Pré-rapport de la Cour des comptes : les écoles de management jouent la prudence

Jean-Claude Lewandowski Publié le
Pré-rapport de la Cour des comptes : les écoles de management jouent la prudence
L'Essec, qui a initié le programme d'ouverture sociale "Pourquoi pas moi ?" // DR // © 
Envolée des frais de scolarité, déficit d'ouverture sociale, nombre excessif de diplômes... Autant de griefs formulés par la Cour des comptes fin 2012 dans un prérapport sur les écoles de commerce que ces établissements réfutent. En attendant le rapport définitif au printemps.

Ne pas jeter d'huile sur le feu. Tel semble être le souci dominant chez les directeurs des grandes écoles de gestion, après la publication par l’AEF et le Monde, fin décembre 2012, du prérapport de la Cour des comptes sur leurs établissements. Un document critique qui fait des vagues dans le petit monde des business schools.

Une procédure contradictoire

Plusieurs raisons expliquent cette attitude réservée. D'abord, ce prérapport n'est qu'une étape dans une procédure contradictoire. «Ce qui compte, c'est la version finale. C'est pourquoi je préfère rester prudent, explique le président de la CGE (Conférence des grandes écoles), Pierre Tapie. De plus, la Cour travaille sur un sujet qu'elle ne maîtrise peut-être pas tout à fait.»

«Le prérapport est, en principe, destiné à susciter des réactions, des précisions ou des rectifications, confirme Jean-Guy Bernard, à la tête d'EM Normandie. Libre ensuite à la Cour d'en tenir compte dans son rapport définitif, qui sera sans doute bien différent.» Le document final attendu pour fin mars ou avril sera accompagné des réponses des écoles. Lesquelles préfèrent donc garder des munitions pour la suite.

Ensuite, la tonalité du document n'est pas que négative. Les écoles de gestion ont connu depuis dix ans «des évolutions importantes et positives», peut-on y lire. «La Cour des comptes a trouvé un système performant, qui délivre un enseignement de qualité sans que cela coûte cher à l'État», souligne Pierre Tapie.

Pour autant, les business schools ne restent pas les bras croisés. Elles avaient jusqu'au 9 janvier pour adresser leurs remarques à la Cour, et ne se sont pas privées de le faire. CCI France, qui regroupe les chambres de commerce et d'industrie, a également fait parvenir aux magistrats un argumentaire détaillé.

des frais de scolarité en hausse

Reste que certains griefs émis par les magistrats passent mal. La forte hausse des frais de scolarité (de 49 à 71% depuis 2006 dans trois écoles parisiennes, pointe la Cour) et le manque d'ouverture sociale notamment. «Nos écoles ont assuré seules leur développement, en allant chercher des ressources là où elles le pouvaient, rappelle Pierre Tapie. Certes, nos droits de scolarité ont augmenté plus vite que l'inflation ces dernières années. Mais l'État doit savoir ce qu'il veut : soit il contribue à une formation d'élite, soit il nous laisse nous débrouiller. Sans compter que nos tarifs restent très inférieurs à ceux que pratiquent nos grands concurrents internationaux.»

«L'envolée des frais de scolarité concerne surtout les grandes parisiennes, objecte pour sa part Stéphan Bourcieu, patron de l'ESC Dijon-Bourgogne. Dans les écoles de province, les hausses sont restées limitées. En outre, il convient de regarder aussi les chiffres bruts. Pour ce qui nous concerne, nous sommes passés de 6.700 € par an en 2006 à 8.100 aujourd'hui. C'est plus que l'inflation, mais cela reste raisonnable. On ne peut pas à la fois exiger que nous soyons compétitifs, refuser de nous financer et nous reprocher d'être trop chers.»

L'État devrait nous aider. Après tout, nous sommes un investissement d'avenir ! (Alice Guilhon)

Des données parfois obsolètes

«Nous avons environ 20% de boursiers, nous sommes engagés dans les Cordées de la réussite... Nous n'accueillons pas que des enfants de riches ! Il faut en finir avec ce cliché du manque d'ouverture sociale», s'insurge de son côté Alice Guilhon, directrice générale de Skema. Plusieurs directeurs relèvent en outre que la Cour se focalise sur le taux de boursiers sans prendre en compte l'apprentissage, qu'elle préconise par ailleurs.

Jean-Guy Bernard évoque un autre problème : «Certaines données chiffrées qu'utilise la Cour commencent à dater.» Les premières enquêtes des chambres régionales des comptes remontent au début 2011 : leurs chiffres concernent ainsi la période 2008 à 2010, voire 2007 à 2009. Certains chiffres publiés par la Cour ne correspondent donc plus à la situation actuelle. Ainsi, créditée de 7% de boursiers, HEC en revendique aujourd'hui 15%.

Quant à l'excès de diplômes jugés «peu lisibles», il suscite plutôt l'incompréhension des directeurs.

les ecoles en appellent à l'état

Les remarques de la Cour sur la nécessaire réforme du statut des écoles sont mieux perçues. «On voit bien que les fusions ne sont pas le modèle préconisé par la Cour», note au passage Jean-Guy Bernard.

Prenant la balle au bond, certains responsables, à l'instar de Jean-François Fiorina, directeur général adjoint de Grenoble EM, suggèrent que l'État aide financièrement les écoles. «La plupart de nos diplômés trouvent un emploi, et nous contribuons au rayonnement de l'enseignement supérieur français à l'étranger, plaide Alice Guilhon. L'État devrait nous aider. Après tout, nous sommes un investissement d'avenir !»

Jean-Claude Lewandowski | Publié le