Entrée à l'université : le mouvement étudiant à la recherche d'un nouveau souffle

Erwin Canard, Laura Taillandier Publié le
Entrée à l'université : le mouvement étudiant à la recherche d'un nouveau souffle
L'université Lyon 2 a préféré renoncer aux examens sur table après un blocage par les étudiants à la loi ORE. // ©  université Lyon 2
Après l'évacuation des campus par les forces de l'ordre, le mouvement étudiant contre la loi ORE se reporte sur les partiels. Tandis que les établissements s'organisent pour faire passer les examens malgré les perturbations, les opposants à la réforme comptent sur la date du 22 mai pour donner une nouvelle dynamique à la mobilisation.

Plus qu'une. Après plusieurs mois de mobilisation contre la loi ORE, Nanterre fait figure d’irréductible et reste la seule université encore paralysée. À Toulouse, Montpellier, Nantes, et, récemment, Rennes, tour à tour, les étudiants bloqueurs ont été délogés. L'intervention des forces de l'ordre sur les campus a-t-elle eu raison du mouvement étudiant ?

Si la mobilisation "s’essouffle et se radicalise" selon la Fage, il n'en est rien pour l'Unef. "Ce n'est pas terminé", assure Lilâ Le Bas, sa présidente. L'organisation étudiante entend poursuivre le mouvement au long des mois de mai et de juin "avec des rassemblements, des manifestations et des actions coup de poing". Comme le blocage des examens.

Une radicalisation du mouvement ?

C'est en effet le dernier outil de pression pour les opposants à la réforme : perturber la tenue des partiels. Dans plusieurs établissements, les étudiants délogés ont misé sur cette option pour continuer à manifester leur opposition. Un choix "scandaleux", pour Jimmy Losfeld. "On assiste à une radicalisation du mouvement qui en est réduit à s'attaquer aux examens. C'est indigne !" s'insurge le président de la Fage. "On casse notre outil de travail. Depuis des années, on s'échine à redorer le blason du diplôme de licence et ce mouvement donne encore une image désastreuse de l'université", regrette Franck Loureiro, cosecrétaire général du Sgen-CFDT.

Un diplôme, ce n’est pas un morceau de papier, un diplôme a une valeur qu’il est impératif de préserver.
(F. Vidal)

Même indignation du côté de la Rue Descartes. "Il est inadmissible qu’une minorité puisse vouloir empêcher la majorité des étudiants de passer leurs examens, donc de valider leur année universitaire. Un diplôme, ce n’est pas un morceau de papier, un diplôme a une valeur qu’il est impératif de préserver", réagit Frédérique Vidal, la ministre de l'Enseignement supérieur.

La présidente de l'Unef renvoie, elle, la balle dans le camp du gouvernement. "Bloquer les examens est un moyen pour les étudiants de faire entendre leur voix. C'est de la responsabilité du ministère de les écouter. Cela fait des mois qu'on nous ignore. La rhétorique sur les partiels est facile..." assène Lilâ Le Bas.

Le Snesup-FSU, syndicat opposé à la réforme, "n'encourage pas ces initiatives" mais nuance ses conséquences pour les étudiants. "La copie sur table rassure tout le monde mais ce n'est pas la seule option", relève Pierre Chantelot, secrétaire national. Le Sgen-CFDT est plus prudent. "À un moment, il n'y aura plus de solutions pour donner une crédibilité. À Toulouse, les étudiants ont loupé quatre mois de cours. Sur quoi les évaluera-t-on ?" s'interroge Franck Loureiro.

Opération sauvetage des examens

Aux universités donc de trouver la solution adéquate dans chacune des UFR. À Marseille et à Rennes 2, les équipes ont décidé de maintenir le cap. Aix-Marseille Université a choisi de maintenir la délocalisation les partiels de sciences, mardi 15 mai 2018, avec un filtrage de l'accès aux locaux par les services des forces de l'ordre.

À Rennes 2, où l'évacuation par les forces de l'ordre a été menée lundi 14 mai, le président de l'université est sur la même ligne. Coup d'envoi des épreuves jeudi 17 mai 2018, avec un nouveau calendrier. "Nous n'avons pas eu de perte de cours importante. Il est essentiel que les examens se tiennent car l'année s'est déroulée quasi normalement", expose le président de l'université, Olivier David.

