Enora Pruvot (directrice de programme à l’EUA) : "Les universités sont encore peu soutenues pour diversifier leurs sources de financement"

Propos recueillis par Mathieu Oui Publié le
Enora Pruvot (directrice de programme à l’EUA) : "Les universités sont encore peu soutenues pour diversifier leurs sources de financement"
Enora Pruvot // © 
Comment assurer la viabilité financière des universités en Europe ? Cette question figure au cœur du rapport « Financially Sustainable Universities : European Universities Diversifying Income Streams » (février 2011), dont Enora Pruvot, responsable de programme à l’EUA (Association européenne des universités) est la coauteur. Cette enquête a été conduite entre 2009 et 2010 auprès de 150 universités de 27 pays, dans le cadre du programme EUDIS (European Universities Diversifyng Income Streams) financé par la Commission européenne.

Le titre du rapport semble suggérer que la bonne santé financière des universités passe désormais par la diversification de leurs sources de financement ? Est-ce le message que vous cherchez à délivrer ?

Notre message ne consiste certainement pas à dire que les gouvernements n’ont plus besoin d’investir dans l’enseignement supérieur. Au contraire, l’étude révèle que le financement public reste essentiel. Pour les 150 universités sollicitées dans l’enquête, en moyenne 73 % de leur budget provient d’un financement public. Celui-ci doit rester le socle récurrent des universités car il représente un gage de stabilité. Cela dit, il faut tenir compte du contexte financier actuel qui met les sociétés nationales sous pression. Notre enquête montre l’impact de la crise financière sur le financement de l’enseignement supérieur en Europe. Il y a eu des coupes budgétaires dramatiques dans certains pays : moins 48 % en Lettonie en 2009, suivie d’une nouvelle baisse de 18 % en 2010. La Grèce a également subi des réductions de 30 à 35 % sur l’ensemble du secteur public. Quant à l’Italie, les coupes devraient atteindre 20 % d’ici à 2013. Au final, sur notre échantillon de 27 pays, seuls quatre connaissent une augmentation de leur budget d’enseignement entre 0 et 5 %. Il s’agit de la France avec le grand emprunt, de la Norvège, du Portugal et enfin de l’Allemagne au niveau fédéral.

Quels sont les avantages d’une diversification des financements ?

Elle peut avoir des avantages pour les établissements pour répartir leurs risques, diminuer leur dépendance et gagner en autonomie. Mais cette diversification s’accompagne de nouveaux enjeux pour les établissements, notamment en termes de management interne. Le personnel doit être formé pour pouvoir gérer des sources de financement provenant de différents organismes.

Selon votre enquête, les ressources additionnelles des universités (hors frais de scolarité) représentent désormais au moins 10 % de leur budget. Ce résultat vous a-t-il surpris ?

Oui, relativement, dans la mesure où nous avons travaillé sur un échantillon d’universités très diverses. Ces ressources, qui peuvent résulter de fundraising, de contrats de recherche ou de prestations pour les entreprises, commencent à représenter des sommes conséquentes. On ne parle pas ici de 50 000 €, mais de montants beaucoup plus élevés. Et ce n’est plus la prérogative des universités britanniques : on a trouvé des exemples en France, en Italie et en Suède. Enfin, l’étude souligne que le cadre réglementaire dans lequel évoluent les établissements est essentiel. L’autonomie financière et de gestion du personnel sont deux dimensions qui conditionnent les capacités de diversification des universités.

Comment les gouvernements peuvent-ils intervenir pour aider les établissements dans cette mutation ?

En France, par exemple, la plus grande autonomie des universités est une condition qui leur permet de gérer elles–mêmes leur personnel et de recruter des profils plus adaptés. Par exemple, il faut envisager des professionnels dans l’administration et le soutien à la recherche afin de renforcer la capacité des établissements à répondre à des appels à projets. Des missions que les enseignants-chercheurs ne peuvent remplir seuls. Il faudrait aussi des comptables spécialistes des coûts complets. Actuellement, certains coûts indirects ne sont pas pris en compte (comme l’utilisation de l’espace ou de l’électricité). Pouvoir les identifier permettrait de mieux négocier les contrats et les prix des fournisseurs.

Justement, concernant la France, avez-vous pu mesurer les premiers effets de la loi LRU ?

C’est encore un peu tôt. La question importante et transversale est celle du soutien aux universités pour la mise en œuvre des réformes. En discutant avec les universités françaises, nous nous sommes rendu compte qu’elles n’étaient pas pressées d’obtenir la dévolution de leur patrimoine immobilier. En effet, les établissements ne disposent pas des ressources nécessaires et de l’expertise en interne pour gérer cette question.

Certains pays sont-ils plus avancés dans l’accompagnement des universités vers l’autonomie ?

Le soutien des autorités publiques aux universités est encore peu répandu. Il n’y a pas beaucoup de réflexion à ce sujet, mais quelques exemples sont à retenir. Au Royaume-Uni, une fondation a pour vocation d’aider les présidents et les équipes dirigeantes à se former à ces questions de leadership. Il s’agit de la Leadership Foundation for Higher Education , qui bénéficie du soutien de l’État.

Il existe également les matched funding schemes qui ont été développés en Norvège, Finlande, Grande-Bretagne et au pays de Galles. C’est un mécanisme d’incitation financière qui fonctionne sur le principe d’abondement. Pour chaque euro collecté par les universités dans le secteur privé, le gouvernement viendra ajouter la même somme ou bien un pourcentage. Ce système a été utilisé au Canada et à Hong Kong, et il a été lancé en 2006 en Grande-Bretagne. Le calcul de l’abondement est plus ou moins sophistiqué suivant la capacité financière des établissements. Il a été expérimenté avec succès en Norvège, un pays pourtant sans grande tradition philanthropique.

La récente démission d’Howard Davies de la prestigieuse London School of Economics [LSE] à la suite d’un don du fils Kadhafi soulève la question des financements douteux des universités et des nécessités d’imaginer des garde-fous. Cette question a-t-elle été abordée au cours de votre étude ?

Nous avons demandé à nos interlocuteurs si la diversification pouvait poser un problème d’éthique et cela n’a pas semblé être le cas. Pour éviter ces problèmes, on revient au sujet de la gouvernance : il s’agit d’avoir la bonne personne au bon endroit.

Propos recueillis par Mathieu Oui | Publié le