IRT Jules-Verne : voyage au centre des recrutements de chercheurs

Fabienne Guimont Publié le
IRT Jules-Verne : voyage au centre des recrutements de chercheurs
Région Pays-de-la-Loire // © 
Avec l’IRT de Grenoble, l’IRT Jules-Verne (Le Mans, Nantes, Saint-Nazaire) est le premier à recruter parmi les huit instituts de recherche technologique labellisés par les Investissements d’avenir. Une gestion des ressources humaines à monter ex nihilo avec pour objectif d’aligner 200 chercheurs d’ici à 2020.  Plongée dans un labo hybride, entre la recherche fondamentale et industrielle, en train de sélectionner sa matière grise.

Vous êtes doctorant, postdoctorant, chercheur junior ou senior, responsable d’équipe de recherche technologique, chargé de projet de recherche ? Vous êtes contrôleur de gestion, directeur administratif et financier, juriste, comptable, responsable de propriété intellectuelle… ? Près de 400 candidats ont déjà répondu à une des soixante annonces mises en ligne sur le site de l’IRT Jules-Verne depuis un mois. Les compétences recherchées, très haut de gamme, relèvent de statuts cadres à 90 %. Le défi de l'Institut est de se placer à terme comme un centre de recherche industrielle de rang mondial dans les technologies innovantes de mise en œuvre des matériaux avancés.

“On part de rien”, reconnaît Stéphane Cassereau . Le nouveau directeur général de l’IRT Jules-Verne depuis avril 2012 doit monter cette structure de A à Z, avec Gérald Lignon, vice-président d’Airbus en charge de l’usine d’assemblage de Saint-Nazaire, élu président. De qui se sont-ils entourés ? Michel Guglielmi, responsable des équipes de recherche de l’IRT, mis à disposition à mi-temps par le CNRS, les aide sur le volet recrutement des personnels de recherche.

Recrutements : comment gérer la concurrence avec les partenaires ?

Sous statut de FCS (fondation de coopération scientifique), les membres de l'IRT sont à la fois des industriels, des organismes de recherche et des établissements d'enseignement supérieur (1). L'Institut porte donc une attention particulière à ne pas marcher sur les plates bandes des recrutements de ses membres. “Ce qu’on promet à nos partenaires industriels et académiques, c’est de ne pas faire de débauchages sauvages et certains considèrent que l’IRT peut offrir à leurs salariés des continuités de carrière valorisantes”, lance Stéphane Cassereau. Il a fait de la transparence une des lignes directrices du processus de recrutement du nouvel institut.  

"Nous avons défini nos profils de poste avec les directeurs de recherche de nos membres et leur DRH pour qu’ils mobilisent leurs réseaux" S. Cassereau

Les partenaires sont intégrés au processus de recrutement en amont. “Nous avons défini nos profils de poste avec les directeurs de recherche de nos membres et leur DRH pour qu’ils mobilisent leurs réseaux. Airbus, par exemple, a un réseau de centres de recherche avec un maillage international qui permettrait de recruter à l’étranger”, explique le DG. Du côté des laboratoires publics, le même tact est affiché dans le recrutement des doctorants ou postdoctorants, qui seront rattachés aux écoles doctorales des écoles et universités membres de l’IRT. “Pour le laboratoire de recherche qui accueille un doctorant à temps partiel, l’IRT jouera un peu le rôle de l’entreprise comme dans les conventions CIFRE”, compare l’ancien directeur de l’École des mines de Nantes.

Des comités de recrutement mixtes – IRT-partenaires – passent d’ailleurs en revue les différents dossiers de candidature et sont partie prenante des entretiens de sélection. Mises à disposition, CDI… sur les postes-clés, des candidatures venant des membres académiques et industriels de l’IRT sont d’ores et déjà négociées en amont. Elles devraient représenter une cinquantaine des 200 personnels de recherche à l’horizon 2020, avec des temps partiels possibles.  

Recherche : dénicher les pionniers de l’aventure IRT

La priorité est, d’ici à la fin de l’année, d’avoir choisi les 30 doctorants et postdoctorants et 15 permanents. À eux de lancer les premières missions de recherche confiées par les industriels membres de l’IRT (2). Les personnels de recherche sont le “cœur du réacteur” de ce labo géant à l’intersection de plusieurs filières industrielles : le naval, l’aéronautique, l’énergie, le terrestre. Une rareté dans le monde de la recherche – plutôt cloisonné entre disciplines – que l’IRT met en avant en plus des rémunérations avantageuses par rapport au public qu’il peut offrir en tant que fondation de coopération scientifique régie par le droit privé. “Les chercheurs débutants peuvent être payés 20 % à 30 % de plus que dans les grands organismes. Ce différentiel est encore plus important pour les chercheurs seniors, détaille Michel Guglielmi. Pour les chercheurs étrangers, on s’alignera sur les rémunérations de leur pays : s’il faut débourser 10.000 € par mois pour un chercheur, on le fera. Pour la mécanique des fluides, les pays de l’Est sont très bons, pour les roboticiens, on regarde du côté de l’Amérique et du Canada.”