Un maintien qui nécessite quelques aménagements, comme la sécurisation des locaux. "Nous nous organisons en liaison étroite avec le rectorat. Nous aurons une équipe de sécurité renforcée." Avec le maintien des examens écrits, l'établissement prend le risque de perturbations. "Bien malin qui pourra prédire la suite. On ne peut pas savoir ce qui se passera avec certitude", observe Olivier David.

Son établissement a également imaginé d'autres modalités d'évaluation pour les étudiants en stage ou en contrat de travail, avec des devoirs maison ou des oraux en distanciel. "Nous nous concertons avec les directeurs d'UFR pour ne pas pénaliser d'étudiants. L'adaptation des modalités d'évaluation demande beaucoup de travail et de contraintes aux personnels", ajoute-t-il.

Nanterre et Lyon 2 renoncent aux partiels sur table

De leur côté, les universités de Paris-Nanterre et Lyon 2 ont préféré renoncer aux examens sur table, au risque de voir les blocages se répéter. Ce "basculement en mode alternatif" est "assez inédit pour certaines composantes, notamment pour le droit, mais nous avons dû nous rendre à la raison pour éviter que la situation ne dégénère", rappelle Jean-François Balaudé, le président de l'établissement.

Oraux, épreuves en lignes écrites et en temps limité, travaux à la maison, mini-mémoires ou encore QCM en ligne... Les choix sont variés selon les enseignants. "C'est un énorme chantier et nous devons nous adapter très rapidement pour tenir le calendrier prévu fin mai", souligne Jean-François Balaudé. L'établissement va devoir par exemple faire appel à des prestataires extérieurs pour gérer un grand nombre de connexions d’étudiants en simultané.

Entrer dans une phase d'élaboration de propositions serait une issue honorable.
(J.-F. Balaudé)

"Nous sommes obligés de faire avec. On s'adapte", résume le président, qui s'interroge sur la suite du mouvement dans son établissement. "Entrer dans une phase d'élaboration de propositions serait une issue honorable", juge-t-il, réitérant sa proposition d'organisation d'États généraux pour échanger sur la loi ORE. Mardi 15 mai, 200 étudiants ont voté le blocage administratif de l'établissement, selon l'AFP.

Le 22 mai en ligne de mire

Pour les opposants à la réforme, la suite du mouvement se tiendra dans la rue. En perspective : deux dates de mobilisation, les 16 mai et le 22 mai. Cette dernière journée coïncide avec le jour J pour Parcoursup où les lycéens recevront la première salve de réponses à leurs vœux d'orientation. Une date qui pourrait relancer la mobilisation. "Les prochaines actions auront lieu au moment où les bacheliers vont recevoir les premiers résultats. Il y aura des blocages de lycées et des examens du baccalauréat. On va aboutir à quelque chose de plus dur", prédit Pierre Chantelot, secrétaire national du Snesup-FSU.

Une option de blocage du baccalauréat écartée d'office par le président du SGL (Syndicat général des lycéens). "Nous allons voir le 22 mai comment les lycéens vont réagir, mais nous n’envisageons pas de blocage du bac. Il serait voué à l’échec au regard de la difficulté à mobiliser les lycéens à ce moment-là", déclare Ugo Thomas.

Autre issue possible : un rebondissement du mouvement en septembre. Pierre Chantelot s'attend ainsi à "une rentrée universitaire mouvementée". "Quand tout le monde va arriver et qu'il n'y aura pas assez de places dans les amphis bondés, ça va faire réagir. Déjà, l'an dernier, cela ne tenait qu'à un fil..."

Pour éviter ce débordement, le gouvernement se garde des marges de manœuvre pour le mois de juin. Après les annonces du Premier ministre, Édouard Philippe, le 25 avril 2018, le ministère de l'Enseignement supérieur a ouvert un round de consultations avec les syndicats. Sur la table : la création de 750 à 1.000 postes sur le quinquennat, de nouvelles places dans les filières demandées par les lycéens, et une nouvelle indemnité pour reconnaître l'investissement pédagogique des enseignants. Reste à négocier le montant exact de l'enveloppe budgétaire avec Bercy.

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