Universités : chronique d’une crise annoncée

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Universités : chronique d’une crise annoncée
En 2015, 40.000 étudiants de plus ont été accueillis dans les universités françaises. // ©  Université Lumière Lyon 2
24 présidents d'université réaffirment la complémentarité des missions d'enseignement et de recherche des universités, quelle que soit leur taille. Et demandent que leur soient octroyés des moyens à la hauteur des effectifs étudiants à accueillir.

"La période 1985-2000 a été caractérisée par le rôle moteur des universités, en particulier celles de taille moyenne, dans la réussite de la massification dans l'accès à l'enseignement supérieur, conséquence de la volonté de l'État de voir 80 % d'une classe d'âge obtenir le baccalauréat.

Nombre d'universités ont également ouvert, à la demande des élus locaux et avec l'accord de l'État, des "antennes universitaires" pour faciliter l'accès de l'enseignement supérieur au plus grand nombre, preuve de cette attente forte de proximité.

Le plan "Université 2000" a renforcé cette territorialisation avec plus de 32 milliards de francs d'investissements, répondant ainsi à un objectif d'aménagement plus équilibré des équipements et services d'enseignement supérieur et de recherche à l'échelle nationale.

Depuis le début des années 2000, dans un contexte de renforcement de la concurrence et de la compétitivité des territoires, les tensions se sont accrues entre, d'une part, le soutien de l'État aux logiques métropolitaines, avec quelques métropoles, triées sur le volet, qui perçoivent massivement des crédits pour encourager leur restructuration et renforcer leur excellence scientifique et leur attractivité internationale (logique des Idex et plus largement du PIA), avec en visée les classements internationaux dont l'emblématique classement de Shanghai, et, d'autre part, l'accueil du plus grand nombre possible d'étudiants pour favoriser la démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur, l'adaptation aux besoins de la société de la connaissance et la dynamique des territoires.

Cette tension va devenir de plus en plus criante dans les prochaines années au regard de différentes évolutions. Démographiques d'abord : en effet, toutes les projections des effectifs dans l'enseignement supérieur montrent que le nombre de bacheliers va fortement augmenter jusqu'en 2023, conséquence de l'arrivée au baccalauréat des classes d'âge particulièrement nombreuses nées au début des années 2000. Par ailleurs, le nombre de bacheliers professionnels devrait croître plus fortement encore de 2013 à 2023, à la suite de la réforme du diplôme en 2009.

L'augmentation du nombre d'étudiants et la stagnation des dotations budgétaires, ont conduit, en réalité, à diminuer la dépense par an et par étudiant.

Financières ensuite : les moyens dédiés à l'enseignement supérieur et à la recherche ont évolué depuis 2009, mais l'augmentation du nombre d'étudiants et la stagnation des dotations budgétaires, ont conduit, en réalité, à diminuer la dépense par an et par étudiant de 11.631 euros en 2011 à 11.562 euros en 2015. Par ailleurs, la modification du mode d'allocation des moyens qui aconduit à développer les appels à projets et initiatives dites d'excellence a réorienté des financements particulièrement conséquents très majoritairement vers des établissements métropolitains au détriment des autres.

Politiques enfin : car cela revient, comme certains le font ouvertement à remettre aujourd'hui en cause la présence d'universités hors d'une dizaine de métropoles qui, seules, seraient des universités qualifiées "de recherche". Les mêmes suggèrent de remplacer, toutes les autres universités, y compris celles de grandes métropoles qui auraient refusé les logiques de fusion, par des écoles professionnelles et des collèges universitaires, laissant ainsi penser que la mission de formation serait secondaire ou, au mieux, implicite.

Il s'agirait alors d'un grave retour en arrière qui constituerait une réelle catastrophe pour de nombreux territoires et métropoles actant la fin du modèle universitaire du service public construit depuis des années sur les bases des principes de notre République et qui pourrait précipiter l'enseignement supérieur et la recherche française vers une crise majeure.

C'est pourquoi l'alliance des petites et moyennes universités se revendique aujourd'hui comme l'Alliance des universités de recherche et de formation (Auref) pour affirmer la complémentarité de cette double mission et rappeler la qualité de leurs performances d'autant qu'il convient, comme pour tous les établissements, de les mettre en lien avec la totalité des moyens investis par l'État.

