Autonomie des universités : la nouvelle équation de la Cour des comptes

Camille Stromboni Publié le
Autonomie des universités : la nouvelle équation de la Cour des comptes
Huit ans après la LRU, la Cour des comptes fait le bilan de l'autonomie des universités et propose de passer à la vitesse supérieure. // ©  E. Vaillant et C. Stromboni
L'allocation des moyens des universités doit faire partie du contrat de site. C'est la première recommandation de la Cour des Comptes, qui dresse le bilan de l'autonomie des universités et dessine les pistes pour aller plus loin, dans un rapport remis aux sénateurs le 30 septembre 2015. Une proposition qui laisse sceptiques le ministère et les présidents d'université.

Comment franchir un nouveau cap dans l'autonomie des universités ? La Cour des comptes fait le bilan de la situation des établissements autonomes, huit ans après la loi LRU (Libertés et responsabilités des universités), dans un rapport remis aux sénateurs le 30 septembre 2015. Car si l’autonomie a eu de nombreux bienfaits en matière de modernisation de la gestion des établissements, elle reste toujours trop limitée, souligne la Cour.

Dépasser le modèle Sympa

Avec une recommandation phare : il est urgent de repenser l’allocation des moyens aux universités, en ajustant "les niveaux de dotations des établissements afin de corriger les déséquilibres, sans pénaliser les gestionnaires rigoureux", glisse la Cour. Un sujet sensible : les présidents d'université et le ministère n'ont jusqu'ici pas trouvé d'accord sur cette réforme du modèle d'allocation.

La Cour constate tout d'abord le blocage du modèle Sympa, pour répartir les moyens entre universités. "Sympa a fonctionné de 2008 à 2012, quand il y avait des moyens supplémentaires, en les affectant de manière différenciée : + 5% pour certains, jusqu’à + 50% pour d’autres, reconnaît Simone Bonnafous, directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle, auditionnée devant les sénateurs. Depuis, il sert principalement au partage des emplois nouveaux créés dans l’enseignement supérieur."

La Cour, qui a collecté les données financières de 80 universités sur la période 2008-2014, relève qu’entre 2009 et 2012, les universités considérées comme sous-dotées en emplois et en crédits ont bénéficié d’une augmentation moyenne de 23%, quand les autres voyaient leurs dotations progresser de 13%.

Fusionner le contrat et l’allocation des moyens des facs

Pour dépasser ce blocage, la Cour préconise une solution plus radicale que les divers scénarios qui ont pu être évoqués jusqu'ici : la fusion de l’allocation des moyens aux établissements, aujourd'hui annuelle, et du contrat de site, signé pour cinq ans. "Dans une logique de poursuite de l’autonomie, c’est notre première recommandation", insiste la présidente de la 3e chambre de la Cour, Sophie Moati.

"Il apparaît nécessaire de mettre en cohérence, dans le cadre du contrat pluriannuel, les objectifs stratégiques des établissements et les moyens qui leur sont alloués par l’État", écrit la Cour.

"L’unification des processus de contractualisation et de calcul de la dotation permettrait au ministère de prendre en compte l’ensemble des actions spécifiques qu’il finance et de mettre fin à l’éparpillement des notifications, en déterminant une dotation réellement globale pour chaque université", estime l’institution, qui espère, à terme, que l’allocation de l’ensemble des moyens se fasse au niveau des regroupements d'établissements.

C’est une vraie transformation administrative que nous allons engager dans les semaines qui viennent.
(T. Mandon)

Scepticisme du côté de l'État et des présidents d'université

Une option qui laisse Simone Bonnafous très "réservée". "C’est sans doute notre principal point de divergence avec le rapport, indique la directrice générale. Cela supposerait tout d’abord de faire tous les contrats d’un coup, ce qui est tout sauf simple. Aujourd’hui, ils sont réalisés en cinq vagues, une par an. Mais surtout : comment l’État peut-il s’engager sur cinq ans ? Alors qu'aujourd'hui, nous faisons face plutôt des coups de rabot en cours d'année..." Simone Bonnafous a en revanche souligné tout l'intérêt de ces contrats, non sous l'aspect financier, mais comme un outil politique important pour porter une stratégie.

