Engagés ? Quel est le portrait des étudiants de Sciences po en 2022 ?

Agnès Millet Publié le
Engagés ? Quel est le portrait des étudiants de Sciences po en 2022 ?
En vingt ans, la proportion d'étudiants de Sciences po Paris engagés dans l'associatif humanitaire ou caritatif a doublé, voire triplé en ce qui concerne l'environnement. // ©  Romain GAILLARD/REA
L'élève de Sciences po Paris est un jeune engagé, plutôt à gauche, impliqué dans des causes sociales et environnementales. Un portrait attendu, mais à nuancer, selon les conclusions de l'étude menée par l'établissement auprès de l'ensemble de ses étudiants.

Quelles sont les valeurs et les idées des élèves de Sciences po Paris ? Vingt ans après une première radiographie, l'établissement de la rue Saint-Guillaume sonde ses étudiants pour connaître leur profil et leurs engagements. Qui est l'étudiante ou l'étudiant de Sciences po en 2022 ? Portrait.

D'où viennent les étudiants de Sciences po Paris ?

Selon les deux auteurs de l'étude, Sciences po reste stable dans le recrutement social de la population étudiante. Mais des nuances sont à observer, précise l'un des co-auteurs, Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences po (Cevipof ). D'abord, la proportion des étudiants issus de classes favorisées est en baisse : ils représentaient 81,5% des élèves en 1998 contre 70% en 2022. Cependant, malgré cette chute, ils sont toujours deux fois plus nombreux qu'à l’université.

En parallèle, la proportion d’enfants d'ouvriers et d'employés passe de 3% en 1998 à 14%. Une évolution liée à la création des conventions éducation prioritaire (CEP) et à l’internationalisation.

Les étudiants de Sciences po Paris ont davantage le sentiment d'appartenir à une élite (70% contre 52% en 2002). Ce sentiment serait le fruit d'une plus grande "lucidité", selon le professeur des universités en science politique à Sciences po. Avec l'impression désormais que la naissance et les relations sont les moyens d'intégrer les élites dirigeantes, plus que le diplôme, considéré par leurs prédécesseurs comme un sésame.

Des étudiants plus engagés dans l'associatif que dans la politique

Les engagements des élèves se sont "assez largement déportés sur les associations", notent les auteurs. En effet, près de 36% des élèves font partie d’une association humanitaire ou caritative, deux fois plus qu'en 2002. Et 16% d'entre eux sont membres d’une association de défense de l’environnement, soit trois fois plus qu’en 2002, tandis que 14% sont engagés pour les droits des femmes et 8% en faveur des droits LGBTQ+.

On peut s'étonner que ces étudiants en sciences politiques ne soient donc, respectivement, que 11% et 5% à s'impliquer dans un parti politique ou un syndicat.

L'attrait de la gauche radicale chez certains à Sciences po

Par ailleurs, Martial Foucault et Anne Muxel, co-autrice de l'étude, sociologue et politiste, directrice de recherche CNRS au Cevipof, listent d'autres résultats marquants, dont "une politisation qui s'est globalement renforcée, notamment chez les étudiantes" (54% contre 17% en 2002). Un point qui ne concerne pas nécessairement la seule dimension "parti politique", mais qui est à prendre au sens large.

Autre conclusion importante, en lien avec la recomposition du paysage politique : une "culture politique de gauche non dénuée de radicalité" se confirme. "En 2002, Lionel Jospin avait fédéré 60% des votes de gauche des étudiants, en 2022, Jean-Luc Mélenchon a capté 77% d’entre eux", écrivent les chercheurs, qui rappellent que la jeunesse dans son ensemble a voté majoritairement pour ce candidat.

La radicalité de ces élèves s'inscrit dans un cadre particulier. "Une très large majorité des élèves approuvent et soutiennent le principe de la construction européenne et de la mondialisation ainsi que le cadre de la démocratie représentative", selon Mathias Vicherat, directeur de Sciences po Paris.

