Le mentorat, un outil de politique jeunesse aux effets "modérés"

Sarah Nafti Publié le
Le mentorat, un outil de politique jeunesse aux effets "modérés"
Le programme "1 jeune, 1 mentor" créé en 2021 a accompagné 150.000 jeunes depuis sa création. // ©  DEEPOL by plainpicture
Le mentorat est monté en puissance très rapidement grâce au plan "1 jeune, 1 mentor" mais l'évaluation de son impact sur l'évolution des jeunes mentorés reste toujours difficile à évaluer.

Trois ans après son lancement, en mars 2021, le plan "1 jeune, 1 mentor" a permis d'accompagner environ 150.000 jeunes en 2022 et 160.000 en 2023, contre 30.000 auparavant.

"Nous sommes dans une situation où le plan est en train de se stabiliser, de s'ancrer et fonctionne bien autour de 160.000 binômes par an", remarque Christophe Paris, président de l'Afev (Association de la fondation étudiante pour la ville) et du Collectif mentorat. Ce collectif, qui regroupe 72 organisations proposant du mentorat, a été mandaté par le gouvernement pour piloter le site "1 jeune, 1 mentor".

L'État a investi près de 30 millions d'euros, avec comme objectif d'atteindre 200.000 mentorés par an en 2022. Reste à évaluer son impact en termes d'égalité des chances, l'un des buts du programme.  

Un champ peu exploré par la recherche

Pour l'instant, la recherche en France sur les effets du mentorat reste limitée. Selon un rapport d'étape publié en avril 2024 par l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP), chargé de l'évaluation du plan "1 jeune, 1 mentor", "les travaux académiques montrent qu'on observe des impacts significatifs dans divers domaines : résultats scolaires et attitude à l'école, compétences psychosociales, santé et bien-être."

Cependant, ces effets sont considérés "comme de faible ampleur" et apparaissent "modérés", "lorsqu'on les compare à d'autres dispositifs à destination des jeunes".

Autre difficulté : les pratiques restent diverses selon les structures, avec des effets difficiles à quantifier, ce qui complique la mesure l'impact global du programme.

Toutefois, l'Injep note "le faible coût" du programme, qui plaide pour lui.

Une généralisation d'un système avant son évaluation

La sociologue Aude Kerivel, qui a coordonné la publication "le mentorat : une nouvelle politique en direction des jeunes vulnérables" avec l'économiste Roxane Bricet, constate que "le mentorat devient une modalité d'accompagnement incontournable dans le champ éducatif mais aussi pour la protection de l'enfance ou l'insertion. Or, normalement, on expérimente et on regarde les effets avant de développer et de généraliser une expérience."

Le plan, lui, a favorisé un essor avant cette évaluation scientifique. Pourtant, "le mentorat peut avoir un effet nul, positif ou négatif", explique Aude Kerivel.

Dans leur article, les deux chercheuses remarquent que "si les filles et les élèves dont l'accompagnement perdure dans le temps tirent davantage bénéfice de leur participation au dispositif, des effets contre-productifs sont rapportés chez les élèves en retard scolaire et les jeunes les moins bien accompagnés au cours de l'intervention." 

Par exemple, Roxane Bricet relève que "des jeunes d'origine populaire qui avaient participé à des ateliers organisés par des grandes écoles formulaient moins de vœux sélectifs que ceux qui n'avaient pas participé." Un effet pourtant "contre-intuitif". Toutefois, les "modalités d'accompagnement d'aujourd'hui diffèrent de ce que l'on a pu faire antérieurement". D'où l'importance d'évaluer ce qui est réalisé.

"Nous manquons d'études sur les impacts à moyen et long termes, confirme Christophe Paris. Mais les évaluations que nous menons avec un cabinet extérieur montrent un impact plutôt positif à court terme. Pour l'Afev, cela implique une amélioration de la confiance en soi du mentoré, une meilleure mobilisation envers l'école."

La durée et l'intensité de l'accompagnement sont cruciaux

L'Injep soulève plusieurs points de vigilance, avant de publier un rapport final prévu en 2025. D'abord, pour la réussite de ce type de programme, "la durée et l'intensité de la relation entre le mentor et le mentoré sont des facteurs centraux". La durée de l'accompagnement préconisée de six mois minimum n'est pas toujours respectée : "dans 24% des structures, la durée effective constatée est inférieure à six mois" et le taux de rupture atteint 25% dans une structure sur six.

Un bon accompagnement passe aussi par la formation des mentors. Mais "les enquêtes mettent en évidence des politiques inégales de formation, notamment selon leur caractère obligatoire et leur durée". Ainsi, "dans près de 60% des structures, elle est au plus d'une demi-journée" et "plus d'un tiers des structures déclarent ne pas rendre la formation des mentors obligatoire."

Enfin, la question des chargés de mentorat, qui assurent à la fois le pilotage du programme (captation des mentors et des mentorés, élaboration d'outils, de contenus formatifs) et le suivi opérationnel des binômes est cruciale. Or, "sur le total d'environ 2.000 chargés de mentorat recensés, seuls 21% ont un CDI ou le statut de fonctionnaire, et sur les près de 80% restants, les jeunes en service civique représentent 47%".

Un outil d'autoévaluation des associations

Le Collectif mentorat travaille à améliorer ces points de vigilance. Il vient notamment de lancer un label mentorat, "un outil numérique qui permet une autoévaluation des associations, avant de passer par un procédé de labellisation", détaille Christophe Paris. Conçu autour de six étapes clés, comme le recrutement de mentorés en adéquation avec les objectifs du programme ou encore la préparation et la formation des mentors et mentorés, ce label vise à harmoniser et à promouvoir les bonnes pratiques. Un autre travail est en cours sur la fiche de poste de coordinateur de mentorat.

Reste, pour pérenniser le programme, la question du financement. L'Injep rappelle que "le financement apporté par le plan '1 jeune, 1 mentor' représente plus de la moitié du budget des programmes de mentorat auxquels vient s'ajouter près d'un quart de subventions publiques complémentaires". Le dernier quart provient de mécénat d'entreprise ou de structures privées.

Pour Christophe Paris, "les conditions ne sont aujourd'hui pas réunies pour diminuer la participation de l'État". Et si le but est de développer encore le programme pour atteindre les 300.000 binômes, "ce ne sera pas à moyens constants".

Sarah Nafti | Publié le