Financement des universités : pour des frais d'inscription plus élevés mais différés

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Financement des universités : pour des frais d'inscription plus élevés mais différés
Université Pierre-et-Marie-Curie (septembre 2012) Les nouveaux étudiants font la queue pour valider leurs inscriptions. // ©  Camille Stromboni
Dans le dernier numéro de la revue "Regards croisés sur l'économie" consacré à l'université, les économistes Robert Gary-Bobo, chercheur au Crest , et Alain Trannoy, directeur d'études à l'EHESS, reviennent sur la crise du financement des universités françaises et explorent deux solutions n’obéissant pas "à la même philosophie politique" : l'une, étatiste et égalitaire, avec  la "redevance universitaire", l'impôt sur le revenu des anciens étudiants, l'autre libérale, avec le prêt à remboursement contingent.

"Si l'on met à part le financement des programmes d'investissements d'avenir, qui est une opération exceptionnelle, l'université française est exsangue et les incantations réclamant un accroissement des concours de l'État risquent de déboucher sur de graves désillusions. Le quinquennat en cours en est la parfaite illustration.

En dépit des bonnes volontés, la représentation nationale n'est plus en mesure d'accroître les moyens dévolus à l'enseignement supérieur d'une manière conséquente et le monde universitaire ne peut espérer au mieux que la sanctuarisation du budget actuel, exprimé en pourcentage du Produit intérieur brut. [...]

Cela arrive au moment où l'université est confrontée à la croissance du nombre d'étudiants, aux défis de la mondialisation dans le champ de la recherche et de l'enseignement, avec une concurrence de plus en plus vive entre établissements. Ces défis ne peuvent pas être relevés sans une augmentation des moyens.

L'université française n'est déjà plus en mesure de jouer les premiers rôles dans de nombreux domaines et le décrochage risque de devenir irrémédiable à l'avenir. C'est en tout cas la situation que perçoivent les jeunes chercheurs, formés en France, et qui envisagent de faire carrière à l'étranger. Il faut absolument renverser la vapeur.

Où trouver des moyens supplémentaires ?

Les moyens supplémentaires requis ne pourront pas venir des collectivités locales, qui font face à une diminution sans précédent des concours de l'État. Dans une période certes très difficile pour l'économie française, l'expérience des fondations universitaires montre qu'elles ne joueront qu'un rôle d'appoint pour le financement de certaines recherches ou pour la formation permanente.

Nombre d'entreprises, de toute évidence, regardent encore l'université avec méfiance : elles attendent peut-être des changements de structure avant de faire mouvement et de décider de contributions éventuelles ; la collaboration avec les écoles, petites ou grandes leur semble plus naturelle.

Enfin, le relèvement des droits d'inscription demandés aux étudiants d'origine extra-communautaire risque aussi d'être un faux espoir, car un grand nombre de ces étudiants viennent de pays pauvres, et ils viennent chez nous parce que l'enseignement supérieur y est quasi-gratuit.

des droits d'inscription à 1.000 euros

Le seul groupe qui n'a pas été sollicité d'une façon importante est celui des familles. Nous proposons d'augmenter la contribution des ménages en prenant en compte une exigence d'équité. Les étudiants et leurs parents peuvent en effet supporter une certaine augmentation des droits d'inscription. Nous sommes en faveur d'un relèvement modeste de ces droits, de l'ordre de 1.000 euros par année d'études pour les étudiants non boursiers, soit environ 65% des inscrits à l'université.

Étudier jusqu'au master favorise une augmentation des revenus de 30% à 40% par rapport au salaire médian en moyenne

Les universités françaises resteraient parmi les moins chères du monde, et 1.000 euros par an ne représentent que 10% du coût des études. La poursuite des études jusqu'au master coûterait donc 5.000 euros, qui doivent être mis en rapport avec le rendement de ces études : une augmentation des revenus de 30% à 40% par rapport au salaire médian en moyenne, qui se répercute sur tout le cycle de vie du diplômé.

La perception de ces droits ferait entrer 1 milliard d'euros de plus dans l'escarcelle des seules universités françaises et représenterait une fantastique bouffée d'oxygène. Mais l'originalité de nos propositions ne réside pas dans ce constat ; elle se trouve dans le financement proposé pour ce relèvement des droits.

