Réformes dans le scolaire : les nouvelles formes de mobilisation des enseignants

Eva Mignot Publié le
Réformes dans le scolaire : les nouvelles formes de mobilisation des enseignants
Des enseignants du lycée Jean Perrin de Nantes ont décidé de se mettre à genoux pour protester contre l'injonction du rectorat d'arrêter leur mouvement de protestation // ©  Le collectif opposé aux réformes Blanquer et Parcoursup du lycée Jean Perrin de Nantes
Stylos rouges, démission des professeurs principaux, 20/20 systématiques... Les professeurs font preuve d'imagination pour protester contre les décisions récentes du gouvernement en matière de réforme.

À l’heure de la réforme du lycée et de la loi Pour une école de la confiance, les enseignants se mobilisent. Mais ce n’est pas forcément dans les rues que l'on peut les observer : les manifestations et les grèves n’ont plus systématiquement leur préférence.

Contrairement à leurs prédécesseurs, la nouvelle génération d’enseignants n’est que peu syndiquée. "Les professeurs accédant au métier dans les années 1990 le font dans un tout autre contexte syndical que leurs aînés. D’une part, la France est touchée, à partir de la fin des années 1970, par un mouvement de désyndicalisation, qui est un indicateur général de distance entre salariés et représentants", écrit la chercheuse en sciences politiques, Aurélie Llobet, dans un article du magazine "Politix" daté de 2011.

En 2016, le taux de syndicalisation global s’élevait à 10,8 %, selon la DARES, loin donc des 30 % du début des années 1950. Dans l’éducation, plus de 20 % des enseignants étaient encore syndiqués au début du siècle, mais la tendance est, là encore, à l’essoufflement.

Les professeurs sont plus distants et plus critiques envers les syndicats.

(A. Llobet)

"De plus, le secteur de l’Éducation nationale est marqué par de multiples conflits qui ont conduit à l’effondrement de la puissante Fédération de l’éducation nationale (FEN), qualifiée de "forteresse enseignante", et à l’émergence de nouvelles structures comme la FSU, SUD-Education et le SE-UNSA. Face à l’éclatement du syndicalisme enseignant et dans un contexte de mobilisation professionnelle, les professeurs sont plus distants et plus critiques envers les syndicats, et notamment, envers les responsables locaux", conclut Aurélie Llobet.

Les appels à la grève émanant des syndicats ont donc moins d’influence sur les enseignants. Preuve en est : le 24 janvier 2019, le ministère de l’Éducation nationale annonçait un taux de grévistes de 8 % parmi les enseignants, contre un tiers selon le Syndicat national des enseignements de second degré (SNES). Alors qu'en novembre 2008, près de 30 % des enseignants s’étaient déclarés en grève, selon le ministère, 50 % selon les syndicats.

Si les enseignants sont moins enclins à battre le pavé, ils n'en sont pas moins actifs lorsqu'il s'agit de protester. Seule la forme change.

Stylos rouges, démission de professeurs principaux, nuit des lycées...

Créé en décembre 2018, et inspiré des "gilets jaunes", le mouvement des stylos rouges en est un bel exemple. Il compte plus de 69.000 membres sur Facebook. Ceux qui se présentent comme des "professeurs en colère" utilisent les réseaux sociaux pour faire parler de leur combat et relayer les tribunes qu'ils rédigent, dans lesquelles ils listent leurs revendications : revalorisation du métier d’enseignant, dégel du point d’indice pour les fonctionnaires ou encore mise en place d’une école bienveillante pour les élèves.

Sitting, grève, démission… à chaque académie, son action. Quelques semaines après la révélation de la carte des spécialités, à la rentrée de janvier 2019, l'équipe enseignante du lycée Edgar Quinet à Paris s'est mise en grève pour contester le faible nombre de spécialités proposées aux élèves de première et de terminale (photo ci-après).

Le 7 février 2019, des enseignants d’une dizaine de lycées ont décidé d’occuper leur établissement pendant la nuit pour faire parler d’eux et de leur lutte contre la réforme du baccalauréat.

Autre symbole fort : de nombreux enseignants ont démissionné de leur rôle de professeur principal. Ils n’accompagneront plus leurs élèves dans leurs choix d’orientation, se disant démunis et incapables de donner des conseils cohérents aux lycéens pour une réforme qu’ils jugent précipitée.

Le 20/20, nouveau levier d’action des professeurs

Depuis janvier également, des enseignants attribuent des 20/20 systématiques à leurs élèves. Si les élèves continuent d'être évalués normalement pour garantir une continuité dans leur scolarité, seules ces notes symboliques sont transmises à l’administration. "La notation est un des seuls leviers d'action que nous avons. La grève prend peu et est souvent coûteuse : elle fait perdre près d’une centaine d’euros sur notre salaire pour une journée", explique Claire*, enseignante au lycée Sophie Germain à Paris.

Un changement de mode d’action pour espérer une réaction du ministère. "C’est une façon aussi pour nous de pointer ce qui ne va pas dans la réforme et notamment la volonté de mettre les notes et le contrôle continu au cœur du baccalauréat et de Parcoursup", poursuit-elle.

De plus en plus suivies, ces actions auront-elles pour autant le pouvoir de faire flancher le gouvernement ? Elles affolent en tous cas les personnels de direction, comme à Nantes, où les enseignants ayant suivi le mouvement ont reçu un courrier nominatif le 22 mars 2019 indiquant que leur action serait portée à leur dossier. "En réaction, des images d'eux, genoux à terre, les mains sur la tête, une pancarte épinglée dans leur dos disant 'Voilà des profs qui se tiennent sages' a fait le tour des réseaux sociaux", raconte l’inter-collectif La chaîne des bahuts rassemblant plus de 180 établissements.

Pour l'heure, le projet de loi "Pour une école de la confiance" suit son cours et sera discuté au Sénat le 13 mai prochain. Quant à la réforme du lycée, elle devrait être dès la rentrée 2019 appliquée dans tous les lycées. À moins d'un revirement inattendu.

*Le prénom a été modifié.

Eva Mignot | Publié le