Ministère de l’Education nationale : au bon pouvoir des statistiques

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Ministère de l’Education nationale : au bon pouvoir des statistiques
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Comment le pouvoir manipule les statistiques. Tel est le sous-titre de l’ouvrage Le grand trucage, à paraître le 14 mai 2009. Ecrit par un collectif de fonctionnaires de la statistique publique au bord de la crise de nerf, il dénonce les publications sur des thèmes sensibles annulées ou reportées, des changements d’indicateurs collant davantage aux objectifs politiques, le discrédit jeté sur des organismes produisant les statistiques… Exemples précis à l’appui, Lorraine Data - un pseudonyme - décrit des dérives gouvernementales pour contrôler l’information économique et sociale. Voici des extraits centrés sur la politique éducative de Xavier Darcos autour du lycée, analysée par les auteurs comme source d’économies budgétaires.

« La réduction du nombre d’enseignants demande un minimum de tact et diplomatie. Xavier Darcos a bien noté que ce qui coûte cher dans notre enseignement, c’est le secondaire et plus particulièrement le lycée. C’est bien là qu’il faut en priorité réaliser des économies et concentrer les attaques. Il reprend à de nombreuses reprises les mêmes constats : « Nous avons (dans le secondaire) un des meilleurs taux d’encadrement au monde : un professeur pour onze élèves » ; « un lycéen français coûte 22 % de plus que la moyenne des pays européens » ; « un lycéen français a jusqu’à trente-cinq heures de cours par semaine ».

Le jugement assez sévère qu’il porte au Sénat en mai 2008 (nous sommes les plus chers et les moins efficaces) exagère en fait une double réalité : une dépense pour l’éducation relativement forte en France et l’annonce fin 2007 de résultats plutôt décevants des jeunes Français aux deux évaluations internationales de leurs acquis (PIRLS pour ceux de CM2 et PISA pour les élèves de quinze ans, en fin de scolarité obligatoire).

Les lycéens plus coûteux que les collégiens

Ce rapprochement permet au gouvernement de conclure à une relative inefficacité, du moins au regard de la moyenne des pays développés, mais le surcoût de l’élève français est surtout vrai au lycée, tandis que la dépense par écolier ou collégien nous classe dans la moyenne internationale voire en dessous. Il est donc paradoxal de déplorer l’inefficacité de dépenses fortes (au lycée), quand les faibles résultats sont observés en amont (en fin d’école et de collège).

Le lycée concentre une série d’attaques du gouvernement qui justifie ainsi l’urgence d’une réforme. Il coûte cher, il est mal équilibré, il prépare mal aux études supérieures, à l’autonomie. La conférence mondiale de l’Unesco sur l’éducation fournit le 25 novembre 2008 l’occasion pour le ministre de poser clairement son diagnostic : « Je ne puis accepter qu’en France, 150 000 élèves quittent chaque année le système éducatif sans aucune qualification, je ne puis accepter que 15 % des lycéens redoublent la classe de seconde, je ne puis accepter que la moitié des lycéens qui entrent à l’université échoue à obtenir une licence au bout de trois ans. »

Du taux d’encadrement… à la taille des classes

Le lycée est donc la cible privilégiée de la politique de restriction budgétaire. Pour minimiser les effets de la réduction du nombre d’enseignants – dont l’ampleur finale n’est pas encore appréciable – et préciser que les lycéens n’en subissent pas les conséquences, le ministre change d’indicateur. Il abandonne ce taux d’encadrement de onze, douze élèves, en moyenne, par enseignant du second degré (situation plus favorable que dans la plupart des autres pays), pour retenir la taille des classes, qui ne bouge pas aux rentrées 2007 et 2008 : vingt-quatre élèves en moyenne par classe de collège, et vingt-huit en lycée.
Dans le second degré, effectifs d’enseignants et de classes diffèrent. Et il devient tout à fait possible de réduire plus fortement les premiers que le nombre de classes ou d’élèves (si bien que le ratio élèves/enseignants s’accroît tandis que le ratio élèves/classes reste stable) : pour y parvenir, il suffit de donner plus d’heures de travail aux enseignants (heures supplémentaires) et moins aux élèves (horaires et/ou programmes réduits). »

Ce que le ministère de l’Education nationale bloque, retarde…

Selon Lorraine Data, des publications statistiques (L’Etat de l’école, les Notes d’information de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) et un rapport de l’Inspection générale de l’Education nationale sont retardés voire bloqués par le ministère de l’Education nationale. Avec l’objectif de ne pas « parasiter » la communication politique de Xavier Darcos. Parmi les sujets recensés par les auteurs, on trouve les prévisions d’effectifs scolaires, la violence à l’école, les acquis des élèves, les effets de la disparition de la carte scolaire et les élèves en difficulté dans le primaire.

Les statisticiens de la DEPP ont aussi donné à L’Expansion la quinzaine de notes bloquées par le ministère de l’Education nationale, dont l’absentéisme des élèves dans le second degré en 2006-2007, la baisse des sorties sans qualification, parcours et réussite des inscrits en licence ou les coûts de l’éducation en 2007.

Le grand trucage. Comment le gouvernement manipule les statistiques.
Auteur : Lorraine Data
Prix : 13 euros
Parution le 14 mai 2009 aux éditions de La Découverte

A lire sur les statistiques et le pouvoir

Gouverner sans gouverner. Une archéologie politique de la statistique, Thomas Berns, Puf, paru le 6 mai 2009.
Enseignant de philosophie à l’université libre de Bruxelles et à celle de Liège, l’auteur montre comment les actions de recensement nées à la fin duXVIème siècle à des fins administratives portent également en germe un projet moral. De quoi éclairer les pratiques de transparence des  gouvernements néolibéraux.


Politique et statistique. Une chronique de Pierre Dubois, ancien directeur de l’OFIPE de Marne-la-Vallée, qui s’intéresse depuis longtemps aux rapports entre le ministère de l’Enseignement supérieur et les statistiques.



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