Marié à une forte appréciation du rôle de l'Etat

"Nos étudiants sont très attachés au cadre institutionnel", insiste Martial Foucault. En effet, selon lui, les étudiants de Sciences po "ont une perception des menaces et il y a une vraie demande de protection, d'où leur forte appréciation du rôle de l'État". "Ils ne décrochent pas et ils ne désertent pas", ajoute Mathias Vicherat.


Alexandria Ocasio-Cortez, personnalité politique la plus appréciée

Dans l'étude, les élèves pouvaient citer une personnalité politique qu’ils admirent particulièrement. Ce sont 539 noms qui ont été proposés.

"Font partie du panthéon des étudiants d’abord les personnalités situées à gauche […]. Alexandria Ocasio-Cortez, représentante démocrate à la Chambre des représentants des États-Unis, s’impose de très loin devant toutes les autres, suivie par la Première ministre de Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern. Deux personnalités de la scène politique internationale et deux femmes", relèvent les auteurs.

Puis viennent Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Volodymyr Zelensky, Angela Merkel et Christiane Taubira. Cependant, les réponses diffèrent grandement entre hommes et femmes, ainsi qu'entre Français et internationaux.

Tous "woke" rue Saint-Guillaume ?

Si le recul de la culture politique de droite est réel, Mathias Vicherat souligne que "le pluralisme est tout de même au cœur des valeurs des étudiants : 89% mettent en avant la nécessité de la tolérance vis-à-vis des idées et des croyances des autres". Sur cette question des valeurs, Martial Foucault relève que 55% des élèves jugent la société "très patriciale" et qu'ils sont près de 90% à considérer que la société française est traversée par le racisme – un sentiment plus fort chez les internationaux.

Selon Martial Foucault, le concept de "wokisme, le fameux sujet à Sciences po Paris", divise. La moitié d'entre eux perçoit le terme comme négatif. "Nos étudiants sont parfois embarrassés et insatisfaits d'être résumés à une identité woke, avec tout le problème définitionnel de ce terme."

Entre pessimisme général et optimisme personnel

Concernant les réponses des élèves quant à ce que sera le futur, "la tonalité est assez sombre", indique Anne Muxel.

"Le futur même existera-t-il ? Beaucoup pensent qu'on est dans une situation de non-retour, collapsologique." Les étudiants qui envisagent des scénarios se divisent en deux parties : ceux qui pensent à un retour à des petites communautés rurales, "des poches de survie", et ceux qui espèrent que la technologie permettra de "faire face à ces fléaux". Une petite minorité pense à une solution politique.

Ce ne sont pas des étudiants hors sol. Ils sont traversés par les évolutions à l'œuvre dans la société et amplifient des évolutions sociétales.

La conclusion de l'ouvrage nuance ce tableau puisque les élèves de Sciences po Paris "restent plus optimistes sur leurs destinées personnelles".

Les élèves de Sciences po amplifient les tendances de la société

In fine, note Anne Muxel, les résultats ne sont pas surprenants. "C'est une amplification de certains de leurs traits". Plus généralement, "ce ne sont pas des étudiants hors sol. Ils sont traversés par les évolutions à l'œuvre dans la société et amplifient des évolutions sociétales."

"Ils affirment cette citoyenneté critique de nos sociétés post-modernes, occidentales. Ils ont un sens critique qui expliquent leur radicalité, tout en restant dans le jeu institutionnel. C'est la marque de fabrique."


Méthodologie de l'étude "Une jeunesse engagée"

L'étude a été menée, en ligne, auprès de 12.500 élèves, sur le mois de mai 2022. Le questionnaire durait trente minutes et a permis de colecter les réponses de 4.792 répondants.

Le résultat du travail de Martial Foucault et d'Anne Muxel est à retrouver dans leur ouvrage, Une jeunesse engagée, paru en octobre 2022.

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