Les mêmes suggèrent de remplacer toutes les autres universités, y compris celles qui auraient refusé les logiques de fusion, par des écoles professionnelles et des collèges universitaires

Et, alors que les universités françaises ont accueilli cette année 40.000 étudiants de plus, ce sont 160.000 étudiants qui sont attendus pour la rentrée de septembre 2017 et certains territoires seront sensiblement plus concernés que d'autres. Ce flux démographique, combiné à la nécessité de développer la formation tout au long de la vie, soulève plusieurs séries de questions qui portent sur :
• La nécessité d'allouer des moyens humains et financiers à la hauteur des enjeux afin de pouvoir accueillir dans de bonnes conditions d'études les flux de nouveaux étudiants à tous les niveaux de formation et sur l'ensemble du territoire national et de maintenir les forts taux d'insertion professionnelle de nos diplômés pour favoriser l'emploi et pour promouvoir l'égalité des chances et la priorité à la jeunesse.
• La reconsidération des répartitions entre moyens récurrents des établissements et moyens attribués dans le cadre d'appels à projets qui orientent les financements et ainsi limitent la possibilité de les consacrer aux missions de base, tels l'accueil d'un nombre croissant d'étudiants ou la recherche et la valorisation dans les universités hors Idex ou Isite.
• La révision de la répartition de ces moyens en tenant compte à la fois des situations présentes des établissements, que le ministère connaît parfaitement, de leur efficience, et des dynamiques démographiques en cours.
• Un soutien réel au défi pédagogique lié à l'hétérogénéité des formations d'origine des étudiants, à la nécessité de développer de nouvelles méthodes pédagogiques qui articulent les ressources numériques et le présentiel des enseignants.
• La reconnaissance de la diversité des modèles d'université, sans les hiérarchiser, et de leur double mission de formation et de recherche.

Flux démographique important, accessibilité de l'enseignement supérieur, hétérogénéité des étudiants, innovation pédagogique, soutien d'une politique scientifique ambitieuse sur tout le territoire pour soutenir la croissance et le développement sont autant d'éléments qui nécessitent rapidement des moyens financiers et humains supplémentaires à la hauteur des défis avec une loi de finances pluriannuelle ambitieuse, à hauteur des défis, et imposent que ces moyens soient répartis en tenant compte à la fois des missions d'enseignement, de recherche et de valorisation.

Les signataires 

- Joël Alexandre, président de l’université de Rouen-Normandie
- Mohamed Amara, président de l’université de Pau et Pays-de-l’Adour
- Éric Boutin, président de l’université de Toulon
- Alain Célérier, président de l’université de Limoges
- Olivier David, président de l’université de Rennes 2
- Pierre Denise, président de l’université de Caen-Normandie
- Rachid El Guerjouma, président de l’université du Maine
- Christine Gangloff-Ziegler, présidente de l’Université de Haute-Alsace
- Guillaume Gelle, président de l’université de Reims-Champagne-Ardenne
- Patrick Gilli, président de l’université Montpellier 3 Paul-Valéry
- Yves Jean, président de l’université de Poitiers
- Fabrice Lorente, président de l'université de Perpignan-Via-Domitia
- Pasquale Mammone, président de l’université d'Artois
- Corinne Mence-Caster, présidente de l’université des Antilles
- Jean Peeters, président de l’université de Bretagne-Sud
- Pascal Reghem, président de l’université du Havre
- Christian Robledo, président de l’université d’Angers
- Mohamed Rochdi, président de l’université de La Réunion
- Pierre-Marie Romani, président de l’université de Corte
- Emmanuel Roux, président de l’université de Nîmes
- Danielle Tartakowsky, présidente de l’université de Paris 8 Vincennes-Saint-Denis
- Hélène Velasco Graciet, présidente de l’université Bordeaux-Montaigne
- Philippe Vendrix, président de l’université François-Rabelais Tours
- Denis Varaschin, président de l’université Savoie-Mont-Blanc

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