La recherche française en management pèse-t-elle (enfin !) dans l’"academic game" ?

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La recherche française en management pèse-t-elle (enfin !) dans l’"academic game" ?
Enseignants-chercheurs et doctorants lors de la cérémonie de remise des diplômes de Sorbonne universités (mai 2011) // ©  Camille Stromboni
Sur le site de "The Conversation France", Jean-Philippe Denis, professeur en sciences de gestion à l'université Paris-Sud, questionne les stratégies mises en place pour faire exister la recherche française à l'international, notamment en sciences du management. Il évoque en particulier la stratégie du mimétisme, avec l'encouragement de la publication en anglais dans des revues anglophones.

"Parmi les innombrables tabous qui caractérisent les mondes économiques, politiques, médiatiques et académiques français, il en est un particulièrement structurant et inavouable : quels sont les résultats des choix qui ont gouverné les stratégies pour faire exister la recherche française 'à l'international' depuis quinze ans ? Et comme tout un chacun préfère évaluer plutôt que de l'être, demander des comptes plutôt que d'en rendre, il y a fort à parier que ce tabou continue à faire montre d'une belle résistance...

Le dernier classement en date, celui du Times Higher Education en partenariat avec Elsevier, confirme ce que tous les autres classements démontrent, les uns après les autres : les universités françaises sont mal classées. Ceci autorise donc à poser la question : après tant et tant de classements, justifiant tant et tant d'efforts humains et financiers, les stratégies passées pour faire exister la recherche française à l'international auraient-ils purement et simplement failli ?

On ne se prononcera pas sur des disciplines auxquelles on ne connaît rien. Et on traitera ici simplement de celle que l'on connaît le mieux : les sciences du management, domaine sur lequel Harvard Business School trône partout en tête. Et on pose donc la question : quelle a été la stratégie pour faire exister, en ce domaine, la recherche française et avec quels résultats ?

La stratégie d'abord. Pour assurer la compétitivité de la recherche française sur la scène internationale – lesquels ont légitimé avec une régularité de métronome les financements (notamment publics) associés, le choix majeur a été celui du mimétisme.

Sur fond d'injonction au "publish or perish" importé du monde anglo-saxon, et puisque toute recherche scientifique n'est réputée valoir que ce que vaut la qualité du support dans lequel elle est publiée, alors il fallait toujours davantage publier "à l'international". Les meilleures "revues" étant par définition anglo-saxonnes, la boucle – pour ne pas dire la bulle – est bouclée.

Le complexe du "corn flakes"

Ce choix de la rivalité mimétique a été lourd de conséquences. Renoncer à écrire dans leur langue est ainsi devenu un prérequis pour les chercheurs. Il fallait ensuite, pour espérer avoir un jour accès aux meilleures places dans les meilleurs carrés VIP de l'"academic game", se conformer aux "best practices" : courir les congrès internationaux plutôt que francophones pour faire connaître ses travaux et espérer attirer l'oeil d'un "editor" ; écrire évidemment de plus en plus en mode SVC (sujet-verbe-complément) puisque sinon "on-y-comprend-rien-à-ce-jargon-so-frenchy" ; enfin avoir plutôt des méthodologies si possible quantitatives parce que sinon ça ne fait quand même pas très sérieux...

Cette stratégie a été aussi alimentée au plus haut niveau, notamment celui du CNRS. La liste des revues de la section 37 dite « économie-gestion » du CNRS fait ainsi aujourd'hui figure de bible et les agences d'évaluation de la recherche scientifique s'y réfèrent mécaniquement : pratique, pour évaluer il n'y a plus qu'à compter.

Cette stratégie a conduit à des investissements massifs et à une inflation proprement délirante des coûts de production des articles. Elle aura aussi indéniablement contribué à alimenter un syndrome de Stockholm dont les chercheurs sont par nature des proies aisées : il n'est déjà pas simple d'être évalué par ses pairs, alors si en plus il faut présenter ses papiers, les soumettre et répondre aux critiques "in English"...

Mais cette stratégie a aussi stimulé le bon vieux complexe du « corn flakes » – pour reprendre le titre de la chanson célèbre de Matthieu Chedid... En d'autres termes, non seulement publier en anglais c'est mieux, mais continuer à vouloir chercher et écrire en français ce n'est définitivement pas « in », pour ne pas dire vraiment naze. Ça ne mérite donc pas de reconnaissance particulière. Ni de bonnes notes. Ni a fortiori d'étoiles. In fine, ni de financements."

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