Les écoles de commerce bac+4 ont-elles un avenir ?

Jessica Gourdon Publié le
Les écoles de commerce bac+4 ont-elles un avenir ?
L'Essec, qui a initié le programme d'ouverture sociale "Pourquoi pas moi ?" // DR // © 
Interrogez le directeur d'une école de commerce en quatre ans sur le positionnement ambigu de sa formation, à cheval entre les traditionnels bac+3 et bac+5 du système LMD. À chaque fois, vous obtiendrez la même réponse : « Tous les pays, à l'exception de la France, associent le niveau licence (ou bachelor) à quatre ans d'études, et non à trois ! »

Certes. Mais en France, de plus en plus de familles et d'étudiants se demandent pourquoi payer une année supplémentaire pour obtenir un bachelor. Ou pourquoi s'en contenter quand d'autres écoles avec la même sélectivité et le même type de cursus garantissent, avec une année de plus, l'obtention d'un master.

Les chiffres 2010 du nombre de candidats au concours Sésame traduisent ces interrogations. Toutes les écoles bac+4 sont en recul, pour la seconde année consécutive : – 14,5 % pour le Cesemed (Euromed), – 9,2 % pour l'EPSCI (Essec), – 7,3 % pour le Cesem (Reims Management School). Dans cette banque d'épreuves, deux écoles s'en sortent : l'ESCE et l'EM Normandie, les seules qui délivrent un master. L'EBP (Bordeaux Ecole de Management), autre programme bac +5, mais qui ne délivre pas le grade de master, recule de 11,69%.

La tendance se vérifie du côté du concours Accès (Essca, IESEG, Esdes, écoles postbac délivrant un master en cinq ans), qui voient cette année leur nombre d'inscrits progresser de 5,5 %. Pour Jean-Guy Bernard , le directeur de l'EM Normandie, cette situation ne doit rien au hasard. « Les étudiants et leurs familles attachent beaucoup d'importance au master, qu'ils jugent plus sécurisant qu'un bachelor en quatre ans. Et puis, ce diplôme est très lisible pour les entreprises », explique celui qui, en 2007, a fusionné ses programmes bac+4 et bac+5.

Effet de la crise ?

L'analyse n'est pas partagée par tous. Certains directeurs de « bac+4 » parient sur l'effet de la crise, qui découragerait des familles à financer des études facturées autour de 7.000 € par an. « Il est certain qu'une forme de sélection sociale s'opère sur ce critère. Cette baisse des candidats me semble avant tout conjoncturelle », estime Ross Mac Artain, directeur du Cesem. Ce facteur « crise » serait d'autant plus pesant que ces écoles prévoient de longues périodes à l'étranger : « Ces séjours ont un coût très important pour les familles », note Jean Meimon , président de la banque Sésame et de l'ESCE. Quant à l'EPSCI, elle a une vision plus personnelle de la chute du nombre de ses inscrits : « Nous sommes très sélectifs, et de plus en plus de candidats de niveau moyen comprennent en amont que l'école n'est pas faite pour eux, et ils ont raison », soutient Léopold Kahn , son directeur.

Par ailleurs, face au rouleau compresseur que constitue le master, certains revendiquent haut et fort l'idée d'une sortie à bac+4. « Je conteste l'idéologie franco-française qui impose d'avoir à tout prix un master, même dans une école qui n'en a pas le niveau », déclare Léopold Kahn. Selon lui, les salaires de sortie de ses élèves (35 k€) sont égaux voire supérieurs à ceux perçus par de nombreux diplômés d'écoles de grade master. Le constat est partagé par Daniel Peyron, directeur de l'ESC La Rochelle, qui propose aussi un bachelor en quatre ans : « Quand on compare les rémunérations de nos diplômés bac+4 et du programme ESC bac+5, il y a peu d'écart. Ceux du bachelor ont même des salaires un peu plus élevés, car beaucoup démarrent à l'international. Nombre d'entreprises ne font pas la différence. »

Une cinquième année

Pourtant, l'argument ne suffit pas à convaincre les étudiants. Certains directeurs hésitent donc à ajouter une année supplémentaire afin d'atteindre le niveau master, « même si cela n'est pas un besoin du marché de l'emploi », insiste Daniel Peyron. Déjà, toutes ces écoles proposent une cinquième année optionnelle, chez elles ou ailleurs : la poursuite d'études concerne 40 % des étudiants du Cesem et de l'EPSCI. Mais la greffe d'une année n'est pas sans poser de multiples questions. Une fusion de deux programmes sur le modèle de l'EM Normandie est difficile à opérer dès lors que le bachelor et la « grande école » (ESC) ont des niveaux de sélectivité très différents. Et faire cohabiter deux formations généralistes bac+5 dans un même ensemble paraît peu lisible.

Une chose est sûre : dans cette période d'interrogations, le futur de la banque d'épreuves Sésame semble problématique. Survivra-t-elle à une polarisation de plus en plus forte entre des écoles "masters" plus attractives, et des bachelors en quatre ans en perte de candidats ? L'avenir le dira.

L'ESC La Rochelle ferme son bachelor à Chambéry

Lancé en 2008, fermé en 2010. Le bachelor international en quatre ans (l'IECG) que l'ESC La Rochelle a implanté à Chambéry n'aura pas fait long feu. L'initiative était pourtant originale : un programme conçu et fonctionnant dans une école avait été « franchisé » dans une autre. L'ESC La Rochelle était chargée de l'ingénierie pédagogique et apportait la moitié des professeurs, l'ESC Chambéry fournissait le reste, ainsi que l'infrastructure. Cette dernière était aussi chargée de « vendre » le programme aux lycéens. Et c'est là que le bât blesse. Ce programme, facturé près de 7.000 € par an, était en décalage avec les autres cursus postbac de l'ESC Chambéry (4.500 € pour l'EGC, 5.500 € pour le bachelor commerce en trois ans), et la formule en quatre ans n'a pas séduit. Résultat : l'IECG de Chambéry ne réunissait que 20 étudiants par année (contre 160 à La Rochelle), un chiffre largement insuffisant. Ces jeunes seront donc réorientés en septembre vers d'autres bachelors de la région. En outre, cette fermeture est aussi liée à la course menée par l'ESC La Rochelle pour décrocher l'accréditation AACSB, comme le précise Maxime Gambini, directeur du développement de l'école. « Cette formule n'était pas évidente à expliquer aux auditeurs internationaux, et difficile à valoriser », remarque-t-il. La décision a donc été vite tranchée.

Jessica Gourdon | Publié le