"Nous sommes d’accord avec l’idée d’un plan de financement stratégique pluriannuel, mais encore faut-il pouvoir compter sur le soutien de l’État", renchérit le président de la CPU (Conférence des présidents d'université), Jean-Loup Salzmann, également auditionné.

Plus de moyens par la voie contractuelle ?

Une voie médiane a été avancée par le rapporteur spécial et sénateur de l'Aube, Philippe Adnot. Si l'élu trouve intéressante cette "suggestion d’allocation unique", il propose, a minima, une augmentation de la part du budget des universités allouée par la voie contractuelle. "On a créé l'autonomie, mais elle ne peut pas être exercée sans visibilité dans le temps", a-t-il insisté.

Reste à savoir ce que le ministère va garder ou appliquer de cet imposant rapport. Thierry Mandon, sur France Culture le 1er octobre 2015, a promis du mouvement. "Nous pilotons aujourd’hui le système universitaire sans avoir tiré toutes les conséquences de ce qu’est un système d’acteurs autonomes. Il faut faire les transformations de notre organisation pour devenir stratège, avoir des objectifs clairs,qui s’imposent à tout le monde, et des outils qui permettent de suivre ce que des acteurs autonomes décident. C’est une vraie transformation administrative que nous allons engager dans les semaines qui viennent", a-t-il affirmé.

La dévolution du patrimoine, un investissement d'avenir ?
Le rapport de la Cour des comptes défend la poursuite de la dévolution du patrimoine immobilier comme une autre avancée nécessaire pour une autonomie pleine et entière des établissements. Trois universités sont aujourd’hui maîtres de leur patrimoine : Auvergne, Toulouse 1-Capitole et Poitiers.

Une opération nécessaire, mais coûteuse, souligne la Cour : 865 millions d’euros par an serait nécessaire pour cette généralisation de la dévolution.

Si l’actualité budgétaire rend inenvisageable un tel investissement, c’est une autre voie qui serait étudiée au ministère, indique Simone Bonnafous, lors de son audition devant les sénateurs le 30 septembre 2015. Celle de la création d’un appel à projets sur la dévolution dans le cadre du PIA 3, un nouveau programme des investissements d’avenir, annoncé pour 2016 et doté de 10 milliards d’euros.
Une situation financière des universités globalement satisfaisante
"La situation financière des établissements apparaît globalement satisfaisante", estime la Cour des comptes dans son rapport, pour lequel ont été collectées les données financières de 80 universités entre 2008 et 2014. La Cour souligne que "les universités sont régulièrement excédentaires, tout en connaissant d'importantes variations sur la période".

En 2013 et 2014, elles ont dégagés plus de 190 millions d'euros chaque année, tout en disposant de fonds de roulement d'1,5 milliards d'euros et de niveaux de trésorerie (2,2 milliards) qui "excèdent les règles prudentielles et les nécessités de la gestion".

La Cour préconise d'ailleurs de "fixer des règles prudentielles de gestion adaptées aux contraintes réelles des universités", c'est-à-dire moins strictes.

"La règlementation nous interdit d’être dans le négatif", a simplement fait remarquer Jean-Loup Salzmann, qui a souligné tout de même la bonne gestion des universités par les présidents. Il estime que ces "chiffres chocs" positifs correspondent à la "capacité d’investissement des établissements, à l’heure où l’État se désengage."

Au-delà de ce constat global, la Cour relève une disparité des situations, selon les établissements.
Attention RH !
La Cour des comptes s’arrête longuement sur les améliorations nécessaires de la gestion des ressources humaines des universités, en préconisant sur plusieurs points un meilleur contrôle de la part des établissements.

Concernant les obligations de services des enseignants-chercheurs, le temps de travail des personnels administratifs et techniques, ou encore à propos des régimes indemnitaires, la Cour demande plus de rigueur aux établissements.

Avec un préalable : la Cour recommande, de manière prioritaire, la mise à niveau des systèmes d’information universitaires.
Aller plus loin
- Le rapport de la Cour des comptes : L'autonomie financière des universités : une réforme à poursuivre (pdf) (réalisé à la demande de la Commission des finances du Sénat - rendu public le 30 septembre 2015)

Camille Stromboni | Publié le