La chaire, un produit marketing

Olivier Monod Publié le
Dans la pêche aux fonds privés, les universités utilisent toutes le même hameçon : la chaire. Au point de galvauder ce mot. Mais chercher au sein d’une chaire transforme-t-il le travail des chercheurs ?

Profusion de chaires


Cet été a vu fleurir de nouvelles chaires universitaires. Dernières en date, l’EM Strasbourg (composante de l’Université de Strabourg) a annoncé, en juin 2011, la création d’une chaire en collaboration avec la Caisse d’épargne d’Alsace. À la clé : 180.000 € alloués à la recherche sur le mutualisme des caisses d’épargne. Un projet « en accord avec la logique de l’université », explique la direction.

Dans le même temps, l’UPMC annonçait recevoir de la part du groupe PHR, groupement de pharmaciens d’officine, 400.000 € par an sur trois ans pour constituer une équipe de recherche sur le thème de l’éducation thérapeutique. Avec cette manne, l’établissement espère « attirer un chercheur de calibre international, créer un poste d’assistant de recherche et mener deux doctorats ».

Une recherche « plus souple »

Indépement des motivations qui poussent les entreprises à investir dans les universités, les chercheurs se retrouvent à la tête de projets financés par une chaire plutôt que par un appel d’offres ANR (Agence nationale de la recherche), régional ou européen. Cela fait une grande différence.

Une chaire est pilotée par un comité mixte (donateur[s], chercheurs, université) devant lequel le responsable de la chaire se présente plusieurs fois par an. Les décisions stratégiques sont prises au cours de ces réunions, mais l’essentiel se joue en amont, au moment de la création de la chaire, selon Nicolas Rautureau, titulaire de la chaire « Finance, Banque populaire-Caisse d'épargne » à l’université de Nantes. « Si on part avec un cadre peu clair, les donateurs vont le fixer pour nous. Il est important de bien définir ce qu’on veut faire en amont », prévient-il. Ensuite, le projet évolue au gré des échanges et des discussions avec les partenaires. D’où l’importance pour les chercheurs de bien savoir ce sur quoi ils ne veulent pas reculer.

« Chez nous, les chercheurs sont majoritaires dans le comité de pilotage, précise Nicolas Rautureau. Sur les 13 projets lancés au sein de la chaire cette année, un seul a été proposé par les banques. » La vampirisation de la recherche par les entreprises n’a donc pas eu lieu.

L’inverse semble même se produire. « Contrairement aux projets ANR, les chaires permettent une recherche plus exploratoire, sur des sujets moins bien identifiés et dans un cadre scientifique moins contraint », s’enthousiasme Nadine Le Bris, titulaire de la chaire « Environnement marin extrême, biodiversité et changement global » à l’UPMC.

Son collègue nantais fait le même constat : « Le cadre est bien plus souple qu’avec un appel à projets public. Nous avons plus de liberté de recherche. » Plus de liberté, en accord avec les partenaires. Les axes de recherche sont définis lors d’une discussion avec des interlocuteurs a priori bienveillants. Il est plus facile de les entraîner sur des terres inconnues que de contourner les « procédures balisées » de l’ANR. « C’est une question de confiance, souligne la scientifique. Un donateur donne à un chercheur les moyens de développer une problématique originale. »

La recherche au cœur de la société

De tels avantages ne vont pas sans contreparties. « Une chaire prend beaucoup de temps au titulaire, relève Nicolas Rautureau. Il faut souvent s’entretenir avec les donateurs. J’y vois beaucoup de souplesse, mais la signature d’une chaire représente plus le début d’une histoire commune qu’autre chose. »

Les donateurs ont des impératifs qui bousculent un peu les chercheurs. « Chez nous, Total a clairement des exigences en termes de communciation, rapporte Nadine Le Bris. Ils nous demandent un effort sur ce plan. C’est l’un des objectifs principaux. »

Il faut vulgariser les recherches pour les rendre accessibles au donateur, puis faire un effort pour organiser des actions à destination du grand public. Une démarche loin des préoccupations habituelles des chercheurs.

Pas une mauvaise chose à l’heure de l’économie de la connaissance. « Les chaires développent l’intérêt sociétal des recherches, conclut Nadine Le Bris. Sans faire de la recherche appliquée, nous faisons un lien entre recherche fondamentale et enjeux sociétaux. » L’ANR a d’ailleurs lancé un appel à projets intitulé « Chaires industrielles » , destiné à promouvoir ce type de partenariats.

Un dossier d’Olivier Monod
Septembre 2011

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Qu’est-ce qu’une chaire ?

Dans ces deux derniers cas, la chaire représente la création d’une équipe de recherche. À l’origine, une chaire est tout simplement « un poste permanent de professeur des universités », rappelle Bernadette Madeuf, présidente de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense. Aujourd’hui, le mot accepte de plus larges définitions.

Pour Patrick Llerena, directeur général de la fondation Université de Strasbourg, il s’agit de « l’accompagnement de la recherche sur un thème ». Bernard Chauveau, délégué général de la fondation Poitiers Université, préfère parler de « moyens alloués à un thème de recherche bien précis ».

Enfin, pour Thibault Bretesché, directeur de la fondation de projets de l’université de Nantes, « il n’existe pas de définition légale du mot. Chez nous, une chaire est un partenariat de mécénat dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche. »

Une définition bien large qui englobe toutes les réalités actuelles. Le mot « chaire » est marqué du sceau de l’université dans l’imagerie collective. Il conserve une certaine grandeur et est devenu un outil marketing pour les universités auprès de leurs partenaires privés.

On peut voir dans l’évolution de ce terme l’évolution de l’enseignement supérieur à l’université. Le vocable chaire signifiait à l’origine un poste titulaire de professeur des universités. Donc une position permanente d’enseignant-chercheur. Il désigne maintenant un poste ou un budget alloué pendant une période limitée dans le temps sur un thème bien précis et s’occupant peu de la notion d’enseignement.

Nul besoin de fondation pour faire une chaire

Faut-il nécessairement une fondation pour créer une chaire ? Max Anghilante , directeur de l'IFFRES , insiste sur la possibilité de créer des chaires sans fondation. « Certains chercheurs ont déjà des liens étroits avec des entreprises. Ils n’ont pas besoin d’un intermédiaire. »

Selon lui, créer une fondation pour mettre en place des chaires est même une mauvaise idée. « Une fondation nécessite un investissement de l’université. Il faut une vision, une stratégie. Elle n’est qu’un réceptacle pour recevoir des fonds, il faut aussi des outils pour aller les chercher. » Mais beaucoup de projets naissent par le truchement des fondations en raison de la défiscalisation des dons dont elles bénéficient. « Dans le don, le ressort fiscal n’est pas anodin, souligne Antoine Vaccaro, président du Cerphi . Il s’agit même d’une condition sine qua non pour le don. »

Olivier Monod | Publié le