20 ans après, le processus de Bologne mise sur l'innovation pédagogique

Étienne Gless Publié le
20 ans après, le processus de Bologne mise sur l'innovation pédagogique
69 ministres de l'Enseignement supérieur se sont réunis les 24 et 25 mai 2018 à Paris. // ©  Etienne Gless
Promouvoir les pratiques pédagogiques innovantes d'enseignement et développer l'inclusion de nouveaux publics : c'est la nouvelle feuille de route des 47 ministres de l'Enseignement supérieur réunis à Paris lors de la Conférence ministérielle européenne pour l'enseignement supérieur les 24 et 25 mai 2018.

"La mobilisation de la quasi-intégralité des ministres témoigne d'un nouveau souffle : c'est une bonne nouvelle. Le processus de Bologne se repolitise et se revitalise. C'est un vrai espoir, alors que l'Europe traverse des difficultés", se réjouit Simone Bonnafous, ancienne Dgesip et chargée de mission pour la conférence Bologne 2018.

L’événement se tenait à Paris vingt ans après l'adoption de la déclaration de la Sorbonne, en 1998, par les ministres français, italien, allemand et britannique en charge de l'Enseignement supérieur, à l'initiative de Claude Allègre. 47 ministres de l'Enseignement supérieur sur 48 ont répondu présents, le ministre italien n'étant pas encore nommé. Ils étaient seulement 6 lors de la précédente Conférence, en 2015, à Erevan, en Arménie.

Les ministres d'autres pays non-membres de l'European Higher Education Area (EHEA) avaient aussi fait le déplacement, dont ceux du Qatar, de l'Irak ou du Japon.

Des valeurs fondamentales fragiles

Mais la redynamisation du processus de Bologne reste un long chemin : le communiqué final des ministres publié le 25 mai ne cache pas que certains des pays engagés ont remis en question les valeurs fondamentales de l'EEES (Espace européen de l'enseignement supérieur). Visée sans jamais être nommée ? La Turquie, qui n'était pas représentée cette année dans les travaux préparatoires à la Conférence.

Dans sa présentation aux 500 participants de son programme Pause d'accueil en urgence des scientifiques en exil, créé début 2017, la France a souligné que la moitié de scientifiques aidés serait turque. Pour autant, pas question d'exclure un pays membre : "Le milieu universitaire est inquiet devant la montée des populismes en Europe mais couper les ponts serait pire", résume un participant.

Renforcer la coopération entre pairs

"Aujourd'hui, les réformes de structure sont en partie derrière nous. Il n'est pas question de revenir sur ces acquis", déclare Simone Bonnafous. "Les ministres, désormais, abordent des sujets de mise en œuvre concrète : comment enseigner ? Comment s’adapter aux nouveaux publics ? Comment apprendre à apprendre pour former des gens évolutifs ? Comment attirer des étudiants du monde entier ?"

Pour libérer le plein potentiel de l'EEES (Espace européen de l'enseignement supérieur), les ministres chargés de l'Enseignement supérieur se sont entendus sur une méthode : ils plaident pour "une approche de soutien par les pairs fondée sur la solidarité, la coopération et l'apprentissage mutuel".

Comment enseigner ? Comment s’adapter aux nouveaux publics ? Comment apprendre à apprendre pour former des gens évolutifs ? Comment attirer des étudiants du monde entier ?
(S. Bonnafous)

Au cours de la période 2018-2020, des groupes thématiques de pairs vont se centrer sur les trois engagements clés pour renforcer la qualité et la coopération : le système général à trois cycles compatibles le cadre général des qualifications de l'EEES et des diplômes de premier et second cycles fondés sur des ECTS ; la conformité avec la convention de Lisbonne sur la reconnaissance et l'assurance qualité. Il reste encore des efforts à faire pour approfondir l'interopérabilité des systèmes nationaux.

Innovation et inclusion

"New Learning and Teaching et Inclusiveness sont deux thèmes forts qui ont émergé au cours de cette Conférence. La pédagogie dans le supérieur est revenue comme un leitmotiv et c'est très nouveau", décrypte Simone Bonnafous. Les ministres de l'enseignement supérieur se sont ainsi engagés à développer des approches nouvelles et inclusives pour l'amélioration des formations.

"Le temps est venu d'ériger la coopération dans les pratiques innovantes pour apprendre et enseigner, écrivent les signataires du communiqué final. Nous développerons des initiatives européennes conjointes pour soutenir et encourager une large gamme de pratiques d'apprentissage et d'enseignement innovantes à partir des bonnes pratiques actuelles dans nos pays et au-delà."

L'enjeu ? S'adapter à la diversité des publics, étudiants et les autres apprenants (salariés, migrants...), en offrant des opportunités de développement personnel tout au long de la vie. Les ministres ont par ailleurs souligné le rôle essentiel que peut jouer le numérique dans cette transformation : "Nous reconnaissons le potentiel du numérique pour transformer la façon dont l'enseignement supérieur est dispensé".

Ils demandent aux établissements de préparer leurs étudiants et d'encourager leurs enseignants à agir de façon créative dans un environnement digitalisé. Et plaident pour un meilleur usage de l'enseignement en ligne ou de l'enseignement hybride avec une assurance qualité appropriée.

S'agissant de l'inclusion, les ministres ont reconnu que davantage d'efforts étaient nécessaires pour renforcer la dimension sociale de l'enseignement supérieur. Là aussi, l'engagement a été pris "d'améliorer l'accès et la réussite des groupes sous-représentés et vulnérables", afin que les étudiants et les diplômés reflètent mieux la diversité des populations en Europe.

Déployer un réseau d'universités européennes

"Pour donner un nouveau souffle à l'espace européen de l'enseignement supérieur, nous devons déployer un réseau d'universités européennes qui soient les fers de lance de la seconde période", a déclaré Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, en ouverture de la Conférence. L'idée, lancée par Emmanuel Macron dans son discours de septembre 2017 en Sorbonne, consiste à instaurer des réseaux européens d'universités composés de quatre à six établissements dans au moins trois États-membres pour développer une offre compétitive au niveau mondial.

La Commission européenne a repris l'idée et prépare un appel à projets qui sera publié à l'automne. La Rue Descartes a déjà annoncé que la France contribuerait pour 100 millions d'euros sur dix ans dans le cadre de son programme d’investissements d'avenir.

La feuille de route définie désormais par les ministres européens de l'Enseignement supérieur, il reste maintenant aux acteurs à s'en emparer. "La repolitisation du processus de Bologne doit être suivie d'une remobilisation du milieu universitaire lui-même", note un participant. Après la France, c'est l'Italie qui prendra la charge du secrétariat du processus de Bologne. Une conférence intermédiaire se tiendra à Rome en 2019 pour les vingt ans de la déclaration de Bologne.


Les mesures adoptées :
- Soutien fondé sur les pairs pour la mise en œuvre des trois engagements-clés de Bologne.
- Une stratégie pour la Biélorussie (entrée en 2015 dans le processus) pour 2018-2020 : des premières réformes ont été initiées, mais "des défis substantiels demeurent".
- Qualifications des cycles courts comme niveau distinct de certification dans le cadre général des qualifications de l'EEES (Espace européen de l'enseignement supérieur) (QF-EHEA)
- Supplément au diplôme révisé avec une recommandation pour son adoption en des termes identiques dans le cadre de la Convention de Lisbonne sur la reconnaissance des qualifications détenues par les réfugiés et les personnes déplacées et d'Europass.

Étienne Gless | Publié le