"Comment sauver l’Université française ?" Les points de vue de Laurent Bigorgne et d'Yves Lichtenberger

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Educpros publie en avant première les bonnes feuilles consacrées à l'Université au sein de l'ouvrage em>La Présidentielle en 25 débats, à paraître le 12 janvier, aux éditions Express Roularta. Classements internationaux, qualité de la recherche française, indépendance des universités ou encore mode de financement, Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne et membre du comité de suivi de la loi LRU, débat aux côtés d'Yves Lichtenberger, professeur de sociologie à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée. Avec des propositions à l'appui.

Quel bilan peut-on tirer de la loi LRU sur l’indépendance des universités ?

L.B. C’est un texte voté en 2007 et qui est encore en cours de mise en œuvre. Cette grande réforme dessine un paysage à dix ans. On connaîtra vraiment le bilan de la loi LRU dans les années 2015-2020. Il n’empêche que l’on commence à en ressentir les premiers effets. Dans les universités, cette loi a libéré une certaine forme d’audace dans la capacité notamment à prendre en main le pilotage et donc l’avenir de ces établissements. Mais l’autonomie en soi ne suffit pas. Elle doit être guidée par des projets nés au sein même des universités, par une évolution réelle de la gouvernance et surtout servie par des financements plus importants. La loi de 2007 n’a pas répondu à toutes ces questions. Il faut donc acter l’indépendance des établissements et leur permettre une certaine forme d’expérimentation, en matière de gouvernance, de cartes des formations et en matière de recherche de financements. Certes, l’«État stratège» doit fixer des grands caps pour la collectivité, mais il doit prendre l’habitude de laisser faire les établissements, et ces derniers doivent aussi se montrer à la hauteur.
 
Y.L. La loi LRU est finalement une loi de décentralisation. Sur ses quatre premières années d’existence, elle a été mise en place avec des budgets croissants. Cela a été une condition de réussite importante. J’ai peur, de ce point de vue, que la crise des finances publiques soit un frein à la progression des financements. Pour progresser, il faut une visibilité sur les moyens apportés par l’État et plus de clarté sur les modes d’attribution de ses financements. Les moyens récurrents versés aux universités doivent être stables, les contrats quinquennaux qui les complètent doivent être accrus en fonction des nouvelles missions qu’elles assument. Aujourd’hui, l’attribution des budgets entre les universités dépend théoriquement de l’activité et de la performance, mais avec un paramétrage tel que les disparités entre établissements liées à leur histoire ne sont pas corrigées. L’État devrait accroître l’autonomie des plus performantes et mieux les récompenser, et à l’inverse accroître les prescriptions et flécher plus étroitement les moyens, bref proposer une forme de mise sous tutelle pour celles qui sont à la traîne.

Quel mode de financement pour l’Université de demain ?

Y.L. Je pense qu’il faut poser la question autrement : quel mode de financement pour quelles missions ? Tout le monde s’accorde à dire qu’un des objectifs pour élever le potentiel de croissance de l’économie française est de parvenir à ce que 50% d’une génération obtienne un diplôme de l’enseignement supérieur. Actuellement, 60% d’une génération obtient le bac, 50% entre dans l’enseignement supérieur et 40% seulement en sort avec un diplôme. Nous sommes face à deux enjeux. D’une part, il faut qu’une proportion plus importante de diplômés de BTS poursuive ses études jusqu’en licence. D’autre part, il faut faire en sorte que les 10% d’étudiants qui échouent dès le début réussissent. Or, l’échec est socialement très typé. Il faut donc développer des pédagogies nouvelles, accompagner davantage les étudiants. Et tout cela coûte beaucoup d’argent. D’où peut-il venir ? D’abord de l’État. La part des financements apportés par l’État doit absolument être maintenue et sécurisée. Prenons garde à ne pas prendre le chemin du Royaume-Uni, où la hausse des droits d’inscription s’est faite parallèlement au désengagement de l’État. Deuxièmement, l’apport financier des régions doit être plus visible et faire partie des contrats quinquennaux des universités. Troisièmement, il faut accroître le financement par les entreprises sur ce qui est de leur responsabilité : la formation professionnelle, l’apprentissage, la formation continue, la recherche appliquée. Les universités doivent ainsi pouvoir développer considérablement leur offre sur ces segments en adoptant une vraie politique de partenariats. Cela fera du bien à tout le monde. Enfin, il serait normal, dans ce cadre, d’autoriser les universités à accroître les droits d’inscription payés par les étudiants, sauf par les boursiers, en fixant une fourchette dépendant du niveau des services qui leur sont rendus.
 
