La Holberton School, la success story frenchie de la Silicon Valley

Guillaume Mollaret, envoyé spécial à San Francisco Publié le
La Holberton School, la success story frenchie de la Silicon Valley
Holberton School vient d'annoncer une levée de 6,8 millions d'euros, qui devrait lui permettre d'ouvrir d'autres établissements aux États-Unis et dans le monde. // ©  JASON HENRY/The New York Times-REDUX-REA
Ouverte en janvier 2016 par trois Français expatriés, la Holberton School poursuit sa croissance à San Francisco. Sa pédagogie alternative et son modèle économique innovant ont séduit de nouveaux investisseurs au point que ses fondateurs réfléchissent à en ouvrir d’autres.

L’open space est immense. Des dizaines de Mac alignés aux grands écrans de 27 pouces sont en veille. L’activité est ailleurs, sur les tables originellement destinées aux pauses déjeuner. C’est là que les étudiants de la Holberton School se regroupent pour travailler et échanger.

"Ce sont les ordinateurs que j’aurais rêvés avoir quand j’ai fait mes études. Mais ces grands écrans ne permettent pas l’échange en face-à-face. Ici, avant de faire une requête sur Google, on demande à ses camarades de promotions s’ils connaissent la réponse au problème posé", s’amuse Sylvain Kalache. À 30 ans, ce diplômé de Supinfo a créé en 2016, en compagnie de deux autres Français Julien Barbier et Rudy Rigot (parti de l'entreprise depuis), la Holberton School de San Francisco.

Une pédagogie fondée sur le partage entre étudiants

Située à quelques encablures du siège de Twitter, cette école pas comme les autres – elle ne délivre pas de diplôme d’État –, s’attelle à former, en vingt-quatre mois, des codeurs et ingénieurs informatique selon une pédagogie fondée sur une logique de partage entre étudiants et non "sur une logique de savoir descendant où il faut apprendre par cœur ce que l’on a lu dans un livre", poursuit Sylvain Kalache.

"Cela se passe ici comme en entreprise, où l’on donne les moyens à un collaborateur de résoudre une problématique pour laquelle on n’a pas de réponse. On s’appuie d’abord sur ses collègues. D’ailleurs, les étudiants qui ont le mieux réussi l’exercice [ce dernier est corrigé par un ordinateur] doivent expliquer leur méthode à leurs camarades", précise le cofondateur de cette école, qui vient d’annoncer une levée de 6,8 millions d'euros, notamment auprès des fonds Daphni, Trinity Ventures et Omidyar Network, ce dernier appartenant au fondateur du site e-commerce eBay, Pierre Omidyar et à sa femme, Pam.

La stratégie du mentorat

C’est grâce à un important réseau constitué depuis leur installation dans la Silicon Valley, suite à leurs expériences professionnelles respectives, que les créateurs de la Holberton School ont pu démarrer leur activité : "Nous sollicitons des professionnels travaillant chez Google, LinkedIn, Salesforce et d’autres entreprises de la Tech afin de savoir quelles compétences ils recherchent. Cela nous aide à bâtir un cahier des charges d’exercices que les étudiants doivent résoudre. Tâche pour eux de trouver les sources d’information qui leur permettront de réaliser l’exercice demandé."

Ces professionnels sollicités par l’école ne sont pas des enseignants – et ne sont d’ailleurs pas payés par l’école –, mais des “mentors” que les étudiants peuvent solliciter ultérieurement. "Personnellement, je ne me permets pas de les déranger si ce n’est pas important", déclare Spencer Cheng, un étudiant de 32 ans.

Travaillant auparavant dans le service marketing d’une entreprise informatique sur la côte Est des États-Unis, Spencer, diplômé en économie de la Columbia University de New York, a voulu embrasser le métier d’ingénieur informatique qu’il trouve plus créatif que son ancien job. "J’ai lu un article sur Internet au sujet de la Holberton School. Je n’y connaissais rien au codage informatique. J’ai passé le concours et j’ai été pris", raconte-t-il.

Un modèle économique innovant

L’entrée à la Holberton School est pourtant très sélective. 97 % des candidats qui tentent le concours sont éconduits. Le principe ? Des exercices à réaliser en ligne selon un temps imparti. "Au début, il y a des pistes de méthodes, puis ils disparaissent pour laisser place à l’initiative", poursuit Sylvain Kalache.

Autre originalité : l’accès à la Holberton School, nommée ainsi en hommage à Betty Holberton, cocréatrice de l'ENIAC [Electronic Numerical Integrator And Computer], premier ordinateur entièrement électronique créé au sortir de la Seconde Guerre mondiale, est gratuit. C’est une fois entrés dans la vie active que les étudiants s’acquittent de leur frais de scolarité.

Ils doivent, contractuellement, reverser 17 % de leurs revenus durant leur période de stage qui peut débuter dès le neuvième mois de formation, puis durant les trois ans suivant leur sortie de l’école. Dans la baie de San Francisco, les revenus moyens d’un stagiaire s’élèvent à 70.000 dollars par an (58.500 euros) et 100.000 dollars (83.500 euros) pour un ingénieur informatique salarié.

Bientôt de nouvelles écoles ?

Ce business model serait illégal en France. Nous réfléchissons cependant à créer d'autres écoles aux États-Unis ou ailleurs dans le monde. L’argent de la levée de fonds, outre un accroissement de nos capacités de formations, doit nous le permettre”, assure Sylvain Kalache. Fin 2017, 180 personnes avaient été formées et la Holberton School devrait rapidement atteindre les 1.000 alumnis grâce à des promotions de 250 étudiants intégrés tous les six mois.


Un enseignement qui n’oublie pas le savoir-être
"Notre pédagogie basée sur le partage est aussi un vecteur de savoir-être en équipe. Être un bon ingénieur ne suffit pas. L’intégration à une équipe de travail est une clé de la réussite que nous travaillons au quotidien", promeut Sylvain Kalache. Ainsi, chaque jour à 11 h 30, deux étudiants, désignés quelques jours plus tôt aléatoirement par ordinateur, doivent parler ensemble pendant trois minutes d’un sujet qui leur tient à cœur, pas forcément en lien avec l’informatique. Le but : apprendre à structurer et calibrer un discours destiné à captiver une audience dans un temps restreint.

Guillaume Mollaret, envoyé spécial à San Francisco | Publié le