Un prêt auprès de la CDC

Nous proposons deux formules, équivalentes par bien des aspects, et qui permettent de repousser à plus tard le paiement réel de ces droits d'inscription pour les étudiants. En d'autres termes, les étudiants ou leurs parents n'auraient pas à décaisser eux-mêmes les 1.000 euros par an pendant leurs études, tandis que les universités verraient leurs recettes gonfler immédiatement du produit de ces droits d'inscription. 

Utilisons-la donc aussi comme intermédiaire entre l'étudiant et l'université à l'occasion de l'instauration de véritables droits d'inscription


Ces 1.000 euros seraient avancés par un intermédiaire financier, qui pourrait être la Caisse des dépôts et consignations. Nous avons la chance d'avoir une grande banque publique qui peut emprunter sur le marché international des capitaux — une institution que le monde entier nous envie depuis la crise de 2008.

La Caisse des cépôts finance le logement social, la transition énergétique ; elle sert de relais dans le financement du Plan Campus. Utilisons-la donc aussi comme intermédiaire entre l'étudiant et l'université à l'occasion de l'instauration de véritables droits d'inscription.

COMMENT REMBOURSER ?

Après la période agréable des études, vient le moment désagréable du remboursement. Mais il faut reconnaître que c'est le remboursement d'une somme assez modeste : 5.000 euros pour un master, c'est moins qu'une voiture d'occasion. Trois questions se posent alors : la période de remboursement ; les modalités de remboursement ; le caractère obligatoire ou la liberté laissée à l'étudiant de souscrire ou non ce prêt.

Le remboursement sera donc contingent au revenu, obligatoire pendant les années où les revenus de l'ex-étudiant dépasseront ce seuil

La période de remboursement coïncidera avec le début de la vie active, mais si la dette doit être étalée en raison de difficultés, elle ne s'éteindrait qu'au moment de la retraite — à discuter. Les annuités de remboursement ne seront prélevées que si l'étudiant a trouvé un travail suffisamment rémunérateur. Le salaire médian peut constituer un seuil de référence possible.

Le remboursement sera donc contingent au revenu, obligatoire pendant les années où les revenus de l'ex-étudiant dépasseront ce seuil. La réponse à la question de savoir si l'étudiant non boursier pourrait payer ses droits mais renoncer au prêt distingue deux systèmes envisageables. Si l'étudiant conserve cette dernière liberté, ce que nous proposons est un prêt à remboursement contingent (un PARC) dont une variante est expérimentée avec succès en Australie. 

REDEVANCE UNIVERSITAIRE OU prêt à remboursement contingent ?

Si l'étudiant a l'obligation d'emprunter le montant de ses droits, le remboursement peut être assimilé à un impôt, ou plus justement à une redevance, comme la « redevance audiovisuelle », le prix payé pour l'utilisation d'un service public ; dans ce cas-ci, il s'agit du service public de l'enseignement supérieur. Nous proposons de désigner ce prélèvement sur les ex-étudiants comme redevance universitaire. [...]

Nous avons proposé une exemption des droits d'inscription pour les étudiants boursiers. Cela a un coût, environ 500 millions d'euros pour les seules universités. Cela serait un geste considérable de générosité de la part de la Nation si l'État compensait exactement la perte que représenterait cette exemption pour les universités.

À défaut, un système de péréquation devrait être mis en place, car le principe d'égalité des chances exige que les conditions matérielles d'étude ne dépendent pas de la plus ou moins grande modestie des milieux sociaux où recrute une université. Ensuite, le risque d'un effet d'éviction des crédits de l'État aux universités, du fait de la montée en puissance d'une source de financement supplémentaire, ne doit pas être pris à la légère.

L'absence d'engagement crédible sur le long terme est une faiblesse que notre République partage avec tous les États modernes. L'idée d'un contrat social entre le monde universitaire et la Nation, défendue par la Stranes (Stratégie nationale de l'enseignement supérieur), révèle ici tout son intérêt. La loi, ou même la constitution, permettent sans doute de poser des principes, de programmer les moyens dévolus par la Nation à ses universités autonomes et de concrétiser ce contrat social."

Robert Gary-Bobo, chercheur au Crest (Centre de recherche en économie et statistique), et Alain Trannoy, directeur d'études à l'EHESS.

L'intégralité de l'article sera prochainement consultable dans le dernier numéro de "Regards croisés sur l'économie", en ligne sur Cairn.info.

Sur le dernier numéro de "Regards croisés sur l'économie" consacré à l'université, lire aussi

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