Bilan du pacte enseignant : les organisations syndicales restent sur leur faim

Marine Ilario Publié le
Bilan du pacte enseignant : les organisations syndicales restent sur leur faim
Le ministère de l'Education nationale a présenté un premier bilan du pacte enseignant. // ©  Mediteraneo/Adobe Stock
Huit mois après la mise en œuvre du pacte, le ministère de l’Éducation nationale a publié un bilan du dispositif. Si le ministère se dit satisfait, les organisations syndicales, elles, regrettent un bilan trop succinct.

"Amateurisme", "mascarade", "parcellaire", "non sincère". C’est par ces mots que quelques organisations syndicales qualifient le bilan du pacte diffusé par le ministère de l’Éducation nationale, le 16 avril dernier.

Un bilan pourtant "salué" par Nicole Belloubet, ministre de l’Éducation nationale, qui le qualifie de "positif" puisque "l’adhésion des agents s’établit en moyenne à 30%, conformément à l’objectif fixé".

Un enseignant sur trois dans le second degré a signé un pacte

Au total, 33% des enseignants dans le second degré ont adhéré à un pacte. Selon le ministère, le pacte a "séduit" davantage les enseignants au collège et en lycée professionnel puisqu’ils sont 37% à avoir adhéré au dispositif contre 24% en voie générale et technologique.

Le ministère avance dans un communiqué de presse que "pour sa première année de mise en œuvre le pacte a atteint très largement ses objectifs et mobilisé les personnels sur les priorités fixées".

Pourtant, "30% de signataires c’est très peu parce que ça signifie que 70% des collègues n’ont pas signé" affirme Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU (syndicat national des enseignements de second degré).

Même sentiment pour Gilles Langlois, secrétaire national du SE UNSA (Syndicat des enseignants-UNSA) qui s’interroge sur la réelle motivation des enseignants pactés. "On ne peut pas être satisfait simplement parce que 30% des enseignants ont accepté un pacte, surtout qu’ils ne l’ont pas forcément fait de pleine volonté puisqu’ils n’ont pas été suffisamment revalorisés par ailleurs".

Huit mois après, un maigre bilan

De nombreux syndicats fustigent en outre un bilan trop bref. "Le bilan, c’est quatre chiffres qui se battent en duel", houspille Sophie Vénétitay qui le qualifie même de "mascarade". "On a demandé plus de détails : quelles sont les briques les plus consommées ? Par académie ? Dans quel type d’établissement ? Plutôt par des femmes ou par des hommes ? Mais on n’a pas de réponse".

Sans compter que le collège et le lycée professionnel sont présentés comme ayant exactement le même pourcentage de professeurs adhérant au pacte. "Pourtant il est peu probable que ça tombe juste", regrette la secrétaire générale qui, malgré les demandes, ne dispose pas de chiffres plus précis.

Une situation qui agace aussi Axel Benoist, co-secrétaire général au Snuep-FSU (syndicat de l'enseignement professionnel public). "On ne sait pas s’ils ne sont pas capables de donner des chiffres précis ou s’ils ne veulent pas le faire. Dans tous les cas, c’est déplorable et inadmissible parce que le pacte en lycée pro est un élément fort pour le déploiement de la réforme".

"Ambition emploi", "Avenir pro", "dédoublement des classes en mathématiques et en français", etc. Autant d’éléments de la réforme des lycées professionnels qui dépendent de l’adhésion des enseignants au Pacte. "Ne pas être capable de faire ressortir des éléments détaillés c’est presque faire preuve d’amateurisme", selon Axel Benoist.

L’absence de bilan qualitatif

"On a attendu jusqu’en avril pour un bilan ténu qui n’interroge pas les problématiques essentielles", déplore Gilles Langlois. Pourtant, le ministère rappelle que 700 millions d’euros ont été consacrés au pacte pour l’année scolaire 2023-2024. "C’est de l’argent public que l’on n’a pas mis ailleurs et pourtant, le ministère ne se pose pas la question de savoir si ça améliore vraiment le fonctionnement du système éducatif".

Le bilan ne s’attarde pas sur les conséquences de la mise en place du pacte. Autrement dit sur ses effets sur la charge de travail des enseignants, les relations avec les parents ou encore leur disponibilité pour le travail en équipe.

"Ils nous ont clairement dit 'on n’a pas fait de qualitatif mais un regard sur l’état de la consommation'. Pourtant, lorsque l’on met en place un nouveau dispositif, le bilan doit poser un regard un peu critique : qu’est-ce que ça améliore effectivement", explique Gilles Langlois.

De son côté, le SE UNSA proposait en février dernier un premier bilan qualitatif de la mise en œuvre du pacte sur les équipes pédagogiques.

Remplacement de courte durée : peut mieux faire ?

Le ministère avance toutefois quelques chiffres détaillés sur les briques de pacte les plus consommées. Ainsi, "le remplacement de courte durée est la mission la plus mobilisée", indique le ministère dans son communiqué. Suivent les dispositifs "devoirs faits", les stages de réussite, le dispositif "école ouverte" et le soutien aux élèves sur les savoirs fondamentaux.

Concernant le remplacement de courte durée, le ministère a présenté aux organisations syndicales de meilleurs résultats dans l’efficacité des remplacements. Concrètement, 15% des absences sont remplacées, contre 5% initialement.

Une progression que ne saluent pas vraiment les syndicats. "Cela revient tout de même à dire que 85% des absences ne sont pas remplacées. Pour nous c’est plutôt un aveu d’échec", attaque Gilles Langlois selon qui, il faut mettre ces chiffres au regard de la baisse des besoins en remplacement. "On a mieux remplacé mais il y avait moins de journées de remplacement à faire, donc ce n’est pas forcément une très grande réussite".

Une prudence à laquelle se livre aussi le Snes FSU. "Le ministère nous a affirmé ne pas être en capacité de savoir si les remplacements effectués relèvent de missions du pacte ou d’HSE [heure supplémentaire effective]", regrette Sophie Vénétitay.

Le pacte renforcé à la rentrée ?

Malgré un bilan qui laisse les organisations syndicales sur leur faim, le gouvernement semble s’engager vers un renforcement du pacte. En visite dans une école à Paris le 5 avril dernier, Emmanuel Macron a, en effet, annoncé rajouter 98 millions d’euros dans l’enveloppe du pacte pour l’année scolaire 2024-2025.

Dans le même temps à la fin du mois d’avril, le ministère annonçait le gel des HSE pour la fin de l’année scolaire avant de revenir finalement sur sa décision début mai. Toutefois, le Snes FSU rappelle dans un communiqué que "l’objectif d’une diminution d’un tiers des HSE pour l’année 2024 est toujours en cours et pourrait donc être réalisé à la rentrée 2024".

"Une manœuvre politique" pour Sophie Vénétitay afin d'orienter davantage d’enseignants vers le pacte. "Sous couvert de restrictions budgétaires, ils limitent les HSE et dans le même temps, Emmanuel Macron annonce vouloir renforcer le dispositif. On a bien compris qu’il fallait sauver le pacte, coûte que coûte".

De son côté, Axel Benoist maintien que "le pacte n’est pas la solution. Si le service public de l’éducation veut remplir son rôle, il faut agir sur le recrutement. Et pour cela, c’est le choc des salaires qu’il faut produire".

Marine Ilario | Publié le