Egalité des chances : tout se joue à la crèche et la maternelle !

Propos recueillis par Jessica Gourdon Publié le
Egalité des chances : tout se joue à la crèche et la maternelle !
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Pendant que leurs camarades planchaient sur le nucléaire ou les nanotechnologies, Gilles Tauzin (ENS Ulm) et Valérian Pham Ngoc (X), deux  ingénieurs du corps des Mines de 25 et 26 ans, ont écrit un mémoire de recherche sur l'égalité des chances dans l'enseignement supérieur. Elaboré au cours de leur dernière année d'étude à partir de lectures, d'entretiens et de déplacements sur le terrain, leur travail, réalisé sous la direction de Christian Forestier , devrait être publié aux Presses des Mines. Il propose de cibler les politiques sur la crèche et la maternelle.

Vous êtes tous les deux ingénieurs, purs scientifiques de formation. Pourquoi vous intéresser à l'égalité des chances dans l'enseignement supérieur ?

Gilles Tauzin : Parce que nous tenons à un certain idéal républicain, et que nous nous sommes engagés dans la fonction publique. Le fait qu’aujourd’hui, 82% des enfants de cadres supérieurs fassent des études supérieures, alors qu’ils ne sont que 31% parmi les enfants d’ouvriers non qualifiés nous interpelle. Et puis, c’est un enjeu de cohésion sociale. Si les élites sont le fruit d’une « reproduction », les positions sociales ne sont alors pas légitimes.


Pourquoi agir dès la maternelle et la crèche ? Y-a-t-il vraiment des différences entre les enfants à ce niveau ?

Gilles Tauzin : C’est à cette période de la vie que se mettent en place les inégalités, qui s’accumulent mais ne deviennent visibles que plus tard. C’est en effet à ce moment que les enfants développent la « boite à outil cognitive » qui leur servira à tous les apprentissages, comme le langage, la lecture…

Valérian Pham Ngoc : Dès cet âge, on constate déjà de fortes différences entre les enfants liées aux origines. En 2ème année de maternelle, 88% des enfants d’ouvriers ont un niveau inférieur à la moyenne des enfants de cadres sur ’expression verbale. Les proportions sont similaires pour l’aisance graphique (80%) ou la structuration spatiale (79%). A ce stade, les choses sont encore réversibles. Nous montrons que les actions à ce niveau sont plus efficaces, et plus durables que celles qui interviennent plus tard dans la scolarité.


Quelles mesures concrètes proposez-vous ?

Valérian Pham Ngoc : Il conviendrait de développer fortemment les services de petite enfance et les places en crèches, afin que les enfants les moins favorisés puissent bénéficier d’un environnement stimulant. Sur ce sujet, il existe de grandes disparités territoriales. Ensuite, il faudrait mieux former le personnel en maternelle à développer le langage et certaines compétences cognitives chez les enfants en bas âge. Et cela n’a rien à voir avec de la garderie !

Gilles Tauzin : En maternelle et pendant tout le primaire, il faut faire des familles de véritables partenaires éducatif. Trop souvent, les parents et les enseignants se regardent avec méfiance. Il faudrait aménager davantage de permanences, de moments de rencontre, et former les enseignants à certaines problématiques, notamment à l’illétrisme de certains parents – un phénomène qui concerne tout de même 9% de la population. A ce titre, l’école le samedi matin favorise par exemple un dialogue entre enseignants et parents, qui ont plus de temps devant eux.


Cela signifie-t-il que les programmes d’égalité des chances qui ciblent les lycéens – les internats d’excellence, les cordées de la réussite, « pourquoi pas moi » ou les conventions ZEP Sciences Po – arrivent trop tard  ?

Gilles Tauzin : Ces actions sont intéressantes, mais en effet, elles arrivent beaucoup trop tard dans la scolarité. Et puis, elles sont correctives, et non pas curatives, et se s’adressent pas à la masse des lycéens. C’est une chose de vouloir « sauver » quelques bons éléments potentiels, cela en est une autre de faire en sorte qu’un maximum d’élèves défavorisés réussissent mieux.

Valérian Pham Ngoc : L’autre problème, c’est que ces actions s’adressent essentiellement aux élèves des séries générales et technologiques, et laissent de côté tout ceux qui ont suivi d’autres filières. Reste que ces initiatives sont intéressantes, car elles ont un un effet de signal auprès des familles défavorisées, et permettent d’éviter certains phénomènes d’auto-censure.

Propos recueillis par Jessica Gourdon | Publié le