il n'y a pas de devoirs sur table, mais sur table de montage. Dès la deuxième année, les étudiants ont la possibilité de faire des films de commande pour des entreprises. Chaque année, nous avons des dizaines d'étudiants en stage rémunéré pour réaliser des films pour Airbus Industrie, la Dépêche du Midi ou encore le conseil général de l'Ariège.

Autre originalité du cursus, l'évaluation publique des travaux des élèves...

Cette idée m'est venue de mon passage à l'Agro où les travaux des étudiants étaient discutés de façon collective, les enseignants devant argumenter leur évaluation. De même, les étudiants de l'ESAV présentent leurs films devant les autres étudiants et les enseignants, ces derniers devant exprimer publiquement leurs commentaires et répondre aux questions. Cette évaluation publique oblige les étudiants à réfléchir et à innover. L'important dans la formation, outre la capacité de savoir réaliser des films, est de savoir se remettre en question.

En quoi votre expérience initiale en entreprise vous a-t-elle été utile par la suite ?

Elle m'a apporté beaucoup de sérénité pour gérer les relations humaines. Devoir défendre les intérêts et les conditions de travail de 1.200 producteurs laitiers vous donne une forte expérience en la matière.  Cela m'a permis de supporter les affrontements sérieux quand j'étais en poste à Paris 8. On apprend aussi à prendre de la distance face aux plaintes des uns et des autres.

Propos recueillis par Mathieu Oui


(1)  Le Centre international de liaison des écoles de cinéma et de télévision regroupe plus d'une centaine d'universités et grandes écoles spécialisées en audiovisuel dans le monde.



Un homme-orchestre

Né en 1948 à Casteljaloux, le fondateur de l'ESAV cumule les casquettes. À son actif, une vingtaine de courts et long métrages, dont plusieurs consacrés à l'agriculture et au monde rural. Enfin, il a été à plusieurs reprises sollicité en qualité d'expert, en France et à l'étranger, pour l'évaluation et la création de formations en audiovisuel. Spécialiste de Marcel Pagnol et de Jean-Daniel Pollet, Guy Chapouillié dirige le laboratoire de recherche en audiovisuel (LARA) de Toulouse-Le Mirail.

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