Odile Decq, directeur général de l’ESA: «Replaçons l’homme au coeur de l’enseignement de l’architecture»

Propos recueillis par Mathieu Oui Publié le
Odile Decq, directeur général de l’ESA: «Replaçons l’homme au coeur de l’enseignement de l’architecture»
© Albano Guatti // © 
A l’occasion du colloque « Architecture et Education » organisé le 7 mai 2010 à l’école spéciale d’architecture (ESA), Educpros à rencontré Odile Decq, qui dirige depuis 2007 LA seule école privée en France. Une parole libre et à contre-courant.

Pour la seconde année consécutive, l’école spéciale d’architecture (ESA) organise le 7 mai un colloque sur l’enseignement de l’architecture avec la participation de directeurs d’écoles étrangères. Pourquoi ce sujet vous tient-il à cœur ?

Je pense que cet enseignement en France n’est pas au point.  Ayant exercé et enseigné souvent à l’étranger, je connais bien ce sujet d’un point de vue international. Les écoles françaises restent trop hexagonales et ne cherchent pas à se mettre au niveau international. Car l’avenir professionnel des étudiants n’est pas nécessairement en France mais partout dans le monde. Ce colloque a été initié par Peter Cook, ancien directeur de la Bartlett school of architecture à Londres qui est un ami et qui a choisi la thématique du colloque, ciblée sur la transmission du métier. Y participeront six directeurs d’écoles ayant en parallèle une activité professionnelle forte et qui ont marqué leur établissement. Peter Cook a fait de la Bartlett, l’école où courent tous les étudiants du monde entier. C’est un enseignement très libre, ou les étudiants sont poussés à inventer en permanence. Il y aura aussi Bernard Tschumi qui a dirigé pendant quatorze ans l’école de Columbia University à New-York et qui est devenue une référence dans le monde. C’est lui qui a initié le «Paper less studio », c’est-à-dire l’enseignement sans papier, uniquement par l’écran informatique. Depuis, on est un peu revenu de cette tendance, mais à l’époque où il était dean de la Columbia, entre 1988 et 2003, tout le monde voulait venir étudier.

Plus précisément, quel est le problème des écoles françaises?
Il me semble que les enseignants se posent trop la question de former des professionnels de l’architecture. J’ai conscience que cela peut sembler bizarre de dire ça ! Mais pour faire un bon architecte, il faut une formation intellectuelle qui le pousse à chercher sans cesse, à se questionner en permanence… pour se positionner comme auteur. C’est l’inverse d’une formation professionnelle comme peut l’être celle des écoles d’ingénieurs. Il s’agit de pouvoir se remettre en question toute sa vie et d’être constamment en position critique. Cette règle est la condition et la contrainte pour faire avancer l’architecture. D’autre part, le problème des écoles d’architecture rejoint celui des écoles au sein des universités à l’étranger. C’est la pesanteur d’un système lié à des habitudes, des hiérarchies ou la défense de pré-carrés… autant de choses que nous n’avons pas à l’ESA.

Justement, en quoi cette école est spéciale ?
Je pense que cela vient notamment de son caractère associatif qui lui donne une flexibilité sans pareil. L’école a été créée en 1864 par Viollet-le-duc, en réaction à l’académisme des Beaux-arts qui était alors en charge de la formation en architecture. Depuis, elle a toujours suivi cette position de résistance. En 1968, l’association a évolué vers un modèle d’autogestion. Aujourd’hui, le fonctionnement collégial est une réalité. Dans le conseil d’administration comme dans l’assemblée générale, les étudiants et les enseignants sont représentés à part égale. Les étudiants se font entendre et interviennent régulièrement. Au plan de la pédagogie, c’est la seule école qui positionne l’architecte comme un auteur. Nous avons des cours d’art contemporains par des enseignants artistes en premier cycle. Autre spécificité : l’international. L’ESA compte 30 % d’étudiants étrangers et 120 étudiants en mobilité internationale chaque année, qui bénéficient d’accords d’échanges avec une quarantaine d’écoles étrangères.

Le fait d’être une école privée, les frais de scolarité sont de 4 000 € le semestre, ne limite-t-il pas un peu le profil des étudiants ?
Oui et non. Il est vrai que les étudiants doivent payer leurs études. Mais leur situation financière peut changer en cours de cursus. Certains se retrouvent dans une précarité incroyable à la suite d’un événement personnel et doivent s’endetter pour financer la suite de leurs études. Mais à mon arrivée à la direction de l’école, j’ai créé des bourses en faisant appel à des donateurs.  Nous proposons dix bourses d’études par semestre, soit vingt par an.  Au final, l’école fonctionne essentiellement grâce aux frais de scolarité. Nous bénéficions d’une petite subvention du Ministère de l’enseignement supérieur qui représente 3% du budget.

Vous êtes l’un des rares directeurs d’école en France à exercer une activité professionnelle en parallèle. En quoi cette double casquette est intéressante pour l’école ?
Comme j’ai toujours beaucoup voyagé et fait des conférences dans le monde, j’ai mis mon réseau international au profit de l’école, par exemple en invitant des confrères comme «visiting professor » ou en organisant ce colloque. J’ai à cœur de positionner l’ESA dans le réseau des plus grands établissements internationaux. Cette activité professionnelle me permet également de positionner l’école quant aux besoins de la profession. Prenons l’exemple du développement durable. Dans les écoles, il est généralement abordé sous l’angle de la réglementation alors qu’il me semble que c’est une question d’environnement, à traiter de façon plus large. Réfléchir sur l’environnement d’un bâtiment consiste à travailler sur la question de son enveloppe, des échanges entre l’intérieur et l’extérieur. Pour une école, cela signifie croiser des enseignements en climatologie, thermique, ambiance intérieure, anthropologie, sociologie… Il faut replacer l’homme comme point central de l’architecture. La forme ou la technique doivent, quant à elles, rester à son service.

Une carrière internationale
Née en 1955, Odile Decq est diplômée de l’école d’architecture de la Villette et titulaire d’un DESS d’urbanisme de sciences-po.  Professeur invitée de l‘ESA depuis 1992, elle en prend la direction en 2007. Elle a par ailleurs enseigné comme visiting professor à Londres, New-York, Vienne, Dusseldorf. Elle a été récompensée de plusieurs prix pour son activité professionnelle (Lion d’or en 1996 à la biennale de Venise). Parmi ses réalisations  en France et à l’étranger, elle vient de signer la rénovation du musée d’art contemporain de Rome, le MACRO.

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