Professeur débutant : trois livres pour mieux vivre sa rentrée

Propos recueillis par Sophie Blitman et Isabelle Maradan Publié le
Professeur débutant : trois livres pour mieux vivre sa rentrée
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A l’heure où les enseignants débutants éprouvent le tract intense de la première fois, trois livres - publiés à la rentrée - ambitionnent de les faire réfléchir au regard qu’ils portent sur les enfants, les adolescents et le métier d’enseignant avant de franchir la porte de la classe. Rencontre avec leurs auteurs, qui partagent le souci de donner des conseils et non des leçons.

 
Enseigner ne s’apprend a priori pas dans les livres. Pourquoi faut-il lire le vôtre ?

Elsa Bouteville – Parce que dans ce livre, il n’y a ni leçon ni recettes idéales et théoriques, mais une ouverture de regard. Nous voulions simplement ouvrir les yeux des enseignants et parler de choses qu’on n’aborde pas à « l’école des professeurs ». Nous ne prétendons pas qu’on peut apprendre à être prof d’école en un livre. Mais il devrait permettre d’être plus averti pour arriver sur le terrain, en se posant les bonnes questions et regardant les bonnes choses. On peut gagner du temps grâce à la manière dont on regarde les enfants et le métier.
Après, enseigner s’apprend sur le terrain. Chaque enseignant doit pouvoir se sentir libre d’être soi-même, sans jouer un rôle et sans se sentir complexé par rapport au collègue chevronné. Mais il est important d’accepter que, comme dans toute relation humaine, l’affectif, le psychologique, sont étroitement liés au travail et aux capacités d’un élève. Et que parfois, en passant par l’affectif, on peut parvenir à ce qu’un élève entre dans les apprentissages. Sans être psychologue, il y a forcément de la psychologie en classe, car l’individu n’est pas qu’un cerveau !

Jean-Michel Zakhartchouk – Pour enseigner, il faut s’armer suffisamment pour avoir des points d’appui, pratiques ou théoriques : sans cela, les jeunes profs risquent de se sentir déstabilisés. Mais il ne faut pas non plus trop s’installer dans ses certitudes car cela empêche de se remettre en question et d’avoir l’esprit d’innovation.
D’où l’importance de conjuguer ces deux aspects dans une tension féconde qui permet d’avoir des repères sans tomber dans la routine. C’est ce que j’essaie de proposer dans mon livre.

« Bien sûr, l’enseignement est un métier qui s’apprend avec l’expérience, mais en échangeant des conseils, on peut gagner du temps ! » (F. Le Duigou)

Françoise Le Duigou – Dans ce livre, je ne m’attache pas à donner des ficelles mais des conseils et, s’il ne s’agit pas d’un ouvrage théorique, je souhaite ouvrir la réflexion sur des questions qu’on ne se pose pas tout de suite quand on débute : l’importance d’instaurer des rites, la manière d’utiliser le tableau, de donner les devoirs ou d’organiser un contrôle. Beaucoup de ces aspects sont abordés dans les stages de formation des enseignants ; mon livre ne s’y substitue pas, c’est un complément.
Bien sûr, l’enseignement est un métier qui s’apprend avec l’expérience, mais en échangeant des conseils, on peut gagner du temps !

La réforme de la formation des maîtres, la mastérisation, a-t-elle été l’élément déclencheur de l’écriture de votre ouvrage ?

Françoise Le Duigou – Pas du tout. J’avais épaulé un jeune collègue et c’est lui qui m’a demandé de mettre par écrit mes conseils. Auxquels s’en sont ajoutés d’autres, nés de mon expérience d’enseignement dans un établissement sensible et des responsabilités de conseiller pédagogique que j’ai pu avoir. De fil en aiguille, tout cela est devenu un livre.

Jean-Michel Zakhartchouk – Ce livre est également le fruit du travail de formation que je mène depuis des années dans l’académie d’Amiens, qui compte de nombreux néo-titulaires, mais oui, la réforme de la mastérisation en a été le déclencheur. La formation des enseignants est aujourd’hui très insuffisante et très recentrée sur le disciplinaire pur, avec cet angle de la « tenue de classe » qui me paraît être une impasse.
En effet, le risque est que l’objectif du prof devienne d’« avoir la paix en classe ». Or, le but de l’enseignement n’est pas que les élèves se lèvent et se taisent quand le prof entre dans la classe, mais qu’ils travaillent et apprennent.


« Quand on débute, avec ou sans livre, on tâtonne forcément. »
(E. Bouteville)

Elsa Bouteville – Il y avait certes des lacunes à l’IUFM, où j’ai été, mais les nouveaux enseignants ont aujourd’hui bien plus de difficultés lors de leur arrivée en classe. Lorsqu’ils sont occupés à préparer le concours et avoir leur  master, ils sont moins intéressés par le terrain que par l’idée de réussir concours et diplômes. Ce livre permet d’être rassuré. Et de savoir qu’il y a beaucoup de choses pas simples à mettre en place, comme la polyvalence, le travail de groupe ou encore la différenciation. Quand on débute, avec ou sans livre, on tâtonne forcément.

