Le Sénat ouvre "la boîte noire des financements" de la loi ORE

Malika Butzbach Publié le
Le Sénat ouvre "la boîte noire des financements" de la loi ORE
Pour la sénatrice Vanina Paoli-Gagin, "l'analyse des financements liés à la loi ORE s'est révélée très complexe"; // ©  Eric TSCHAEN/REA
Cinq ans après sa mise en place, quel est le bilan budgétaire de la loi ORE ? Pour la sénatrice Vanina Paoli-Gagin, rapporteure d'une mission de contrôle budgétaire sur cette loi, le tableau est relativement sombre. Elle dénonce l'absence de suivi des crédits alors que des questions demeurent sur la création de places.

La loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE) "a partiellement échoué à atteindre son objectif initial oxymorique : accompagner individuellement le plus grand nombre", juge la sénatrice Vanina Paoli-Gagin (LIRT). Le 28 juin, l'élue publiait son rapport issu de sa mission de contrôle budgétaire sur cette loi, cinq ans après sa mise en œuvre.

La sénatrice salue l'intention de départ d'accompagner davantage d'étudiants vers la réussite alors qu'ils sont de plus en plus nombreux sur les bancs des universités (+20,4 % entre 2010 et 2020).

Mais en ouvrant la "boite noire des financements" de cette loi, le bilan apparaît contrasté : "L'amélioration qualitative voulue par la loi ORE est restée pour l'essentiel secondaire par rapport à la vision quantitative".

Une absence de traçabilité des crédits et de leur suivi

Le constat est sans appel. "Le ministère doit considérer le renforcement de l'efficience des crédits alloués, et donc de leur suivi, comme un axe prioritaire d'amélioration de sa gestion. De fait, l'analyse des financements liés à la loi ORE s'est révélée très complexe", pointe le rapport.

L'opacité de l'utilisation des crédits rend impossible toute tentative de contrôle de la performance des financements publics. (V. Paoli-Gagin, sénatrice)

La rapporteure spéciale s'étonne notamment de "l'absence de traçabilité des crédits au vu des montants en jeu et des enjeux pour la scolarisation de milliers d'étudiants. L'opacité de l'utilisation des crédits rend impossible toute tentative de contrôle de la performance des financements publics".

Vanina Paoli-Gagin pointe aussi une "absence de données" qui "doit alerter sur les modalités de gestion". Faute de système d'information, le ministère ne dispose que d'une vision très limitée des dispositifs mis en place par les universités. "Il est certain que les difficultés de remontée des données sont en partie le résultat d'une absence de vision consolidée des données au niveau des établissements eux-mêmes."

Le total des financements ORE difficile à évaluer

À combien s'élèvent les crédits pour la mise en place de la loi ? Aux yeux du ministère, qui intègre l'ensemble des moyens de financement accordés aux établissements dans le cadre du dialogue de gestion (soit 235 millions d'euros), "le total des financements ORE s'élèverait alors à 833 millions d'euros".

Un chiffre que réfute la rapporteure, estimant que ces crédits "ne peuvent à proprement parler être considérés comme rattachés au dispositif de la loi ORE". Ainsi, pour elle, le montant accordé aux universités dans le cadre du plan Étudiant, qui a atteint 582 millions d'euros, est plus pertinent.

Une estimation de 64.000 places à l'université créées

Le rapport évoque également les places créées dans le cadre de la loi. Durant les deux premières années de déploiement, soit 2019 et 2020, l'État a "financé la création de 37.695 places à l'université pour un montant total de 120,6 millions d'euros".

Mais l'analyse de 2021 et 2022 est "plus complexe" puisque les financements de la loi ont coexisté avec ceux du plan de relance. La rapporteure table sur la création de 26.000 places supplémentaires avec des financements cumulés s'élevant à 142 millions d'euros en 2021 et 143 millions en 2022.

Des créations de places gérées par les établissements

Il faut toutefois noter que ces places "ont été financées au coût marginal, c'est-à-dire sans incitation à des recrutements de personnels supplémentaires, et sans tenir compte des contraintes d'accueil des étudiants dans un bâti aux capacités limitées".

À partir de 2019, le ministère a fait le choix de basculer vers une logique forfaitaire : les places en L1 et L2 ont été financées à hauteur de 1.600 euros par place et celles en L3 et en M1 autour de 800 euros, retrace le rapport. Ce montant rejoint une "logique purement budgétaire" et "ne reflète pas les variations de coûts inhérentes aux établissements, aux formations, au profil des étudiants et à la valeur ajoutée des universités par rapport aux établissements de même type", pointe la sénatrice qui questionne "la pertinence du financement 'à la place".

Les universités restent des opérateurs de l'État et doivent rendre des comptes sur l'utilisation des financements accordés annuellement par le Parlement. (V. Paoli-Gagin, sénatrice)

Par ailleurs, le choix a été fait de laisser les établissements libres de choisir les formations où ces places étaient créées. Ainsi, "le ministère ne dispose actuellement pas de pouvoir de contrôle sur les établissements et n'est pas en mesure de vérifier d'une part que les places financées ont bien été créées et d'autre part qu'elles l'ont été dans des filières en tension", précise le rapport.

Si elle précise ne pas vouloir remettre en cause l'autonomie des universités, la sénatrice estime que celles-ci "restent des opérateurs de l'État et doivent à ce titre rendre des comptes sur l'utilisation des financements accordés annuellement par le Parlement".

Un chantier informatique incontournable

Face aux évolutions induites par la loi ORE, les systèmes d'information actuels ne sont pas adaptés, pointait le comité de suivi en 2019. "Ce grand chantier informatique, toujours repoussé et qui sera de grande ampleur, tant financière que par sa durée et les changements que cela impliquera pour l'ensemble des établissements, devient néanmoins incontournable", juge Vanina Paoli-Gagin.

Pour établir un bilan sur le long terme de la loi ORE, il devient "indispensable de faire évoluer le suivi statistique vers un suivi de cohorte, qui permette d'avoir une vision fine du devenir de l'étudiant tout au long de son parcours dans l'enseignement supérieur".

Surtout, malgré l'intitulé de la loi, sa mise en œuvre n'a pas donné lieu à une définition claire de ce qui constitue la réussite pour un étudiant. "La construction d'un réseau d'indicateurs robustes, à la fois suffisamment précis pour tenir compte de la diversité des parcours étudiants et suffisamment partagés pour inclure le plus grand nombre de situations et d'établissements" demeure un objectif à atteindre.

Un bilan à consolider pour les "oui si"

Les ressentis des acteurs sont aussi partagés à propos des dispositifs "Oui, si", qui concernent moins de 30.000 étudiants. Si les universités et l'administration voient des résultats encourageants, la Cour des comptes, auditionnée par la rapporteure, considère qu'ils sont "insuffisamment ciblés sur les étudiants les plus faibles et n'entraînent pas toujours une réduction du taux d'absentéisme".

Pour Vanina Paoli-Gagin, il faut désormais mener un bilan du dispositif, qui consisterait à la fois à "un recensement des différentes actions menées par les universités, l'identification de 'bonnes pratiques', et en une analyse statistique approfondie pour définir autant que possible l'impact des 'oui si'".

Malika Butzbach | Publié le