La stratégie de Lisbonne : un livre critique sur la méthode

Frédérique Letourneux Publié le
Quel modèle pour l'Europe du savoir ? A quelques jours des élections européennes, la question mérite d'être posée. D'autant qu’en 2010, l’Union européenne fêtera les dix ans de la Stratégie de Lisbonne. L'occasion pour le collectif « Printemps 2010 » - créé à l'initiative notamment de SLR, SLU, le SNESup et ATTAC - de rêver d'un contre-Sommet. L'une des animatrices de ce débat sur une « autre Europe du savoir » est Isabelle Bruno, maître de conférences en science politique à Lille 2 et auteure de A vos marques, prêts... cherchez ! Un ouvrage critique sur la méthode de la stratégie de Lisbonne.

C'était en mars 2000. Un Conseil européen « extraordinaire » se réunissait à Lisbonne. Au cours de ce sommet, l'Union se fixait un nouvel objectif stratégique pour la prochaine décennie : devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde. Tel est le point de départ du livre d'Isabelle Bruno. Mais derrière cet objectif tout aussi louable que flou, c'est surtout la méthode qu'elle décrypte pas à pas, à travers l'étude des rapports et des directives européennes.

Elle démontre dans quelle mesure le benchmarking, cette philosophie de la comparaison issue du management (expérimentée notamment chez Rank Xerok) est ainsi devenu progressivement le maître mot des politiques publiques. Objectif : comparer les performances des politiques nationales par rapport à un certain nombre d’indicateurs préalablement sélectionnés, selon le slogan : « qui veut s’améliorer doit se mesurer, qui veut être le meilleur doit se comparer ».

Derrière les indicateurs et statistiques, une vision néolibérale

L'une des thèses du livre est que derrière ces indicateurs issus des comités techniques et présentés comme neutres, c'est bien une vision politique néolibérale qui s'impose. Sans que cela ne soit débattu dans les organes délibératifs européens ou nationaux : « Cette mise en comparaison de systèmes nationaux présentés comme concurrents, est une façon de borner l'imagination politique", assure-t-elle.

"Derrière les indicateurs et les statistiques, jamais le débat n'a été ouvert sur les finalités de la recherche. Prenons par exemple, l'objectif de dépense de 3% du PIB européen dans la recherche et développement (R&D). Cet horizon constitue à la fois un point de référence et un signe de ralliement pour l’ensemble des gouvernants européens. Dans la mesure où les contre-performances d’un pays grèvent les résultats calculés en moyenne pour l’UE, chacun est sous la surveillance de tous et aucun ne veut passer pour le cancre de la classe européenne. Or cet objectif occulte les vrais débats, notamment celui sur la nature même du financement de la recherche et sur la place de l'Etat. »

La concurrence portée comme principe de la recherche européenne

Partant de cette sorte de folie de la comparaison,  la concurrence au sein de l'Espace européen de le recherche (EER) est donc devenue « le premier principe de la recherche » et le « chercheur-entrepreneur » sa « figure emblématique ». « Pour l'instant, on observe la mise en place d'indicateurs de résultats au sein des laboratoires, mais pas encore de comparaison entre les chercheurs eux-mêmes, reconnaît Isabelle Bruno. Pourtant, tout est en place pour que cette démarche comparative se développe. Et le débat actuel sur la bibliométrie en est une bonne illustration. Alors même que tous les spécialistes de la scientométrie s'accordent à dire que ces types de mesure n'ont aucune valeur quand elles sont appliquées à un niveau individuel. »

Une conclusion en forme de prophétie donc pour cette chercheuse qui se revendique d'une sociologie critique. Avec l'ambition que la recherche scientifique puisse donner du grain à moudre aux militants.

En savoir plus
Isabelle Bruno, A vos marques, prêts... cherchez !, éditions du Croquant, Coll. Savoir/agir, 2008.

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