Vos conseils font apparaître entre les lignes une figure du professeur, quasiment incarnée. Comment définiriez-vous cet enseignant ?

Elsa Bouteville – Ce livre ne donne pas le profil d’un enseignant qui serait un bon enseignant. Mais il y a des choses dont on ne devrait pas discuter. La bienveillance à l’égard de tous les enfants, y compris les agités, les violents, les cancres, etc. L’exigence à l’égard du niveau d’apprentissage, du niveau attendu. Le fait d’être dans une relation naturelle et la plus simple possible avec les parents. Et surtout, de ne jamais être dans la stigmatisation à l’égard des enfants. C’est malheureusement une pratique courante. Dans 80 % des salles des maîtres, les enseignants évoquent le ou les « cas » de l’école. Or, cela enferme l’enfant dans une attitude et le condamne. Et puis, il y a aussi tout un groupe d’enfants moyens qu’on ne sait pas toujours faire progresser. Sans compter les enfants très gentils qui ne vont pas bien. C’est eux qu’il faut regarder avec bienveillance. Lorsque l’on enseigne, il faut y croire. Toujours.

Françoise Le Duigou – L’enseignement doit être fait de beaucoup de respect afin d’établir une confiance réciproque et un climat serein.
Pour moi, l’enseignant doit rester enseignant sans démagogie ni proximité excessive avec les élèves, mais sans autoritarisme non plus. Il est à la fois un chef d’orchestre, puisque c’est lui qui a la partition et dirige le cours, un arbitre qui sanctionne non pas les savoirs non maîtrisés mais les actions antijeu, et un coach qui aide et encourage. Car notre rôle est permettre que toutes les qualités de l’élève s’épanouissent.

« Un enseignant doit être à la fois un professionnel et un pédagogue engagé sur le plan éthique. »
(J.-M. Zakhartchouk)

Jean-Michel Zakhartchouk Un enseignant doit être à la fois un professionnel et un pédagogue engagé sur le plan éthique. Car le professionnalisme sans valeur devient de la technique pure mais, à l’inverse, faire travailler les élèves en groupes, mener un projet ou gérer son temps sont des choses qui s’apprennent et se construisent au fil du temps et au gré des échanges avec d’autres enseignants. Bien sûr, il n’y a pas de recette toute prête, mais il existe quand même des réponses.

Prof débutant : les 10 erreurs à éviter absolument, d’après les auteurs

1/ Afficher une tolérance zéro
et annoncer à ses élèves qu’on ne laissera rien passer (aucune absence injustifiée, aucun retard…) : au lieu de faire de grandes déclarations d’intention, mieux vaut ne fixer que les règles qu’on peut réellement tenir.
2/ Jouer le jeune sympathique, complice, copain, grande sœur et afficher une proximité excessive plutôt que de se positionner d’emblée en tant qu’adulte.
3/ Négliger certaines disciplines qui paraissent annexes : sport, musique, etc.
4/ Arriver avec des préjugés, des stéréotypes. Penser que parce qu’on est en ZEP, on va forcément se faire chahuter, que les élèves sont faibles et qu’on ne va pas en tirer grand-chose, ou, à l’inverse, arriver dans un milieu aisé et se dire qu’ils sont tous hyper intelligents et capables.
5/ Rester fermé sur soi-même et oublier qu’on peut concevoir un travail d’équipe, en décloisonnant et s’inspirant un peu de ce que font les collègues.
6/ Se focaliser sur la « tenue de classe » et attendre, par exemple, que tous les élèves soient prêts et silencieux pour lancer le travail, surtout dans les classes un peu difficiles.
7/ Piéger les élèves, via des contrôles surprises ou en leur annonçant brutalement leurs moyennes à la fin du trimestre, sans avoir prévenu auparavant les plus en difficulté.
8/ Décourager les élèves en leur mettant des notes très basses, sans s’interroger sur la façon dont on les a évalués, le barème, l’ordre des questions, la mise en page de l’évaluation.
9/ Avoir une seule méthode, quels que soient l’heure et le moment du cours, au lieu de varier les approches : si les élèves ont besoin d’être rassurés, ils ont aussi besoin d’être surpris !
10/ Etre trop perfectionniste et vouloir que tout marche tout de suite pour tous les élèves : il faut accepter les erreurs et les errances.

 Références
- Elsa Bouteville et Benoît Falaize : L’Essentiel du prof d’école (Editions Didier / L’Etudiant, 17 €)
- Françoise Le Duigou : Professeur, comment faire ? Conseils pour mieux vivre son métier (Editions de l’Atelier, 12 €)
- Jean-Michel Zakhartchouk : Réussir ses premiers cours (ESF Editeur, 14 €).
Et dans la même veine : Fabrice Hervieu-Wane : Le guide du jeune enseignant, nouvelle édition 2011 (Editions Sciences Humaines, 17 €).

Pour en savoir plus, lire les 15 conseils d'un formateur aux jeunes professeurs : « Face aux élèves, l’expert ne doit pas oublier qu’il est un ex-pair » .

  

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