Des hauts potentiels indispensables pour jouer dans la cour des grands. Une quinzaine de chaires Jules-Verne devront attirer des chercheurs français seniors dans un premier temps, avant de se faire connaître auprès des profils internationaux. Trois ou quatre de ces programmes sur cinq ans (vibro-acoustique avec l’université du Mans, thermique pour les composites avec le CNRS, durabilité des composites avec le centre d’Angers d'Arts-et-Métiers ParisTech et simulation numérique avec l’École centrale) ouvriront cette année. Financés à parité par les industriels et l’IRT, ils sont dotés de 1,5 à 2 millions d’euros chacun.

Des professionnels de la recherche technologique

“Pour des chercheurs qui viennent avec une idée nouvelle et veulent développer une équipe avec un budget, c’est le seul endroit où c’est possible” S. Cassereau 

Chercheurs seniors, juniors, docteurs ou doctorants sont recrutés dans la même campagne. La promesse est en effet d’octroyer au chercheur senior un embryon d’équipe (un chercheur junior, deux doctorants et un post-doctorant). À lui ensuite de la faire grandir jusqu’à une dizaine de personnes. “Pour des chercheurs qui viennent avec une idée nouvelle et veulent développer une équipe avec un budget, c’est le seul endroit où c’est possible”, avance Stéphane Cassereau. L’institut mise d’ailleurs les trois quarts de son budget – soit 96 millions d’euros pour trois ans (Investissements d’avenir/industriels) – sur les ressources humaines. Une proportion inverse de l’IRT grenoblois donnant la part belle aux équipements.

Côté doctorants et postdoctorants, le profil type recherché corresponds à un ingénieur-docteur ou un CIFRE, même si ce conventionnement n’est pas cumulable avec le statut de l’IRT. “Ce sont des professionnels de la recherche technologique doublés d’agents de liaison avec les laboratoires publics. Et l’anglais est indispensable, car nous avons une vocation mondiale”, définit Nathalie Schoumacher, une des deux DRH externes (voir encadré “Une équipe de recrutement interne et externe”). Leurs premières publications seront déterminantes pour placer l’IRT sur la scène scientifique internationale.

À quoi ressemblera leur environnement de travail ?

“L’idée des IRT ce sont des centres de recherche avec des équipes et des équipements mutualisés, décrit Stéphane Cassereau. Construire un nez d’avion en matériaux composites ne peut être fait sur une paillasse : les labos ressemblent plus à des usines.” De fait, l’IRT a installé sa première plate-forme technologique sur le technocampus EMC2, un pôle de compétitivité, au sud-ouest de Nantes où 16.000 m2 sont déjà déployés sur les 80.000 prévus. Saint-Nazaire accueillera un centre d’essais et l’université du Mans un laboratoire d’acoustique. Un environnement qui aurait peut-être inspiré d’autres aventures à Jules Verne, le maître des machines imaginaires.

(1) L’IRT Jules-Verne est une FCS (fondation de coopération scientifique) dont les membres fondateurs sont le PRES UNAM, l’École centrale de Nantes, l’université de Nantes, le CNRS, le pôle EMC2, Airbus, le CETIM, Daher, DCNS et STX Europe. Les collectivités territoriales, notamment le conseil régional des Pays de la Loire et Nantes Métropole comptent parmi ses membres associés et participent à son financement.

(2) Les domaines ciblés pour les personnels de recherche permanents sont les procédés métalliques et composites, la modélisation et simulation de structures, la robotique industrielle et la réalité virtuelle appliquée à la réalisation des procédés. Une palette plus large est proposée pour les non-permanents.

Une équipe de recrutement interne et externe

Deux DRH externes sont chargées de définir la stratégie RH de l’IRT : rémunérations, convention collective (celle de la métallurgie s’est imposée), organigramme, processus de recrutement… “On ne peut pas intégrer 200 personnes en une seule fois. Il faut une montée en puissance progressive des effectifs, note Nathalie Schoumacher, une des deux DRH missionnées. Le processus de recrutement pourrait s’apparenter à celui d’une start-up, sauf que l’IRT doit composer avec des partenaires publics et privés. On va devoir faire travailler ensemble des personnes de culture et de rémunération différentes.” 

La start up nantaise Do You Buzz collecte les CV des profils scientifiques en plus de ceux postés sur le site lui-même. Les relais de l’APEC, d’Intelli’agence (ex-association Bernard-Grégory) diffusent aussi les postes à pourvoir. Un chasseur de têtes aide au repérage de trois des 15 postes administratifs et de direction à pourvoir. Ceux-ci composeront l’armature du premier organigramme de l’IRT.

L’IRT accueillera un futur campus de formation

Entre 2017 et 2020, l’IRT projette d’accueillir un grand campus de formation et de recherche d’un millier d’étudiants, du bac pro au docteur. Sans être directement opérateur de formations, l’institut Jules-Verne veut fédérer les établissements et organismes de recherche partenaires en devenant une vitrine des technologies de production pour les jeunes. Il travaillera sur les nouveaux programmes et processus pédagogiques (internationalisation, liens avec les entreprises, formation continue). Pour concevoir ces programmes et définir les besoins, un observatoire prospectif des compétences et des métiers doit également voir le jour.

Fabienne Guimont | Publié le