"Qui veut vraiment en finir avec le bac ?", la chronique d'Emmanuel Davidenkoff

Emmanuel Davidenkoff Publié le
Les détracteurs du bac peuvent s’époumoner : le gouvernement y regardera à deux fois avant de prendre le risque de mettre les jeunes dans la rue. Cette chronique a été publiée par l'Echo Républicain.

Les pamphlets habilement troussés pourront se succéder, les chiffrages à l’euro prêt se multiplier, les critiques mezzo voce s’amonceler, rien n’y fera : le jour où un ministre s’attaquera réellement au bac n’est pas encore arrivé.

Les motifs de réforme sont pourtant nombreux. Pêle-mêle : le bac, en tout cas général, serait devenu une passoire avec ses 85% de réussite (sous-entendu : le niveau baisse) ; il ne servirait pas à grand-chose pour s’orienter dans le supérieur puisque tout est désormais décidé avant même le début des épreuves via la procédure APB (admission postbac) ; il coûterait cher (40 millions selon le ministère, plus d’un milliard selon le syndicat majoritaire de proviseurs) ; il serait d’une complexité effroyable avec toutes ses options ; il serait inutilement chargé (trois matières par bac suffisent à prédire 90% de la réussite, pourquoi en faire passer plus), etc.

Mettons que ces arguments soient fondés, alors pourquoi, à chaque frémissement de réforme du bac général, les lycéens se mobilisent-ils ? François Fillon avait failli y laisser sa loi d’orientation en 2005, pour avoir prétendu augmenter la part de contrôle continu. Xavier Darcos y avait laissé sa réforme du lycée puis son poste, alors même qu’il avait résolument évité de toucher au bac, quand, fin 2007, les premières flammèches de révolte lycéenne furent interprétés par l’Elysée comme de possibles signes avant-coureurs d’une révolte "à la grecque" (la jeunesse hellène étant alors en plein soulèvement).
Transmise de génération de cabinet ministériel en génération de cabinet ministériel, depuis qu’elle a été popularisée par Christian Forestier, une formule suffit à doucher l’ardeur des plus hardis : "Les lycéens, c’est comme le dentifrice : ça sort vite et après essayez toujours de le remettre dans le tube… ".
Le seul bac auquel l’Education nationale a touché, et de quelle manière, est le bac pro, dont la récente réforme (passage de quatre à trois ans) est possiblement une des plus structurantes pour la jeunesse et le système éducatif – pour son salut, elle s’est déroulée loin des plumes acérées des bretteurs parisiens, qui abaissent rarement leur talent à débattre de formations plus manuelles qu’intellectuelles.

La réforme du bac pro est possiblement une des plus structurantes pour la jeunesse et le système éducatif

Reformulons la question : pourquoi aucun ministre, aucun gouvernement, ne parvient à tisser avec la jeunesse un lien de confiance suffisamment robuste pour oser une réforme dont chacun pense en outre qu’elle se ferait, probablement, dans l’intérêt des élèves, du moins si elle parvenait à résoudre quelques-unes des avanies susmentionnées ? Et pourquoi faut-il que les lycéens fassent du bac le symbole indépassable de l’égalité républicaine, alors qu’il est, en l’état, un des instruments de sélection les plus hypocrites qui soit puisque le même bac est loin de donner les mêmes droits à tous les élèves ? Sans un travail préalable sur le sens et les valeurs, sans une politique pour la jeunesse qui prouve aux premiers concernés que l’Etat se soucie effectivement de leur sort, le bac continuera à tétaniser les ministres et à résister aux coups de boutoir annuels de ses contempteurs.

Emmanuel Davidenkoff | Publié le