L.B. La formation continue est évidemment un enjeu crucial, particulièrement dans un pays où le système de formation professionnelle est si déficient. Mais je voudrais ajouter trois points. Le premier concerne la recherche de financements privés. La philanthropie ne sera jamais en France ce qu’elle est aux États-Unis. Il ne faut pas donc attendre monts et merveilles des fondations d’universités. Mais on doit pouvoir modifier notre Code civil de façon à ce que des personnes privées puissent léguer une part importante de leur fortune aux universités. Deuxième point, il faut que les dépenses de l’État continuent d’augmenter en dépit de la crise sur les finances publiques. Ne pas faire cet investissement maintenant serait criminel. Si l’on doit garder une priorité, c’est l’éducation, d’autant que la France est à peine entrée dans la moyenne de l’OCDE en termes de dépenses moyennes par étudiant. Ensuite, et surtout, il faudra poser la question de la contribution des familles au financement des études supérieures, notamment au niveau des masters. Le niveau bac+3 concerne la nation dans son ensemble et doit bénéficier d’un important effort de solidarité. Le niveau bac+5 relève davantage du choix individuel. Je ne pense pas qu’on puisse continuer d’acquitter les mêmes droits pour un master d’anthropologie ou de finance de marché. L’obtention d’un diplôme bac+5 donne aujourd’hui un avantage considérable en matière d’insertion sur le marché du travail et de potentiel de rémunération tout au long de la vie. Cet avantage a donc un coût, et les familles doivent le comprendre. D’autant que ceux qui entrent en master sont généralement issus des familles les plus aisées. Ces droits doivent être proportionnels aux revenus des familles et ils doivent principalement servir à financer un système d’aides sociales renforcé pour aider les plus défavorisés à accéder à ce niveau d’études. Voilà ce que pourrait être une politique réellement sociale et redistributrice.

Lire l'intégralité de ce débat dans la rubrique Les Grands Débats d'EducPros .

* Extrait de l'ouvrage La Présidentielle en 25 débats. à paraître le 12 janvier 2012, Express Roularta Éditions, Hors collection L’Express, Emmanuel Lechypre et Béatrice Mathieu, préface de Christophe Barbier, 15 €. Pour le commander en ligne . En savoir plus : la vidéo promo du livre sur You Tube .

(1) Professeur de sociologie à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée, chercheur au Laboratoire techniques, territoires et sociétés, Yves Lichtenberger a présidé de 2007 à 2010 le PRES (pôle de recherche et d’enseignement supérieur) de l’université Paris-Est, après avoir été président de 2002 à 2007 de l’université de Marne-la-Vallée et avoir dirigé de 1989 à 1994 le Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications). Il a écrit plusieurs articles sur la modernisation des universités et été corédacteur avec Alexandre Aïdara du rapport de la fondation Terra Nova « Faire réussir nos étudiants, faire progresser la France », en août 2011.

(2) Directeur de l’Institut Montaigne, Laurent Bigorgne est un fin connaisseur des questions d’enseignement supérieur. Il est membre du comité de suivi de la loi LRU. Il a été précédemment directeur adjoint de Sciences po Paris, de 2007 à 2009, détaché de 2008 à 2009 à la London School of Economics, où il a contribué à renforcer les liens entre les deux établissements. Il est l’auteur d’une étude sur la politique internationale des vingt meilleures universités britanniques.

LEURS PROPOSITIONS POUR L'UNIVERSITE

Yves Lichtenberger

1. Clarifier le mode de financement des universités, stabiliser les moyens récurrents modulés selon la performance, donner une plus grande importance aux moyens contractuels basés sur des objectifs, autoriser une augmentation des droits d’inscription selon une fourchette dépendant des services fournis.
2. Inciter aux coopérations régionales entre universités, écoles et instituts de recherche, et pour cela conclure des contrats quinquennaux, entre l’État, la région, les organismes de recherche et les PRES (pôles de recherche et d’enseignement supérieur).
3. Aller au bout du LMD, et pour cela favoriser une revalorisation de la licence et établir une entrée sélective à l’entrée et non au milieu du master.
4. Poursuivre l’autonomie des universités en facilitant l’engagement et l’expression de la communauté universitaire par la création d’un Sénat académique consultatif, avec en échange une plus grande latitude sur l’organisation des conseils internes.
 
Laurent Bigorgne
1. Il est essentiel que la majorité politique amenée à gouverner à partir de juin 2012 continue de faire de l’enseignement supérieur et de la recherche une priorité budgétaire nationale et se fixe comme objectif de réaliser au moins le même effort en fonctionnement et en investissement que celui accompli depuis 2007.
2. Cet effort doit être respectueux d’une autonomie consolidée et renforcée des établissements universitaires. Les contrats passés entre l’État et les universités ne mettent en jeu qu’une petite partie du budget de celles-ci : il faut augmenter résolument la part de ces fonds plutôt que les financements récurrents. Les universités les plus avancées en matière d’autonomie doivent pouvoir accéder au statut de « grand établissement ».
3. Avec la recherche, le premier cycle doit faire l’objet d’une attention toute particulière : accueil des étudiants, pluridisciplinarité systématique, mobilisation des meilleurs enseignants, travail sur l’insertion professionnelle… Les résultats obtenus par chaque université dans ce domaine devront être rendus publics chaque année et faire l’objet d’une diffusion la plus large possible par le ministère.
4. Les prochaines évolutions du système universitaire doivent reposer sur les établissements plutôt que sur des évolutions législatives. Les établissements qui souhaiteront expérimenter des solutions nouvelles en matière de gouvernance, de carte des formations, de financement, etc. doivent pouvoir s’engager dans des protocoles expérimentaux, évalués bien sûr, susceptibles d’être ensuite repris par d’autres.

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